« Si on ne s’arrête qu’à la couleur, c’est nuisible pour tout le monde. »

Entretien d'Olivier Barlet avec Mariame N'Diaye, actrice et dramaturge

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Mariame N’Diaye, bonjour. Nous sommes au Festival de Cannes, 60e édition. Vous êtes à la fois actrice de cinéma et de théâtre et dramaturge. Quelle serait pour vous la principale préoccupation qui relierait ces différentes activités ?
J’en ai plusieurs. Je suis dans une situation particulière : mes parents sont nés au Mali, moi en France et j’ai donc toute cette double culture. Dans le cinéma et le théâtre, mon souci est de pouvoir concilier ces deux visions du monde qui sont complètement différentes, traiter de sujets à la fois légers et profonds tout en gardant une certaine authenticité sans que l’on me taxe de Française ou de Malienne exclusivement. J’aimerais montrer que je suis un mélange, que c’en est un beau et qu’il marche. Je rencontre parfois des difficultés mais ce mélange m’apporte aussi beaucoup de joie. Ce double héritage n’est pas un poids pour moi.
Ce souci vient-il du fait que vous êtes vous-même enfermée par un environnement, les médias, par tout un contexte, dans des rôles bien figés ?
Pour l’instant, on ne m’a pas proposé de rôles figés. J’ai eu la chance de jouer sous la direction de Pascal Thomas qui m’a offert le rôle d’une avocate ; de Newton Aduaka qui m’a offert celui d’Onitsha dans Ezra, un personnage vivant en Sierre Leone et donc particulier ; et dans ma pièce de théâtre, je raconte l’histoire d’une jeune fille qui est célibataire et dont on ne mentionne pas du tout la couleur. Je continue, dans ce que je propose, à ne pas me figer moi-même dans des cases. Après, si l’on me propose des rôles plus figés, ce serait dommage. On est dans un domaine artistique créatif et il vaudrait mieux ne pas limiter les gens de par leur couleur. Dans le cinéma français, j’ai l’impression que c’est le cas.
Avez-vous l’impression que cela correspond à un vécu que vous avez dans la société française en habitant à Paris ?
Non, je n’ai pas ce souci-là. En tout cas, je ne sens pas ce regard-là sur moi mais peut-être est-ce parce que ce n’est pas un fardeau pour moi d’être celle que je suis et que les gens le ressentent. Les conversations que j’ai ne tournent jamais autour de ce sujet mais toujours autour d’autre chose, d’une histoire à raconter tout simplement. Dans cette histoire, on intègre des personnages et on ne mentionne pas forcément la couleur. Elle peut l’être si elle a un sens, si c’est un besoin de la mentionner. J’avance dans la société et dans ce que je fais sans me freiner à cause de ma couleur. Je suis moi, Mariame N’Diaye est c’est le plus important.
Vous avez écrit une pièce de théâtre que vous jouez vous-même. Quel en est le thème ? Qu’est-ce qui vous a amené à jouer vous-même le rôle ?
Elle s’intitule Excusez-moi, Monsieur. C’est l’histoire de deux jeunes ex-meilleures amies d’enfance, Sophie et Amandine, qui se retrouvent après quinze ans par hasard à un arrêt de bus. Elles ne se reconnaissent pas tout de suite et quand le déclic se fait, comme elles ont presque la trentaine, elles ont ce besoin d’avoir rempli leur vie, d’avoir réussi leur vie. Elles racontent beaucoup de choses, pas entièrement vraies ni entièrement fausses mais en fin de compte, on s’aperçoit qu’il y a de grosses incohérences. Finalement, elles finissent par dévoiler qu’elles n’ont pas des « supers boulots » et sont célibataires. Comme elles ont gardé en mémoire ces souvenirs des jeunes filles qu’elles étaient, qui faisaient les quatre cents coups, elles se disent : « Pourquoi ne pas recommencer ? » et grâce à cette énergie nouvelle, trouver ou plutôt retrouver l’homme de leur vie. On les a mises dans différentes situations : elles font les soirées célibataires, les speed-datings, et plus elles en font, plus elles s’éloignent des hommes parce qu’elles n’appliquent pas les bonnes méthodes.
D’une part, je voulais montrer que notre société de consommation conditionne même les relations humaines : il faut tout, il le faut maintenant et il le faut vite. D’autre part, cet oubli qu’on a tous et qui est de savoir que parfois, le hasard fait bien les choses. De temps en temps, il faut laisser le hasard, le destin, amener des petits morceaux de vie. En ce qui concerne les personnages, il y en a une qui est noire, juste parce que c’est moi qui la joue, mais on ne le mentionne pas. J’ai trouvé cela intéressant que ça ne soit pas mentionné et qu’on voie simplement deux jeunes femmes à la recherche d’une quête. Cela passe très bien : pourquoi se compliquer la vie à vouloir le justifier ? J’ai vécu une super expérience et le public a été formidable. Il faut juste le proposer et cela coule de source : les gens l’acceptent très bien.
