Il va pleuvoir sur Conakry

De Cheick Fantamady Camara

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C’est d’avion que nous découvrons Conakry sur un air de rap durant le générique, mais c’est sur l’eau de la mer qu’il se termine : c’est bien dans la ville que nous plongeons mais c’est aussi dans le sentiment, voire la sexualité car le film démarre ensuite sur un couple nu sur un lit. L’image choc annonce une liberté de ton dont le film ne se départira jamais : c’est bien les hypocrisies et manipulations de toutes sortes que Cheick Fantamady Camara entend dénoncer. D’abord celles qui enferment la jeunesse dans des interdits rétrogrades, ensuite celles qui font de la religion un outil de répression au niveau de la famille mais aussi un outil du pouvoir en soutenant la prière de l’imam supposée provoquer une pluie prévue par la météo, enfin celles qui permettent aux politiciens de figer la société plutôt que de la faire évoluer. Autant dire que Camara tire tous azimuts. Mais ses flèches restent subtiles et c’est la grande qualité de ce film de facture populaire apte à toucher un large public (d’ailleurs honoré par le prix RFI du public au Fespaco 2007) : même pris dans des histoires sentimentales ou familiales dignes d’un feuilleton, ses personnages conservent une heureuse complexité évitant tout stéréotype et ouvrent donc à une vraie réflexion.
Il va pleuvoir sur Conakry ne s’inscrit pas dans l’opposition tradition-modernité dans laquelle on continue d’enfermer les cinémas d’Afrique sans percevoir l’évolution de leurs thématiques. Le jeune Bangali, affectueusement appelé Bibi par les deux femmes qui se le disputent, subit mais ne refuse pas les traditions. Il écoute attentivement l’oracle des cauris que lui tire un ami sur la plage et ne sait comment résister à son père imam qui lui impose de lui succéder : « on peut refuser un cadeau mais pas un destin ». Son père ne s’oppose d’ailleurs pas non plus au fétichisme de ses ancêtres et mélange volontiers les deux croyances.
Bangali n’est donc pas un rebelle, malgré l’impertinence de ses caricatures publiées dans le quotidien L’Horizon. Il est empêtré dans un mal être qu’il ne sait gérer, coincé entre son désir d’affirmation et le désir du père, ce qui confère à son personnage une universalité propre à parler à chacun. Comme sa sœur qui se cache pour sortir en boîte et remet le foulard de retour à la maison, il n’ose annoncer sa relation avec la belle Kesso à son père. La potentielle Miss Guinée ne sait elle-même comment lui dire qu’elle est enceinte. C’est dans ces non-dits et ces obstacles à la parole que le scénario de Camara puise ses qui pro quo et ses retournements, conservant au film une dynamique permanente.
Personne ne refuse ainsi l’héritage mais chacun essaye d’en négocier les termes. Ce n’est que lorsque les anciens ne respecteront pas leur parole et piégeront les jeunes que le drame se nouera, lourd de conséquences. Tenté par une vengeance parricide, Bangali hésitera à trucider son géniteur mais se retient : ce n’est pas au meurtre du père qu’invite Camara mais à une patience déterminée, ce qui suppose de savoir vers quoi on veut aller. Son film appelle les jeunes Africains non à rejeter leurs parents mais à dialoguer pour les faire évoluer. Et donc à savoir ce qu’ils veulent défendre. Sa liberté de ton est une direction proposée : cette jeunesse en chaleur mais interdite de piscine a la plage comme recours, elle a son insolence comme arme, son aspiration à la liberté d’expression comme programme. On voit d’ailleurs l’effigie du journaliste burkinabé assassiné Norbert Zongo sur un mur du studio. Cela demande donc du courage et Bangali ne manque pas de détermination : c’est parce qu’il ira jusqu’au bout en prenant tous les risques que le film peut se terminer en happy end malgré le drame. Il n’est pas le seul : les jeunes femmes de son film prennent autant de risques et sont tout aussi déterminées. Leur opinion compte et leurs exigences sont légitimes. La société future ne se construira pas sans elles.
Par le choix des gestes, des décors, des habits, des couleurs, des musiques (et notamment celle du grand Wendel qui réalisait une fusion de jazz africain) autant que par le positionnement de ses personnages, Camara rappelle sans cesse qu’on peut puiser dans la tradition pour enrichir la modernité. La grande table ne sépare le père et le fils que le temps d’un plan, jusqu’à ce que Bangali annonce qu’il est prêt à donner sa vie pour son enfant : ce qui intéresse Camara dans la tradition, ce sont les valeurs qu’elle véhicule, que la modernité ne respecte pas.
Un scénario donnant non sans humour une grande place au dialogue, des jeux sentimentaux entre les deux prétendantes de Bibi, des personnages à qui tout arrive en l’espace d’un film : les ingrédients du cinéma populaire sont respectés. Cheick Fantamady Camara nous avait habitué à davantage de métaphores dans ses courts métrages, et moins d’académisme dans les scènes d’intérieur. Un peu plus de mise en scène n’aurait ni éloigné le public ni trahi le propos. Elle aurait davantage ouvert à l’émotion et ainsi renforcé l’indéniable poids de Il va pleuvoir sur Conakry pour le temps présent.

///Article N° : 5862

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