Le réseau Circul’A : vers un bureau export des musiques africaines

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Dans toutes les filières artistiques, des initiatives novatrices tentent d’améliorer la professionnalisation des opérateurs et la structuration des marchés. Dans l’industrie musicale, la création du réseau panafricain Circul’A et le projet de Bureau export des musiques africaines à Dakar comptent parmi les actions les plus ambitieuses.

La production musicale africaine est si dense qu’elle devrait prétendre assurer le rayonnement du continent et promouvoir la diversité culturelle. Sa richesse, son originalité et sa vitalité représentent un atout considérable, véritable gisement artistique encore très mal exploité. Dans la plupart des pays, notamment des régions ouest et centrale, les industries musicales évoluent dans ce que l’on nomme l’économie informelle. Malgré les initiatives publiques et privées de certains artistes et opérateurs africains engagés, l’économie du secteur demeure extravertie : portée sur les marchés internationaux. La musique africaine, qui regorge de musiciens talentueux, est au cœur d’un processus de développement en manque de structuration. Pourtant le marché africain possède de réels débouchés artistiques, économiques et sociaux qui méritent d’être dynamisés.
Les obstacles au développement
Plusieurs obstacles viennent entraver le développement du secteur musical. L’accès à l’information est encore difficile pour la plupart des structures culturelles. Les opérateurs africains ne trouvent pas de formations spécialisées sur place et sont souvent obligés de se rendre en Europe pour renforcer leurs capacités professionnelles. Mais, les formations occidentales sont rarement adaptées aux réalités africaines. La conséquence directe est la « fuite des cerveaux » vers l’Occident. D’autre part, le continent se trouve devant un réel déficit d’infrastructures en particulier hors de ses capitales : manque d’équipement (salles de concerts et de répétition, studios d’enregistrement, matériel de sonorisation et d’éclairage), peu de personnel qualifié capable d’assurer la maintenance et des routes détériorées ou difficilement praticables. À l’exception des tournées régionales des centres culturels français, faire circuler les artistes dans les régions demande une énergie considérable. Les festivals, pourtant en nombre croissant, parviennent très difficilement à s’organiser pour assurer de véritables tournées d’artistes.
L’autre principal handicap est la piraterie des produits phonographiques et audiovisuels (vidéo), qui sévit dans tout le continent et paralyse l’économie du marché. Mis à part les hologrammes, accolés aux produits commercialisés, les producteurs de phonogrammes ne disposent pas sur place de système d’encodage fiable des produits en vente. L’hologramme n’est qu’un moyen d’identification et ne permet pas de lutter contre la piraterie. Les pirates utilisent ainsi les failles du cadre juridique pour copier et vendre de façon illégale et en quantité alarmante les produits.
Si on se réfère aux statistiques de l’IFPI sur la consommation de la musique qui est d’une cassette par personne et par an au Mali, la consommation annuelle est de dix millions de cassettes. Cependant la production contrôlable des cassettes légales en 2004 n’a pas dépassé 850 000 exemplaires soit 8,5 % de la production totale. Les produits piratés au Mali sont évalués à 9 150 000 cassettes soit 91,5 % de la consommation annuelle. De mars à mai 2005, les deux unités de duplication maliennes, à savoir Seydoni SA et Mali K7 ont dû fermer leur porte et mettre au chômage technique leurs employés. Un calcul réalisé par les producteurs maliens en 2005 montre que si 80 % des cassettes légalement produites étaient vendues, le pays pourrait récupérer uniquement sur la production musicale plus de 6,5 milliards de Fcfa (100 millions d’euros) par an.
Outre la vente d’albums et le manque à gagner des producteurs, la piraterie freine dangereusement la perception des droits. Celle-ci est confiée aux bureaux des droits d’auteurs – bureaux d’État – qui, quand ils existent, rencontrent les plus grandes difficultés à collecter et, par conséquent, à répartir les droits de propriété littéraire et artistique. La plupart des artistes qui ont une carrière internationale préfèrent s’inscrire à la Sacem, ce qui n’encourage pas le fonctionnement des bureaux africains. Au Sénégal, la RTS (Radio Télévision du Sénégal) reverse 25 millions de Fcfa (soit environ 38 000 euros) au BSDA (Bureau sénégalais du droit d’auteur) de redevance par an. Si on considère que la RTS gère quatorze points de diffusion (Radio Sénégal International, onze stations régionales, Dakar FM et la chaîne de télévision RTS1), on arrive seulement à 5 000 Fcfa par jour pour l’ensemble du répertoire mondial diffusé (soit 7 euros).
En raison de l’absence de magasins formels et de l’application de lourdes taxes d’importation (non homogènes entre les pays de la même zone), la distribution phonographique n’est assurée ni au niveau national, ni au niveau régional. Le régime douanier pénalise l’industrie locale, et les taux prélevés sur l’importation de matériel d’équipement, considéré comme produit de luxe, sont de l’ordre de 40 % (1).
Quant à la circulation des artistes hors d’Afrique, elle est rendue aléatoire par l’obtention de plus en plus compliquée des visas Schengen entre autres. Le réseau de distribution africain, coupé de celui de l’Europe, accentue la dépendance des opérateurs du Sud vis-à-vis de ceux du Nord, ces derniers choisissant véritablement les produits à importer.
Tous ces handicaps favorisent l’immigration vers les pays du Nord, qui malgré leur politique répressive, continuent d’attirer au péril de sa vie la jeune population africaine.
Les initiatives africaines