Est-il spécifié dans les didascalies de la pièce qu’un des personnages est noir ?
Pas du tout. Cela a été spécifié lors de la présentation du spectacle dans les encarts et j’ai trouvé ça dommage car nous n’avons pas été consultés : jamais je n’aurais demandé à ce que cela soit mentionné. Le texte était le suivant : « L’une est noire, l’autre blanche ». Cela n’apporte rien. Ce n’est pas le propos, ce n’est pas ce qu’il faut mettre en lumière.
Vous allez dans le sens de choses que l’on trouve finalement très rarement au cinéma : Claire Denis fait exception lorsqu’elle attribue un rôle de médecin à Alex Descas. Sa couleur de peau n’a rien à voir avec le récit.
Tout à fait. La société est comme ça, les gens ont différentes couleurs, ce n’est pas un fait rare. Ils exercent aussi différentes fonctions. Si on ne s’arrête qu’à la couleur, c’est nuisible pour tout le monde. Cela limite la création, la créativité. Cela limite aussi les gens dans leur métier : je suis tributaire d’une façon de voir la société qui n’est pas la mienne mais malheureusement, je ne décide pas toute seule… Je suis comédienne. J’ai suivi une formation, pas pour jouer dans des rôles stéréotypés mais pour pouvoir tout jouer au cinéma comme au théâtre et à la télévision. Après, c’est un échange de personnes et de relations. La couleur est un détail. Cela peut être un plus mais ne devrait pas être un moins.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer à l’écriture d’une pièce de théâtre ?
C’est venu de manière un peu inopinée. J’avais envie de faire avancer les choses, je ne voulais pas être en position d’attente. J’ai commencé à écrire avec ma collaboratrice Céline Malherbe et les choses se sont enchaînées assez vite. J’avoue que ce n’est pas venu d’un désir profond d’écriture mais cela ne me dérangeait pas d’écrire à ce moment-là. Par contre, cela m’a donné envie d’écrire parce qu’en écrivant, j’arrive à faire avancer la machine à mon niveau alors je me dis « Pourquoi ne pas continuer ? ». A présent, j’ai un désir d’écriture plus franc. Cette pièce de théâtre était presque comme un défi où je me suis dit que je sortais d’une école de théâtre et que je n’avais rien à perdre. J’ai pensé qu’on verrait bien ce que ça donnerait. Ça a donné quelque chose de positif et j’ai envie de continuer dans cette voie-là.
Vous avez joué la pièce un certain temps…
Oui, on l’a jouée une première fois en 2006 à la salle Adyard, puis huit dates au Théâtre de l’Essaïon et enfin quatre mois au Mélo d’Amélie de janvier à mai 2007.
Qu’en était-il au niveau réception ?
Un public tout à fait enchanté, très admiratif du travail sur scène car il y a beaucoup d’énergie. Il était très réceptif, notamment par rapport aux jeux de mots, et chaleureux. Je ne m’y attendais pas du tout. Je suis très contente que notre travail ait été perçu de cette façon. Que du bonheur, ce qui donne envie d’aller encore plus loin. C’est une expérience qui m’a énormément enrichie.
Avez-vous participé à la mise en scène ?
Non, c’est M. Bernard Comte qui a fait toute la mise en scène du spectacle. C’est aussi lui qui nous a insufflé de bonnes idées par rapport à ces deux personnages. La mise en scène et les deux personnages se complètent très bien. C’est une très belle création.
Parlons à présent du nouveau film de Newton Aduaka, Ezra. Comment se passe cette articulation entre le théâtre et le cinéma ? Comment la vivez-vous ? Y a-t-il une grande différence entre le métier d’actrice de cinéma et comédienne de théâtre ?
Pour moi, il n’y a pas de différence au niveau des émotions. C’est un travail personnel pour lequel j’essaie d’être la plus authentique et la plus spontanée possible, sans trop réfléchir ni calculer ce que je fais. Ce qui change, ce sont les méthodes et techniques. Au théâtre, je peux prendre mon temps pour préparer mes scènes ; au cinéma, les scènes à préparer sont très longues, il y a des coupures, pas de chronologie. C’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile au cinéma. Donc ce n’est que la technique utilisée dans l’un et l’autre corps de métier qui diffère.
Vous insistez sur le fait de rentrer dans un personnage. D’un côté, au théâtre, il y a un public qui réagit et de l’autre côté une caméra…
