Du PRÉMA à Africa 2009, quelles avancées ?

Entretien de Malick Ndiaye avec Baba Keita

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En 1998, l’ICCROM (1) et ses partenaires lancent le programme Africa 2009 : un ambitieux projet de conservation et de valorisation du patrimoine culturel immobilier africain. Après neuf ans d’existence, quel bilan peut-on tirer de ce programme ? Œuvrant depuis 2005 au secrétariat de ce projet à Rome, Baba Keita (2), l’un de ses piliers, apporte des éléments de réponse.

Comment le programme Africa 2009 est-il né et quelles sont les raisons qui ont conduit à sa mise en œuvre ?
Africa 2009 tire son inspiration de diverses sources et expériences. PRÉMA (Prévention dans les musées africains, 1990-2000), le premier programme à long terme du Centre international d’étude pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM) axé sur le patrimoine mobilier africain a mis en évidence les problèmes de conservation du patrimoine immobilier.
En 1994, le Comité du patrimoine mondial a ainsi adopté une stratégie globale afin de favoriser la représentation de différents types de patrimoine culturel sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, jusque-là dominée par le patrimoine monumental, en particulier européen. Ce déséquilibre frappait particulièrement l’Afrique subsaharienne largement sous représentée. D’une part, à cause du manque de formation des professionnels du secteur pour monter de solides dossiers d’inscription de biens sur cette liste du patrimoine mondial. D’autre part, à cause de la faiblesse des cadres administratif, juridique et technique de gestion du patrimoine, propices à l’aboutissement de ces dossiers d’inscription.
Fort de ces éléments, le Centre du patrimoine mondial de l’Unesco estima qu’une initiative similaire au programme PRÉMA était nécessaire dans le domaine du patrimoine immobilier – sites et monuments. En 1996, sur la demande des professionnels africains, une évaluation fut menée par le Centre du patrimoine mondial de l’Unesco à Paris, l’ICCROM à Rome et le CRATerre-ENSAG – le Centre international de la construction en terre de l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble – pour déterminer l’état de conservation du patrimoine culturel immobilier en Afrique subsaharienne. Les résultats de cette étude ont permis d’élaborer une première stratégie de formation sur le patrimoine immobilier africain.
En 1998, suite à une réunion régionale sur le patrimoine culturel immobilier africain, organisée à Abidjan, Africa 2009 fut enfin lancé. Sa principale mission : améliorer les capacités nationales pour la conservation et la gestion du patrimoine culturel immobilier en Afrique subsaharienne. Cet objectif part du principe de base que le patrimoine culturel est un élément vital et nécessaire au sein de la diversité des contextes sociaux et culturels.
Africa 2009 a-t-il pu tirer profit de l’expérience du PRÉMA ?
L’expérience du PRÉMA a été déterminante dans le processus de création du programme Africa 2009. Grâce à ce premier programme de sauvegarde des collections des musées, l’ICCROM et ses partenaires ont su placer le débat patrimonial au centre des préoccupations nationales et régionales. Un réseau actif de plus de 400 professionnels de 46 pays africains a vu le jour. Ainsi, les acteurs institutionnels et techniques qui ont œuvré à la mise en place de PRÉMA sont souvent également impliqués dans Africa 2009.
Par ailleurs, les deux institutions de formation issues du PRÉMA – l’École du Patrimoine africain (ÉPA) à Porto-Novo au Bénin, et le CHDA (Centre for Heritage Development in Africa) à Mombasa au Kenya – constituent les principaux partenaires régionaux qui œuvrent à l’ancrage du programme sur le continent et à sa perennité au-delà de 2009. La synergie des deux programmes crée un nouvel environnement propice au développement d’une gestion durable du patrimoine culturel africain en général.
Comment Africa 2009 est-il structuré administrativement ?
Au plan administratif, l’organe de décision est un comité de pilotage qui représente les institutions en charge du patrimoine. Il est composé de onze membres : six directeurs africains du patrimoine culturel – trois francophones et trois anglophones – et cinq représentants des institutions partenaires (ICCROM, Centre du Patrimoine mondial de l’UNESCO, CRATerre-ENSAG, ÉPA et CHDA).
Le comité de pilotage est dirigé par un président élu pour un mandat d’un an. Le secrétariat d’Africa 2009 est installé à l’ICCROM. Il est coordonné par un responsable de programme, M. Webber Ndoro du Zimbabwe, assisté de moi-même, du Mali et de Mme Bakonirina Rakotomamonjy de Madagascar. Le secrétariat gère la mise en œuvre et le suivi du programme, ainsi que les décisions du comité de pilotage, en collaboration avec les autres partenaires.
