« Conditionner l’aide à une implication des États »

Entretien d'Olivier Barlet avec Toussaint Tiendrebeogo

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Producteur burkinabè reconnu, Toussaint Tiendrebeogo a dirigé le programme d’aide à la diffusion Africa Cinémas du plan Images Afrique mis en place par le ministère français des Affaires étrangères, l’Union européenne et l’Agence intergouvernementale de la Francophonie en 2003. Il démissionne de ce poste en 2005. Il éclaire ici les raisons partagées de l’échec de ce programme de coopération.

Les institutions sont souvent critiquées dans leurs décisions. Quel est leur rapport avec le milieu professionnel dans leur définition de leurs politiques d’aide ?
Le grand problème est l’absence d’un interlocuteur crédible et porteur de propositions en rapport avec les problèmes de développement du secteur. Toutes les organisations professionnelles ont des faiblesses structurelles qui les empêchent d’être des interlocuteurs et des forces de propositions auprès des partenaires. Si bien que les institutions ne recueillent que les points de vue des individus et se retrouvent isolées quand il s’agit de prendre des décisions.
Pourquoi la profession a-t-elle du mal à s’organiser ?
Un bureau parisien de la Fepaci (Fédération panafricaine des cinéastes) avait été évoqué. Pierre Yameogo et Abderrahmane Sissako devaient s’occuper de sa mise en place, mais les problèmes de fonctionnement de la structure centrale n’ont pas facilité cette création. Aujourd’hui, les organisations professionnelles ne disposent pas d’expertise suffisante pour être porteuses de propositions pertinentes et concrètes auprès des bailleurs de fonds ni même auprès des États. Ceux-ci ne peuvent mettre en place des politiques si elles ne sont pas inspirées par le milieu qu’elles doivent soutenir.
Quel était le problème de fond de l’expérience Africa Cinémas ?
Le problème du programme Africa Cinémas était lié aux mécanismes mis en place autant qu’à la faiblesse des opérateurs locaux. Pour avancer sur le terrain, il aurait fallu pouvoir associer un groupe d’exploitants et de distributeurs qui auraient pu accompagner le programme en termes de réflexion et de propositions de contenus. Cela aurait permis que les bailleurs ne définissent pas les choses de façon isolée.
Ce qui suppose une écoute des attentes formulées.
On peut effectivement se demander s’ils ont le désir de tenir compte d’avis parfois divergents des leurs. De même pour les États. Ont-ils envie que des organisations professionnelles se structurent pour représenter un contre-poids à leurs politiques ?
Y a-t-il suspicion de corporatisme ?
Dans le cas d’Africa Cinémas, la volonté sur place des distributeurs et des exploitants de s’organiser a tout de suite été perçue comme une tentative de récupération de fonds par certains partenaires institutionnels mais aussi par des auteurs. Dans le système actuel, ce sont les réalisateurs qui ont la plus grande visibilité et peuvent mettre leurs revendications en avant en termes d’aide à la production, au risque de ne pas tenir compte des intérêts des autres professions. Ils ont un talent certain mais pas toujours l’expertise pour défendre certains dossiers.
Il y a donc opposition entre une logique de créateurs défendant les aides à la production et une logique entrepreneuriale qui n’arrive pas à se mettre en place, si bien qu’il n’y a jamais les retours sur investissements qui permettraient à chacun de vivre de son métier !
Absolument. La tentative d’organisation des exploitants et distributeurs a tout de suite été phagocytée par des réalisateurs qui sont plus proches des partenaires institutionnels et des pouvoirs politiques en Afrique. Ils ont une voix qui porte. On s’adresse plus facilement à eux. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, les organisations professionnelles ont un bureau composé des sensibilités du milieu et un exécutif dont le profil n’a rien à voir avec les auteurs-réalisateurs. On recherche de véritables techniciens pour élaborer les dossiers et travailler à des propositions. Nous n’en sommes pas encore là.
Quelle avait été au fond la raison essentielle de votre démission de la direction d’Africa Cinémas ?
J’avais rapidement constaté que les mécanismes n’étaient pas adaptés aux réalités du terrain, un constat partagé aussi bien par les professionnels que les partenaires institutionnels. Des propositions ont été faites qui auraient dû être transmises par Europa Cinémas, la structure associative qui portait le programme, aux partenaires institutionnels. C’est lorsque j’ai compris que ce n’était pas son désir que j’ai démissionné. Je ne voyais plus d’efficacité dans mon travail.
Il avait également été question d’une prise en charge du programme par une organisation professionnelle africaine.
Oui, c’était une piste parmi d’autres. La structure Europa Cinéma n’était pas adaptée à la gestion d’un tel programme qui nécessite une intervention sur le terrain. Mais dans la mesure où les professionnels se sont organisés, cela a été perçu comme un hold-up. Ce qui a instrumentalisé le débat sans répondre à la question de savoir comment suppléer au manque de distributeurs sur place et aider les exploitants cherchant à se professionnaliser.
