« Je pense que nous verrons l’Afrique faire de grands pas en avant »

Entretien d'Olivier Barlet avec Salim Amin, cinéaste et producteur kenyan

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Salim Amin, bonjour. Nous sommes au festival de Cannes pour la 60ème édition. Il serait intéressant de parler du film que vous avez apporté pour la projection des Cinémas du monde. Il est rare de voir des films kenyans à Cannes. Vous représentez aussi la partie anglophone de l’Afrique, elle-même rarement exposée. Vous reflétez une industrie du cinéma organisée, professionnelle, qui n’est pas très développée en Afrique. Parlez-nous de votre film, de votre présence à Cannes et de l’organisation du cinéma dans votre pays.
C’est un grand honneur d’être à Cannes. Je pense que c’est la toute première fois qu’un film kenyan y est projeté. C’est formidable de participer aux Cinémas du monde ; bien sûr, être en sélection aurait été fantastique. Ayant vu quelques-uns des films en compétition, je me demande pourquoi certains films africains ne figurent pas dans la liste. C’est dommage : ils sont tous d’excellente qualité. Il me semble que bon nombre des films sélectionnés ont été réalisés par des cinéastes réputés et ne sont pas ici grâce à leur qualité. Nous devons continuer à nous battre. Nous devons essayer d’améliorer la qualité de nos propres films et nous assurer d’atteindre le niveau requis pour qu’on ne puisse plus ignorer les films africains. Ils sont tellement bons, ils gagnent des prix partout : ils méritent une place à Cannes.
Cependant, je ne pense pas être un représentant du cinéma kenyan car Mo et Moi n’est pas une fiction mais un documentaire. Nous ne produisons pas de films pour le cinéma en tant que société : nous travaillons essentiellement sur les documentaires, les questions d’actualité. Toutefois, l’industrie kényane évolue très rapidement. Le nombre de productions augmente chaque année ; il ne s’agit pas toujours de films de bonne qualité mais développer le réseau de techniciens et de réalisateurs et prévoir les infrastructures nécessaires à la production et la postproduction prendra du temps.
Qui sont les cinéastes kenyans ? Il y a quelques années, la grande majorité des films kenyans étaient réalisés par des femmes.
Oui, et les meilleurs cinéastes du Kenya sont encore des femmes. Cependant, certains bons cinéastes masculins commencent à se faire une place dans le milieu. Ils tentent de trouver de plus gros budgets pour réaliser des films de meilleure qualité et cherchent à s’associer avec des pays de l’Afrique de l’Est, comme la Tanzanie. Ensemble, ils essaient de se procurer davantage de fonds. Il y a de plus en plus de festivals en Afrique de l’Est, qui sont très utiles pour que les cinéastes présentent leurs œuvres. Le groupe Nu Metro Cinéma, une chaîne sud-africaine, a ouvert plusieurs complexes multisalles au Kenya et en Ouganda. Ils incluent la projection de films africains. Cela implique qu’en plus d’une présentation de leur film dans un lieu commercial, les réalisateurs gagnent de l’argent. C’est très encourageant car, malheureusement, les cinéastes ne se font pas d’argent. Il est difficile pour eux de continuer à réaliser des films car ils doivent trouver les fonds. Le succès d’un seul film ne rapporte pas l’argent suffisant à en réaliser un autre. CameraPix essaie de développer le côté télévision. Je m’occupe de la création et du lancement de la première chaîne Panafricaine 24h/24 Africa 24. Elle diffusera des films africains de manière hebdomadaire ou mensuelle partout en Afrique. Je suis certain qu’elle contribuera à la découverte des talents de l’Afrique. La distribution ne se fera pas uniquement en Afrique mais aussi en Europe, en Grande-Bretagne et dans certains endroits d’Amérique. La chaîne sera disponible en français et en anglais : nous aimerions qu’elle s’adresse à un grand pourcentage de la population mondiale.
Il y aura de plus en plus de compétition entre les différentes chaînes tant que le nombre d’initiatives augmentera. Aurez-vous de l’influence sur cette compétition ?