Aux plans nationaux et régionaux, comment le programme fonctionne-t-il concrètement?
Au plan régional, le « Projet Cadre », par le biais de cours, séminaires, projets de recherche et renforcement du réseau, favorise le renforcement des capacités, la réflexion et le développement progressif des nouvelles idées, tout en garantissant la continuité des activités individuelles et la dissémination des résultats du programme. Toutes ces activités partent du principe que la meilleure façon d’aborder un problème est la collaboration et l’échange d’idées sur la base de principes directeurs concertés.
Au plan des sites, le « Projet Situé », par le biais d’opérations pratiques de conservation et de promotion, assure la visibilité des sites et l’enracinement du programme dans les réalités de terrain. Le projet Situé permet d’une part de répondre aux besoins spécifiques des sites sélectionnés et d’autre part d’assurer la formation des équipes nationales et régionales. C’est aussi un cadre d’échange d’expériences pratiques entre les professionnels du patrimoine et les communautés locales. Ainsi, les projets situés cherchent à mettre en valeur les techniques et savoir-faire locaux.
Les principaux publics visés sont les professionnels et les institutions nationales en charge du patrimoine culturel, les artisans, les communautés locales, les leaders d’opinions et les décideurs.
Comment le programme est-il financé ?
Africa 2009 fonctionne grâce au soutien régulier de partenaires financiers : l’Agence suédoise pour le développement international (ASDI) par le biais de la Direction du patrimoine de Suède, les ministères des Affaires étrangères de Norvège, de Finlande et d’Italie, le Comité du Patrimoine mondial de Unesco et l’ICCROM. Ces partenaires financiers jouent un rôle crucial dans le fonctionnement et le succès du programme qu’ils accompagnent de manière participative depuis le début. Les « Projets Situés » bénéficient aussi de financements complémentaires provenant des institutions africaines en charge du patrimoine culturel, de sociétés privées locales et internationales, d’ambassades et de fondations privées.
Quelles sont les répercussions du programme Africa 2009 ?
Grâce à son approche régionale, plus de 43 pays africains au sud du Sahara ont bénéficié des activités du programme. On constate aujourd’hui une profonde modification du paysage patrimonial africain en général, et notamment du patrimoine culturel immobilier. Ce changement se traduit par une conscience accrue de l’importance de la conservation du patrimoine culturel et par un regain d’intérêt en général pour le patrimoine immobilier et sa préservation.
En outre, Africa 2009 a permis de forger :
– un cadre institutionnel de gestion du patrimoine mieux adapté au contexte international et aux besoins africains ;
– un important réseau de professionnels actifs qui partagent une vision et une pratique communes de la gestion du patrimoine, source de probables partenariats ;
– un nombre important de cadres occupant des postes de décision aux plans nationaux ou régionaux et capables de contribuer au renforcement des politiques culturelles ;
-un débat régulier autour des grands enjeux liés à la gestion du patrimoine immobilier,
– une expertise régionale de plus en plus avérée, pouvant assister les pays sur les questions de gestion du patrimoine culturel immobilier ;
– une meilleure représentation de l’Afrique subsaharienne sur la Liste du patrimoine mondial, par une augmentation significative du nombre de sites inscrits.
Enfin, au terme du programme, Africa 2009 aura permis de former une masse critique de professionnels du patrimoine capables d’assurer à leur tour la formation d’autres collègues.
Quelles sont les principales difficultés du programme ?
Malgré une nette amélioration du contexte de la conservation du patrimoine culturel immobilier dans la région, Africa 2009 fait continuellement face au défi du transfert de ses activités et de ses responsabilités aux institutions africaines, au terme du programme, en vue d’assurer la pérennisation des acquis.

1. L’ICCROM (Centre international d’étude pour la conservation et la restauration des biens culturels) est une organisation intergouvernementale qui se consacre à la conservation du patrimoine culturel. Créée en 1959 et installée à Rome, elle compte aujourd’hui plus de 110 États membres.
2. Conservateur au Musée national du Mali, Baba Keita fut détaché à l’École du Patrimoine africain (ÉPA) où il fut coordinateur de la formation professionnelle pendant six ans. Depuis 2005, il travaille à l’ICCROM, comme spécialiste de projet, pour le programme Africa 2009.
///Article N° : 6720

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