Les producteurs compétents manquent…

Entretien d'Ayoko Mensah avec Souleymane Koly

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Il a fondé et dirige, depuis 1974, l’une des compagnies les plus populaires d’Afrique de l’Ouest : l’ensemble Kotéba d’Abidjan. Metteur en scène, auteur et producteur, Souleymane Koly réussit non seulement à faire vivre une troupe d’une trentaine d’artistes mais aussi à produire deux jeunes groupes issus du Kotéba : Les Go, trio musical féminin de choc, et le Jeune ballet d’Afrique Noire (J-Ban).
Ancien danseur et chorégraphe, il compte parmi les pionniers de la création chorégraphique contemporaine en Afrique. Un secteur artistique aujourd’hui en pleine effervescence créative mais qui manque cruellement, plus encore que tous les autres, de producteurs. A.M.

Souleymane Koly en 5 dates :
1944 : Né à N’Zérékoré en Guinée.
1964 : fuit la Guinée de Sékou Touré. Etudie les sciences sociales à Paris.
1971 : s’installe en Côte d’Ivoire.
1973-1984 : expert chargé d’études à la Direction du Plan.
1974 : fonde l’Ensemble Kotéba d’Abidjan.
L’ensemble Kotéba d’Abidjan :
il se définit comme  » un théâtre du corps et du son « , à la fois  » héritier des traditions et reflet des villes africaines « . Le Kotéba a inventé un nouveau style de spectacle où se mêlent théâtre, musique et danse. Parmi ses spectacles les plus renommés : Adama Champion (1981) ; Tous unis dans nos Wax (1990) ; Waramba, opéra mandingue (1992).
Les Go : trio de chanteuses créé en 1991.
Le Jeune ballet d’Afrique noire : créé et dirigé depuis 1995 par Rokiya Koné, chorégraphe de l’ensemble Kotéba.
Vous êtes initialement danseur, chorégraphe et metteur-en-scène, quand êtes-vous devenu producteur de vos spectacles ? Et pourquoi ?
Je suis arrivé à la production un peu par la force des choses. Le métier n’existe quasiment pas en Afrique ; et quand c’est le cas, les considérations commerciales semblent prévaloir sur tout le reste. Du coup, j’ai préféré chercher moi-même les financements qui nous permettent de faire ce que nous voulons au plan artistique.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la production du dernier album des Go ? Et celle du dernier spectacle de Kotéba ou du J-ban ? (recherche financière, choix artistiques, négociation de la distribution et de la diffusion, etc.)
D’une manière générale, nous comptons d’abord sur nous-mêmes pour apporter le financement majoritaire de nos œuvres. Pour cela, nous réalisons des économies sur les cachets que nous percevons pour les représentations de nos spectacles. Le dernier album des Go, Kanoun, a été financé majoritairement par Koteba avec un soutien de la maison de production MSL Jat Music à Abidjan.
J’ai proposé aux Go le concept du groupe. On discute ensemble des choix artistiques. Une fois que nous les avons définis, mon rôle de producteur est aussi de veiller à ce que ces choix soient respectés par nos partenaires techniques, notamment les arrangeurs. Co-producteur de l’album, Jat Music s’occupe aussi de la diffusion en Côte d’Ivoire. Pour l’international, nous sommes encore en discussion.
Le J-Ban (Jeune ballet d’Afrique noire) est entièrement produit par Koteba. Les choix artistiques sont réalisés par Rokiya Koné, auprès de qui j’interviens en qualité de conseiller.
 » Allah-Ma « , la dernière œuvre de l’Ensemble Koteba au grand complet est une coproduction internationale co-financée par Koteba, le Certhem de Bamako, le Centre culturel français d’Abidjan, avec le soutien de la Coopération française, des Missions françaises du Mali et du Cameroun et de l’Agence de la francophonie.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez en tant que producteur ? En Côte d’Ivoire ? A l’étranger ?
Il n’existe pas à proprement parler, en Côte d’Ivoire, de producteur dans le sens où on l’entend en Occident. Cela vient sans doute du fait que les pouvoirs publics commencent à peine à mettre en place des structures et des mécanismes transparents de financement de la culture. Du coup, les  » producteurs  » qui existent agissent le plus souvent comme des mécènes ou des  » épiciers  » obsédés par la rentabilité immédiate. Le financement de nos productions dépend encore le plus souvent de structures et d’institutions occidentales. Cela durera-t-il ? Et, à terme, est-ce sain ?
Il est vrai que la plupart des événements culturels en Afrique sont produits par des institutions étrangères. Quelles sont, à votre avis, les conséquences de cet état de fait ?