Oui, je pense. Le modèle sur lequel nous nous basons et l’équipe avec laquelle nous travaillons contribueront à faire de « African 24 » (la chaîne) une entité puissante. Plusieurs des meilleurs rédacteurs en chef travaillent pour nous. Nous visons haut dès le début, de telle façon à être au même niveau que les chaînes CNN et BBC sur le plan de la qualité. Nous serons jugés uniquement sur cet aspect. Les gens vont penser : « La chaîne est africaine ; ça ne fait rien si l’image tremble ». Nous ne voulons pas leur accorder cette excuse. Nous avons le talent, grâce à nos journalistes et nos cinéastes.
Parlons à présent de votre documentaire, qui se trouve être de très bonne qualité. Il s’apparente aussi à un film télévisé : dans la longueur, votre manière d’aborder le sujet, le commentaire…Est-ce le produit-type que l’industrie développe aujourd’hui et continuera à développer ou y aura-t-il la possibilité de réaliser des films plus ‘artistiques’ ?
Il y a énormément de possibilités. Nous avons fait ce film pour la télévision. La version originale de Mo et Moi est un feuilleton en sept épisodes. Les festivals refusaient de projeter une série ; nous avons donc fait une version de 95 minutes. Nous avons coupé une heure. Le film a remporté des prix dans une douzaine de festivals partout dans le monde. À présent, nous voulons faire une version pour le grand écran. Les droits sont déjà acquis. Nous viendrons peut-être le présenter à Cannes en 2009. Ce ne sera pas un documentaire mais un vrai film de cinéma avec de grands acteurs. Le Mi sera retiré du titre ; il ne restera que l’histoire de Mo, racontée comme pour un vrai film de cinéma.
En ce qui concerne les autres films des réalisateurs d’Afrique de l’Est, ce sont des longs métrages proprement dit, pas des films télévisés. Malheureusement, ils passent rarement à la télévision car le système de diffusion du continent est très étrange : les diffuseurs demandent aux cinéastes d’acheter du temps d’antenne. Seulement, les cinéastes ne peuvent pas se le permettre.
C’est le cas dans d’autres pays…
Oui, dans presque tous les pays du continent que j’ai visités, à part l’Afrique du Sud. Les diffuseurs veulent que les cinéastes paient ou qu’ils trouvent un sponsor. Tant que ce système sera en vigueur, les cinéastes auront du mal à présenter leurs travaux à un public de masse. Nous voulons que « A24 » soit différent. Nous paierons les cinéastes et nous trouverons les sponsors. Au Talent, un centre de formation audiovisuel au Kenya, nous avons diplômé environ 75 étudiants sur huit ans ; les anciens sont tous excellents. Ils travaillent tous sur des films ou des documentaires ou ont monté leur propre boîte de production. L’école Talent leur offre cette opportunité. Elle utilise les nouvelles technologies bon marché et accessibles afin de rendre tout cela possible. Il y a cinq ans, nous n’aurions même jamais envisagé un tel projet car cela aurait engendré trop de coûts. La technologie a tellement évolué qu’il est aujourd’hui possible de faire des bénéfices en créant une chaîne de télévision 24h/24. Maintenant que les produits sont moins chers, plus petits et plus efficaces, je pense que nous verrons l’Afrique faire de grands pas en avant. Je mise sur la distribution des téléphones portables. C’est un outil de distribution formidable. Les Africains n’achèteront pas un poste télé haute-définition à 2000 dollars mais ils achèteront sûrement des téléphones portables de 3 volt GNA avec l’option vidéo.
Etes-vous au courant de l’initiative d’M-Net qui crée une bibliothèque des films africains ?