Pour moi, tout se passe aussi dans la tête. Quand je suis dans une scène que je dois tourner pour le cinéma, toutes les émotions sont dans ma tête. Effectivement, je n’ai pas de public face à moi mais ce n’est pas grave car, une fois la scène arrêtée, je reste quand même dans mes émotions. Au théâtre, bien sûr, j’ai un retour. Mais on doit quand même rester dans ses émotions parce qu’on peut se laisser facilement perturber par un public qui réagit énormément ou qui ne réagit pas du tout. La difficulté du théâtre est là : quoiqu’il arrive, quelle que soit la réaction du spectateur, il faut rester dans son personnage. Il ne faut pas en faire plus ni en faire moins.
Dans le rôle d’Onitsha que vous interprétez dans Ezra, vous devenez très vite muette car on vous coupe la langue. C’est donc un personnage qui va devoir tout exprimer par son corps, avec tout le danger de la théâtralité. Comment avez-vous géré cela ? Comment cela s’est-il passé avec le réalisateur ?
J’ai eu de la chance car Newton m’a laissé complètement libre de mes actions. Il m’a très peu guidé et j’ai suivi mon instinct. Pour moi, mon personnage est rempli d’espoir, de douleur et de joie combinés, ce qui est très difficile à jouer. Effectivement, je ne voulais pas tomber dans les excès d’une jeune fille complètement effondrée. Je voulais juste montrer une jeune fille qui contient énormément de choses mais qui laisse transparaître, de par son corps et son regard, toutes ses émotions. Pour cela, il fallait une certaine retenue mais les conditions de tournage ont fait que je suis rentrée de plain-pied dans ce personnage. Le fait de ne pas pouvoir parler était une retenue supplémentaire ajoutée au personnage. Sa douleur et sa joie vont de pair : à chaque fois qu’elle voit son frère, c’est une douleur puisqu’elle a perdu ses parents aussi à cause de lui, mais c’est aussi une joie parce qu’elle le retrouve. J’ai essayé de garder une certaine distance par rapport au personnage.
Si on lit plus loin dans ce personnage, elle représente aussi une Afrique à qui on enlève la parole. Comment l’avez-vous ressenti et comment avez-vous fait pour le faire ressortir ?
Je l’ai senti après, pas sur le tournage. Après que tout soit fini, j’ai en effet ressenti le silence d’Onitsha comme le silence de toute une Afrique, de tous ses hommes et de toutes ses femmes à qui on ne donne pas la parole. C’est aussi à ce moment-là que je me suis rendue compte que son silence était aussi sa force. C’est parce qu’elle ne peut rien dire qu’elle est d’autant plus présente. Puisque c’est une métaphore, on se rend bien compte que ce silence-là aurait pu la tuer et qu’il ne l’a pas tué. Elle a quand même continué à avancer. J’aimerais que ça soit pareil pour l’Afrique. On voit aujourd’hui qu’elle se met à bouger. Je trouve cela formidable d’avoir ce parallèle-là entre mon personnage et cette Afrique car cela va dans le même sens, celui d’une ouverture, d’un espoir. On se dit qu’enfin, au bout, il y a la lumière. Et qu’il ne peut qu’y avoir de la lumière car on a connu tellement de souffrances. Onitsha y croit et j’espère que l’Afrique y croit aussi. C’est vraiment cela qui nous alimente, nous les comédiens.
Qu’en est-il pour vous aujourd’hui ? Est-ce qu’Ezra vous ouvre certaines portes ? Y a-t-il d’autres choses sur lesquelles vous aimeriez travailler ?
Oui, évidemment. Ezra m’aidera peut-être ou pas. Pour moi, la seule dominante est le travail. Je continue à travailler en dehors de ce que j’ai pu faire. Cela passe par les rencontres mais aussi par mon assiduité. Je sens qu’Ezra a une bonne réception du public et j’en suis très contente pour l’équipe entière. On verra : « Inch’Allah » comme on dit. Continuons à travailler, à nous rencontrer et à nous écouter, et tout peut fonctionner.
On est confortablement assis sur une terrasse du Pavillon du Sud au Festival de Cannes, tout le monde s’agite autour de nous. Vous êtes arrivée hier. Quelle est votre impression ?
J’ai l’impression que tout est possible. Tellement de gens grouillent autour de nous que je me dis qu’avec un brassage pareil, c’est déjà une chance d’être là. Il suffit d’avoir envie, d’être passionné et je pense que cela se voit. Le bonheur attire le bonheur. C’est une exaltation, c’est un bain de foule mais cela fait du bien. Quand il faut y aller, il faut y aller. Alors sautons dedans à pieds joints !

///Article N° : 5976

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Mariam N'diaye © Olivier Barlet





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