La parole d’une femme qui aime les mots

Entretien de Sylvie Chalaye avec Mercédès Fouda

Limoges, septembre 1998
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En résidence d’écriture à Limoges, Mercédès Fouda est une jeune Camerounaise de trente ans dont les oeuvres dramatiques ne sont pas encore publiées mais dont l’humour et la plume satiriques se sont déjà largement fait remarqués.
Une de ses pièces, A la tête du client, créée au Centre Culturel Français de Yaoundé, a remporté en avril dernier l’Arlequin d’argent du Festival des Arlequins à Cholet. Il s’agit d’une farce grinçante qui traite du sida et met en scène deux roublards qui ont monté un faux laboratoire d’analyse. Ils donnent les résultats sur des critères farfelus. Les jeunes filles mignonnes qui acceptent de payer en nature repartent avec des résultats rassurants, mais les messieurs qui ne supportent pas la même équipe de foot, ou ne militent pas dans le même parti se retrouvent séropositifs, jusqu’à ce que les deux comparses découvrent que les filles qu’ils avaient fait payer en nature sont mortes du sida… Le théâtre de Mercédès Fouda semble reposer presque systématiquement sur des situations extrêmes de la vie ordinaire.

La Compagnie Ngoti vient de monter votre dernière pièce à l’Alliance Franco-camerounaise de Garoua et s’apprête à partir en tournée. Quel en est le sujet ?
Vivre mort se passe sur un échafaudage où travaillent des ouvriers à différents paliers, chacun symbolise une classe politique. Peu à peu, on se demande si ce chantier de construction n’est pas plutôt un vaste chantier de déconstruction. Et grâce à la détermination d’une  » bayam salam  » on découvre que le contremaître creuse en effet des gouffres financiers.
Qu’est-ce que vous appelez une  » bayam salam  » ?
Au Cameroun, ce sont des femmes qui font la navette entre la campagne et la ville pour revendre en ville la production des campagnes. Elles approvisionnent ainsi les chantiers et les restaurants de proximité dans les grandes administrations.
Vous êtes aussi l’auteur d’une pièce qui s’intitule Maman foetus (petite pièce anatomique à vocation  » orthogénique « , pour les jeunes filles et adolescentes de chez moi et d’ailleurs). Est ce que, en tant que femme, il y a des sujets qui vous tiennent plus particulièrement à coeur.
A priori, je ne réfléchis pas en tant que femme, mais il se trouve que je suis une femme. Je ne me dis pas :   » en tant que femme c’est ça qui me préoccupe « . Mais en tant qu’être humain, il y a des sujets qui me tiennent a coeur. Tout ce qui touche à l’être, son identité, sa liberté, son expression, la tolérance… Ce sont les sujets de société qui m’occupent. Bien sûr, en tant que femme, j’ai sans doute une sensibilité plus accrue pour un domaine ou pour un autre, mais il n’y a pas de déterminisme dans le choix de mes sujets. Et d’ailleurs, dans mes pièce, j’aime a toucher plusieurs problèmes en même temps : les rapports homme-femme, le couple, les conflits de générations… Mes pièces sont plutôt des patchworks.
Comment êtes vous venue au théâtre ?
C’est un atavisme. J’ai baigné dedans toute petite grâce à mes parents qui sont très littéraires. Ils me faisaient réciter les fables de la Fontaine avant de m’endormir. Puis, le goût de l’écriture m’est venu naturellement. J’ai commencé toute gamine en imitant bien sûr les fables de La Fontaine. Puis, à l’adolescence, j’écrivais des amourettes que j’ai malheureusement perdues un jour dans un aéroport. Mais j’ai vraiment décidé d’écrire, il y a seulement quatre ans. Je travaillais au Centre Culturel Français de Yaoudé. J’ai alors écrit ma première pièce, mais ce n’était pas facile de concilier les deux et j’ai préféré partir pour me consacrer à l’écriture. Cela fait deux ans que je me consacre à temps plein à l’écriture. En fait, je suis venue à l’écriture autant par vocation que par défi.
Vous êtes une des premières dramaturges africaines. Est-ce plus difficile pour une femme d’écrire du théâtre ?
Pour tout ce qui touche au domaine artistique, la difficulté pour les femmes vient du fait de n’être pas prises au sérieux. Devenir artiste, c’est un choix, comme on choisit d’être médecin ou journaliste et l’art n’est pas une voie de garage pour ceux qui ne savent rien faire d’autre. Mais c’est ainsi que les artistes ont le malheur d’être considérés au Cameroun, comme des gens qui n’ont pas réussi ailleurs et qui font de la débrouille dans le milieu culturel.
J’ai aussi eu des difficultés à imposer ma manière d’aborder le théâtre. Au niveau du langage, je n’aime pas l’académisme. On m’a reproché d’utiliser le langage de la rue. Mais j’écris avec la langue telle que je la sens. Ce sont les personnages qui imposent leur langage.
Vous semblez justement vous intéresser au maniement de la langue. Vous avez remporté un prix d’orthographe.
C’était les Dicos d’or, la fameuse dictée de Pivot, mais il a 10 ans…
Vous avez publié en 1996 un ouvrage linguistique qui s’intitule Le Franco-faufile illustré.
C’est un peu pompeux de l’appeler ouvrage linguistique. Il a été publié par la Mission française de Coopération à Yaoundé. Comme partout ailleurs, il y a des particularités de la langue ; les gens au Cameroun se sont réapproprié le français de manière assez extraordinaire. Plutôt que de recenser ces expressions sous la forme d’un répertoire raisonné, comme un dictionnaire, j’ai préféré faire un roman où le lecteur est le héros. Je l’entraîne à la découverte de la ville et il est amené à utiliser ces expressions locales que je lui explique.
Mais je crois que vous préparez aussi une pièce sur la parole ?
J’avais proposé, comme projet d’écriture, une fable sur la parole, la parole métaphore du pouvoir. La situation n’a pas de lieu spécifique. Des vieux constatent que la parole s’épuise ; après enquête, ils découvrent que ce sont les jeunes qui utilisent la parole n’importe comment. Et pour qu’il n’y ait pas pénurie, ils décident de récupérer le peu de parole qui reste et de le redistribuer parcimonieusement à des bénéficiaires triés sur le volet, et cela déclenche des catastrophes. Mais actuellement je profite du festival. C’est une ambiance extraordinaire : j’engrange beaucoup d’expériences, je fais des rencontres, je thésaurise… J’inspire avant d’expirer !

///Article N° : 603

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