J’ai un peu parlé avec M-Net. Ils font ce qui leur plaît et ont tendance à privilégier les réalisateurs et sociétés sud-africains. Je me méfie. Ils seront sûrement en compétition si les procédures de licences en Afrique du Sud sont engagées. Ils parlent de licences s’appliquant à huit à dix plateformes différentes. M-Net sera donc soumis à concurrence et devra réfléchir à son fonctionnement car, en ce moment, il a le monopole. Heureusement, nous avons des archives que nous voulons numériser mais trouver l’argent est difficile. Nous possédons dix mille heures de documents filmés. Nous voulons à tout prix les conserver car il s’agit d’une des périodes historiques les plus intenses pour l’Afrique postcoloniale. Mais nous ne pouvons pas nous le permettre. J’espère qu’une autre initiative fera comprendre à la population le besoin de préserver l’histoire de la télévision et du cinéma en Afrique.
Au forum des Cinémas du monde, vous avez parlé des réalisateurs étrangers, hollywoodiens par exemple, qui viennent filmer au Kenya car les paysages sont magnifiques, mais qui viennent avec leurs propres techniciens. Pensez-vous que cela va changer ?
Nous devons prouver à tous ces réalisateurs hollywoodiens notre capacité à fournir le même talent. Au final, tous les films hollywoodiens ont un budget à ne pas dépasser : nous pouvons leur prouver que nous avons le même talent qu’eux et que nous coûtons moins cher. Les choses avancent : beaucoup de bonnes boîtes de location en Afrique de l’Est travaillent dans ce cadre, pour Tombraider par exemple, qui a été tourné en Afrique. Elles s’occupent de la logistique.
Vous dites que deux à trois millions de dollars par an sont investis dans la production de films locaux au Kenya. De quel genre de films s’agit-il ?
Des longs métrages locaux financés par des particuliers ou des sponsors. Cependant, ça ne représente pas une grosse somme d’argent pour l’industrie du cinéma et ça n’inclut pas les budgets ‘hollywoodiens’.
Plusieurs films ‘de genre’ ou de comédies sentimentales apparaissent au Kenya…
Oui. C’est tout à fait nouveau. Mais ils ont pris exemple sur le marché d’Afrique de l’Ouest. Ils ont vu le succès de certains films d’Afrique de l’Ouest, nigériens par exemple, et tentent de les imiter. Ils ont compris que les films n’avaient pas l’obligation d’être politisés ; les sujets qu’ils abordent sont beaucoup plus intéressants.
Comment l’industrie accueille-t-elle ces films ?
Il y a des problèmes au niveau de la distribution, du financement, des stocks et du matériel. La situation évolue lentement. De plus en plus de gens investissent. L’industrie kenyane doit trouver des investisseurs particuliers. Au Kenya, il y a beaucoup de riches hommes d’affaires, mais ils n’ont jamais pensé que les films pourraient être un moyen de gagner de l’argent et de faire un beau geste pour la société. Il faut éduquer cette partie de la société. C’est comme ça que fonctionne l’Occident.
Vous êtes venu avec Samuel Garrick. Bonjour, quel est votre rôle dans l’entreprise ?
Je suis agent de vente à CameraPix, ainsi qu’agent de publicité pour ma société Quantock basée à New York. J’ai mes propres agents, environ une douzaine partout dans le monde. Nous assistons aux festivals. Je me suis investi personnellement dans Mo et Moi. Je viens du milieu de la télévision ; je n’ai donc pas beaucoup hésité à participer à ce projet. Je suis ravi, c’est un honneur d’être à Cannes.
Est-ce difficile de venir à Cannes et d’essayer de vendre un film ?
Nous avons appris très tard que nous viendrions à Cannes, alors ça a été la ruée ! Nous n’avons pas eu le temps de nous préparer. Mais je ne vais pas me plaindre car c’est un honneur. Nous avons remporté une demi-douzaine de prix jusqu’ici. Sortir de la salle de projection des Cinéma du monde réchauffe le cœur : on ressent des émotions très fortes et on nous invite à d’autres festivals. Cela montre qu’entre tous les festivals, celui de Cannes est sans hésitation le ‘meilleur’.
Alors vous reviendrez bientôt !
Bien entendu !

Traduit de l’anglais par Céline Dewaele///Article N° : 6696

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