Amina : la lionne sort de sa tannière

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Amina revient. Après une disparition (voulue) de plusieurs années, la chanteuse d’origine tunisienne revient avec un magnifique album réalisé en Angleterre (Mercury-Polygram) qui portera sans doute le titre « Annabi » et dont la sortie est prévue pour début janvier 99. Amina, généralement avare d’interviews, a accepté de répondre à nos questions.

On peut la croiser parfois sur la promenade plantée dans le 12e arrondissement où elle a installé confortablement sa tente depuis quelques années. Seule ou avec sa petite fille qui est tout pour elle. On peut la croiser, démarche sportive, chevelure sur les épaules, sac au dos et allure d’une collégienne. La meilleure façon de se fondre dans la foule et de garder l’anonymat. C’est qu’elle y tient à son anonymat la franco-tunisienne. Surtout après son succès fulgurant à l’Eurovision il y a maintenant dix ans (« Ya Lil  » en 1989) :  » Je n’étais pas préparée à une telle vie. Moi, ce que je voulais, c’était faire de la musique dans mon coin pour me faire plaisir et pour en vivre bien sûr, dans la mesure du possible. Je ne cherchais pas la célébrité et la médiatisation. Elle m’est tombée pourtant sur la tête et j’ai dû en supporter les conséquences qui ne sont pas toujours agréables. De mon point de vue en tous cas. Je me suis retrouvée plongée dans une autre planète. Je n’avais plus un moment à moi. Les trois quarts de ma journée étaient consacrés à la promotion du produit et aux obligations médiatiques. Je ne savais plus ce que c’était de faire les courses ou le marché en paix. Et moi qui voulait faire de la musique tranquillement dans mon coin comme un artisan-boulanger ferait son pain le plus normalement du monde…  »
En fait, Amina est une artiste très discrète. Elle n’aime pas la pression. C’est une femme qui fonctionne aux coups de coeur. Elle n’a jamais cherché à se dessiner une carrière.  » Au contraire, dit-elle, j’ai l’impression que je prends un malin plaisir à autodétruire mon propre vol. Comme si je voulais à tout prix et à chaque fois tout reprendre à zéro (grand éclat de rire)…  » C’est pourquoi elle a choisi de faire deux longs breaks. La première fois, c’était pour s’occuper de sa fille. Après son deuxième album, qui connut une carrière moins musclée, Amina a multiplié les contacts avec des musiciens (comme Malcom Mac Laren) et des créateurs du monde entier, collaboré aux bandes musicales de nombreux films – La dernière marche, de Tim Robins ou plus récemment le film de l’Algérien Boughalem entre autres – et aussi préparé avec une grande rigueur sont troisième album.
L’une des grandes qualités de la Tunisienne c’est sa curiosité professionnelle maladive. Elle est au courant de tout, s’intéresse aux musiques et musiciens du monde entier. Sa sensibilité maghrébine et orientale ne l’empêchent pas de regarder du côté du rap américain, de la techno anglaise, du raï algérien ou d’aimer profondément la musique malienne et particulièrement mandingue « qui offre des voix aiguës exceptionnelles« . Le débat qui agite les défenseurs de la tradition et les intégristes de l’américanisation la laisse de marbre. Pour elle,  » l’important c’est d’aimer la musique que l’on fait et que cet amour transparaît à l’écoute et trouve un public. Rien n’oblige les puristes de faire de la musique intègre mais ils ne peuvent jeter l’anathème sur ceux qui ont envie de relooker une musique traditionnelle afin de repousser les frontières de son territoire. L’exemple du raï devenu presque universel est édifiant. D’ailleurs, poursuit Amina, on a vu souvent les amateurs de cette musique relookée chercher à en savoir plus et finir par diriger leur intérêt vers la musique traditionnelle elle-même. C’est à mon avis une façon plus douce d’ouvrir les esprits et d’aiguiser l’appétit de nouveaux publics. De toute façon, tout le monde sait que les briseurs de tabous sont toujours mal vus mais cela ne veut pas dire qu’ils ont toujours tort… « .
Cette philosophie d’ouverture trouve son explication dans l’humus qui l’a vu grandir. Amina a toujours baigné dans une ambiance où les airs de Oum Kalsoum, Warda, Lotfi Bouchenaki, Faïrouz cohabitaient sans scandale avec les sons des Rolling Stones ou la voix de Tina Turner. Elle trouve aussi naturellement toute sa traduction dans le CD « Annabi » dont l’aventure avait démarré il y a plus de deux ans à Londres après un contact fructueux avec le groupe Renegate Sounds Wave Song. Puis, Amina fit appel à Mark Sanders à New York (N. Cherry). On retrouvera aussi dans son album une intervention des mythiques Nass El Ghiwane (Allah ya Moulana…), de Serval et de sa flûte en bois australienne. Bref, un véritable cocktail intelligemment dosé qui devrait faire son chemin. Ce travail méticuleux est rehaussé par la voix remarquable de la chanteuse dont on devine la puissance et qui l’autoriserait à tenter une expérience dans le chant classique orientalo-maghrébin. Une hypothèse qu’Amina n’exclut pas totalement, elle qui avoue avoir commencé, cet été en Tunisie, à suivre des cours de chant. En attendant, elle met les bouchées doubles pour former un orchestre de qualité afin de monter sur scène et de repartir à la conquête du public grâce à une série de concerts qu’elle donnera juste après la mise sur le marché de l’album en janvier. Lionne farouche, elle devra cette fois sortir de sa tanière et faire profiter les foules de son grand talent.

///Article N° : 582

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