Des initiatives africaines sont à saluer pour remédier au manque d’outils du secteur musical. La ville de Ouagadougou, avec l’aide de la ville de Grenoble et l’expertise de Cultures et Développement, a ouvert le complexe Reemdoogo, qui comprend une salle de spectacles de 400 places, des locaux de répétitions, un pôle d’instruments et de matériel, et un centre de ressources.
Les nouvelles chaînes de télévision, comme 2stv à Dakar ou Africable, la chaîne câblée basée à Bamako, permettent de découvrir et de diffuser la musique locale et de proposer des émissions musicales thématiques sur des événements (type festival) ou des artistes. Certaines radios associatives, avec très peu de moyens, font un travail de prospection et de découvertes des jeunes talents.
Créée en 2003, la CIPEPS (Coalition interprofessionnelle de producteurs éditeurs phonographiques du Sénégal) regroupe les principaux opérateurs du secteur phonographique sénégalais. La CIPEPS et le BSDA se sont retrouvés dans le cadre d’une commission de travail afin d’élaborer ensemble des stratégies de lutte contre la piraterie. Outre la répression, Africa Fête a proposé d’anticiper le pirate via une distribution des produits dans tout le pays. Le projet de Messagerie phonographique du Sénégal (MPS) prévoit la création d’un réseau de distribution formel, agrée par le BSDA, l’AMS (Association des métiers de la musique du Sénégal) et la CIPEPS, à travers l’installation de chaînes de magasins, reliées informatiquement. Il s’agit d’un véritable outil de contrôle, lié à des méthodes modernes de gestion de stock et de vente, reposant sur le déploiement d’une plate-forme numérique de communication et de suivi en temps réel.
Autre exemple : l’État sénégalais a passé un accord avec la Banque Mondiale sur le projet de promotion des investissements privés (PPIP), d’un montant de 1,2 million de dollars. L’objectif du PPIP est d’aider l’État à développer l’investissement privé dans l’économie nationale. La composante Musique, dont les travaux sont confiés aux membres du ministère sénégalais de la Culture (bénéficiaire du fonds), de la CIPEPS et de l’AMS, porte entre autres sur la rédaction d’une loi sur la propriété littéraire et artistique, le statut de l’artiste, une étude sur l’économie de la musique au Sénégal, la formation des opérateurs et la sauvegarde des archives sonores.
Un bureau export des musiques africaines
Parce que la survie même de leur structure dépend du développement du marché, les opérateurs africains se sont constitués en réseau. Le label Africa Fête travaille depuis plus de douze ans en Afrique de l’Ouest dans les domaines de la formation, la production, la diffusion et les échanges artistiques. Africa Fête est à l’initiative de la création d’un réseau d’opérateurs africains dénommé Circul’A dont l’objectif principal est de favoriser la circulation des artistes et des œuvres en Afrique. Lors des rencontres professionnelles 2004 de Dakar, sous l’impulsion de Mamadou Konté, les opérateurs de huit pays (Burkina Faso, Cameroun, Congo, France, Gabon, Guinée, Mali et Sénégal) ont validé la création de Circul’A.
Chaque membre agit en tant que tête de réseau dans son pays, et s’engage à consolider la création d’emplois via la circulation des artistes et des opérateurs, la diffusion musicale, la distribution phonographique, la professionnalisation des acteurs, l’assainissement du cadre juridique, tout en valorisant l’implication des pouvoirs publics. Depuis, à travers les tournées, festivals, formations, résidences, salons, rencontres, les artistes et les producteurs s’invitent, dialoguent, échangent, créent, se développent. D’autres pays comme le Bénin, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Niger, ont rejoint Circul’A lors des rencontres de Dakar 2005.
Le réseau Circul’A, avec à sa tête Fodéba Keira (Guinée), Ali Diallo (Burkina Faso) et Mamadou Konté (Sénégal), a préconisé : la création d’une cellule d’appui à la professionnalisation des opérateurs africains, la circulation des artistes et de leurs œuvres, la distribution phonographique, la promotion, la diffusion et l’exportation des musiques africaines dans le monde, et la consolidation de l’environnement juridique du secteur musical. Un appui à la structuration permettrait de créer des conditions de développement durable et de participer aux objectifs de la diversité culturelle. Assainir le réseau de distribution des œuvres et de circulation des artistes, équiper, former, soutenir la production locale, assurer une diffusion plus large des expressions, créer et/ou conforter des emplois souvent précaires, tels sont les objectifs.
L’idée de création d’une entité indépendante, appelée Bureau export des musiques africaines émane d’une volonté des opérateurs africains de soutenir la structuration sous-régionale et l’exportation de la musique africaine, en Afrique, et dans le reste du monde. Dans ce contexte, un travail de sensibilisation au développement de politiques culturelles adaptées au secteur demeure une des priorités. Le renforcement des capacités des opérateurs constitue l’un des engagements majeurs d’un programme de soutien à l’exportation de la musique africaine. L’étude du projet a pu voir le jour grâce à l’implication d’institutions européennes, francophones et internationales : l’Organisation intergouvernementale de la Francophonie (OIF), les ministères français des Affaires étrangères et de la Culture et la Sacem, avec le concours de Jean-François Michel et des experts de la filière musicale africaine associés au projet d’étude. En attendant la mise en place effective du Bureau, dont le siège social est prévu à Dakar, les opérateurs continuent d’inventer des outils de développement et de se battre pour une meilleure reconnaissance de leur travail.

1. Cf. Les industries culturelles des pays du sud : enjeu de l’adoption de la convention internationale sur la diversité culturelle (OIF/Cultures et Développement, 2004).///Article N° : 5815

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