Cela se répercute à deux niveaux. En premier lieu, nous n’avons aucune maîtrise sur les choix de production et leur mode de gestion. Nous ne pouvons que subir les décisions des instances occidentales. Si Paris décide de ne pas soutenir les 25 ans de Koteba, cela ne me fera pas plaisir mais je ne peux rien y faire…
Cette situation influence aussi le contenu même des œuvres. Les choix et les attentes de ces institutions ne sont pas forcément en adéquation avec les goûts locaux. Ce que Paris décide de produire n’est pas nécessairement ce que choisirait Abidjan, ni même les Etats-Unis… Il ne faut pas se leurrer. Si les subventions viennent de l’extérieur, cela a une influence sur les choix esthétiques.
Le nerf de la guerre est là. Si l’argent vient d’ailleurs, on ne maîtrise pas réellement la production. Aujourd’hui, les pouvoirs publics en ont conscience. Le Masa, par exemple, a été largement repris en main par les Africains. Mais tant que le ministère de la Culture ne se donne pas vraiment les moyens financiers, son indépendance reste relative.
Trouve-t-on en Côte d’Ivoire des organismes qui fédèrent ou aident les producteurs ?
En Côte d’Ivoire, des organismes sont mis en place depuis quelques années. Le FIAC (Fonds d’intervention d’action culturelle), créé par le gouvernement, octroie des prêts sous condition de garantie. Ce fonds fait partie du programme plus général des fonds sociaux destinés à aider des initiatives professionnelles. Son fonctionnement est assez transparent.
Un producteur peut aussi s’adresser au Psic (Programme de soutien à l’initiative culturelle) qui dépend de la délégation de l’Union européenne. Il faudrait créer davantage de structures de financement et rendre les interventions et les choix totalement transparents. D’autre part, une action de sensibilisation devrait être menée auprès des municipalités et des entreprises privées pour qu’elles diversifient leur éventail d’intervention.
Avez-vous appris la production sur le tas ? Selon vous, qu’est-ce que doit apporter une formation ?
J’ai travaillé onze ans au Ministère du plan où j’élaborais des projets dont j’évaluais les coûts. Lorsqu’on aborde la production, deux dimensions s’ajoutent : la recherche de financement et celle de la production exécutive. La formation de producteurs africains devrait insister, d’une part, sur la connaissance des mécanismes de financement dans le pays dans lequel on veut intervenir. Et d’autre part sur les indispensables qualités de rédaction et d’argumentation. Ensuite, comme dans toute action humaine, et peut-être ici plus qu’ailleurs, la dimension personnelle fera le reste.
Quels sont vos projets en matière de production ? Etes-vous co-producteur de l’opéra que vous allez réaliser avec une chanteuse américaine ?
Nous avons beaucoup produit ces deux dernières années. Nous allons donc nous attacher à exploiter les œuvres produites. Actuellement, nous produisons cependant la dernière création du J-Ban qui sera présentée au prochain MASA.
Koteba prépare aussi un opéra avec une chanteuse américaine, Bernice Johnson Reagon, leader du groupe Honey in the Rock. Cette création est produite par le Washington Performing Art Society « WPAS ».
Malgré le peu de structures de production, la danse contemporaine est en pleine effervescence à Abidjan. Comment percevez-vous ce mouvement ?
C’est vrai qu’il y a une réelle effervescence dans ce milieu. Elle est due, à mon avis, à plusieurs facteurs. A Abidjan, on peut dire que danse rime aujourd’hui avec dissidence. Une dissidence qui est d’ailleurs souvent encouragée par des structures occidentales. Je pense que ce phénomène touche une question de pouvoir. La Côte d’Ivoire possède plusieurs compagnies renommées, qui ont duré dans le temps et ont fini par acquérir une certaine force et donc une certaine liberté. Peut-être inconsciemment cela dérange-t-il ? Toujours est-il que Koteba, le Bin Kadi So, la Villa Ki-Yi ou Djolem sont toutes confrontées au même phénomène : des membres s’en vont et forment d’autres troupes. En Occident, on ne s’affirme que lorsqu’on se détache de la maison du père. Cette problématique, qui se situe quasiment au niveau de la psychanalyse, se pose différemment en Afrique. Il n’est pas nécessaire de « tuer » le père pour libérer sa créativité.

///Article N° : 617

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