En revient-on à une seule aide à la production ?
Non, une réflexion est en cours, soutenue par une évaluation menée par Kitia Touré. La difficulté est de trouver les mécanismes adaptés à une réalité en évolution très rapide. Le programme Africa Cinémas restait davantage inspiré par le souci de permettre à des œuvres d’exister que par une logique entrepreneuriale. Je forme le vœu que les réflexions actuelles permettent de se dégager des seules contraintes liées à l’aide à la production pour favoriser la structuration des entrepreneurs. Un tel programme doit, sur une durée déterminée, mettre en place les conditions leur permettant, lorsqu’il s’arrête, de voler de leurs propres ailes.
Ne tourne-t-on pas en rond en soutenant les entrepreneurs sans que l’encadrement réglementaire, juridique et fiscal ne soit mis en place par les États ?
Absolument, mais les deux peuvent aller de paire. Les entrepreneurs sont tellement étranglés qu’une aide extérieure leur permettrait de souffler pour leur permettre d’exercer les pressions nécessaires pour une évolution des politiques nationales. Il était clair dans le programme Africa Cinémas qu’il ne pouvait réussir sans l’implication des administrations nationales en charge du cinéma, notamment au niveau fiscal qui étrangle les exploitants. La fiscalité directe va jusqu’à 38 % des recettes tandis que certaines salles voient devant leurs portes les cassettes piratées des films qu’elles passent ! Un programme extérieur ne peut créer cet environnement.
Le bilan du plan Images Afrique est-il aussi négatif qu’on le dit ?
C’était un très bon plan qui n’a pas eu les résultats escomptés, mais qui devrait s’inscrire dans les nouvelles politiques, à savoir sensibiliser et accompagner les opérateurs nationaux à développer des initiatives visant à la structuration du marché. Le soutien aux télévisions proposait par exemple une aide pour la restructuration des régies publicitaires afin de dégager des ressources à consacrer à la production locale. Il est fondamental de conditionner l’aide à une implication des États dans leur volonté de mettre en place des politiques nationales. On sortirait du saupoudrage en ne soutenant que les États qui le font. Ce serait stimulant pour les organisations professionnelles dans leur travail de lobbying et cela permettrait aux coopérations de se réclamer d’une efficacité à long terme. Abdou Diouf a indiqué au festival de Cannes de mai 2006 que la Francophonie voulait résolument s’inscrire dans cette optique.
Les accords de coproduction mis en place par Dominique Wallon lorsqu’il était à la tête du CNC (Centre national de la cinématographie) exigeaient d’avoir comme partenaire dans le pays un équivalent capable de gérer la relation. On retrouvait aussi cette perspective dans le plan Images Afrique.
Oui, mais il est regrettable que cette politique n’ait pas été assez appuyée. Les accords de partenariat avec le CNC n’ont pas été suivis par des réunions de bilan.
N’est-il pas contradictoire de vouloir lutter contre le piratage alors qu’il permet à des films d’être bien mieux diffusés ? Il semble qu’en plus, on ne puisse pas aller contre. La solution de rémunérer correctement les droits de diffusion institutionnels ne s’impose-t-elle pas ?
Ce discours se situe dans une logique d’auteur, mais pas dans une démarche d’entrepreneur : si on investit dans une œuvre, on veut en tirer des bénéfices. Où est le retour sur investissement ?
Peut-on aller contre la logique mondiale qui s’impose ? Ne faut-il pas développer en alternative des voies originales de remontées de recettes ?
J’attends de voir ce qu’elles pourraient être. Pour l’instant, l’économie du cinéma est liée au droit d’auteur. Les pays développés arrivent encore à s’accommoder de la piraterie, mais dans nos pays, il n’y aura dans ces conditions jamais d’investissements d’envergure dans le secteur tant qu’on n’agira pas. Je crains qu’on tourne en rond dans le cadre d’une non-économie qui ne repose que sur des subventions. Il ne s’agit pas d’éradiquer la piraterie mais d’assurer au moins une partie des remontées de recettes.
L’Afrique pourrait-elle aller plus vite que le reste du monde en forçant ces entreprises à gros profit que sont les opérateurs de téléphone mobile et les fournisseurs d’accès Internet à participer au financement des œuvres ?
Sans doute, mais ces questions ne sont pas posées. Nous assistons de façon passive aux évolutions. Tout cela va exploser dans les années à venir. Si dès le départ, le marché n’est pas encadré, cela sera très difficile ensuite. On en revient au manque d’organisations professionnelles portant ces questions et on en reste à des réflexions individuelles. Les partenaires institutionnels ne peuvent pas tout faire, mais des mécanismes d’accompagnement à ce niveau seraient bienvenus.

///Article N° : 5829

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