Editorial

Eloge de l'errance

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 » Je t’aimerai
(toi le somptueux présent)
de tous mes souvenirs de nomade
envieux du puits
jaloux de la source « 
Ghaouti Faraoun
Pour une Danaïde.

Douloureux, l’exil ? Sans doute. Mais ce détachement qui fait mal ouvre à d’autres horizons, à commencer par ceux de la singularisation. Celui qui se détache se fait individu, et a bien du mal à se rattacher. On lui demande d’être authentique, de témoigner de sa culture d’origine, mais il est pris dans un mouvement permanent que rien ne peut figer. Le roulis le prend, qui l’encourage à n’être ni d’ici ni de là-bas, et pourtant à la fois d’ici et de là-bas, à oser livrer son intimité, celle qui se loge dans cet entre-deux de l’incertitude et du doute, à oser dire cette double appartenance et cette absence d’appartenance, à oser revendiquer une errance quelque soit le lieu où l’on se trouve, exilé ici mais aussi exilé là-bas, car exilé en soi, face à soi-même, pour finir par être de nulle part et de partout, seul moyen de partager avec ces autres solitaires ce qui pourrait être un langage commun, langue étrangère dans les langues dominantes, référence cosmopolite brouillant les jeux identitaires, langage planétaire qui sollicite l’origine pour mieux la dépasser. Les créations des artistes de culture minoritaire permettent à leurs semblables d’exister, d’être représentés dans la culture dominante, pour justement y prendre cette place qui leur manque, pour justement se détacher de leur origine pour créer de nouvelles références, celles du présent.
Cela demande du courage. Celui de rompre avec le sentimentalisme qui situe comme victime du monde plutôt que comme êtres responsables. Celui de rejeter un radicalisme polémique qui masque tous les conservatismes. Celui de refuser la référence ethnique identitaire qui discrimine et fomente la haine.
Mais se penser contre soi-même ouvre à la vie. C’est cette force que nous offrent les cultures africaines : celle d’être cultures de l’errance, diasporiques et sans cesse en mouvement, en résistance, en quête de territoire. Les vicissitudes historiques les ont aidé à lutter contre les fixations identitaires : elles puisent leur modernité dans leur tendance au syncrétisme. Hybrides, sans cesse en formation, riches de cette permanente mouvance, elles nous montrent que ce qui importe n’est pas de protéger son intégrité mais bien au contraire de la mettre en danger. Et que ce n’est pas dans le territoire que se situe la vie, mais bien dans sa quête elle-même.

///Article N° : 659

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