Une expérience de maîtrise d’œuvre

Le réaménagement de l'exposition permanente du Musée historique d'Abomey

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À une centaine de kilomètres environ au nord de Cotonou, Abomey, ville de l’actuelle République du Bénin, dans le Golfe de Guinée, a été la capitale de l’ancien royaume du Dahomey (Danhomè). Au cœur de la cité, les Palais royaux sont les témoins matériels majeurs de cette civilisation.

À en lire la présentation sur le site internet du Musée historique d’Abomey (1), celui-ci a été créé en 1943 par l’administration coloniale française. Il occupe l’aile du site palatial qui est constituée des palais des rois Guézo et Glèlè – soit une superficie de près de 2 hectares. L’ensemble du site des palais occupe 44 hectares. Inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985, c’est un haut lieu d’histoire, de culture vivante et de tourisme. Depuis 1992, d’importants travaux de sauvegarde et de valorisation de ses bâtiments et collections ont été réalisés. La Coopération italienne a été le donateur le plus généreux, finançant à travers ses fonds en dépôt à l’Unesco les opérations PRÉMA-Abomey pour un montant total de 450 000 dollars américains. Parmi les partenaires qui ont contribué à ces travaux, le programme PRÉMA (Prévention dans les musées en Afrique) de l’ICCROM (Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels), sus-mentionné, mais aussi l’Unesco, le Centre du patrimoine mondial, le Getty Conservation Institute et la Suède.
La nouvelle exposition permanente du Musée historique d’Abomey a été réalisée en deux phases : en 1997 et en 2000. Le ministère de la Culture du Bénin en était le maître d’ouvrage. Le projet a été supervisé par le programme PRÉMA et l’lCCROM. L’agence Bi.cks, dans laquelle j’étais associé, assurait la maîtrise d’œuvre muséographique. La première phase, inaugurée en septembre 1997, présente des objets royaux et met en scène différents thèmes : origines et évolution du royaume, organisation sociale, vie militaire, insignes et objets royaux, bas-reliefs, espaces religieux… La seconde, ouverte en 2000, traite de la vie quotidienne (agriculture, artisanat, commerce, religion…) et du déclin du royaume : les différents traités, la chute et l’exil du roi Gbéhanzin, le couronnement et la chute du roi Agoli Agbo… Le site muséal occupe 4 des 44 hectares couverts par l’ensemble des palais. Dans les bâtiments prennent place des collections organisées selon une approche thématique. Dans les cours, sont implantés des mobiliers signalétiques  postes d’interprétation  qui permettent de comprendre la structure spatiale des palais royaux.
La précédente exposition permanente, qui datait dans sa structure des années 1950, proposait des regroupements chronologiques et typologiques d’objets. Leur présentation ne correspondait plus à ce que l’on attend aujourd’hui d’un musée, que ce soit en termes de mise en valeur ou de conservation des collections. La nouvelle exposition s’appuie sur un scénario finalisé en 1997 par Constant Noanti, Jules Bocco et Joseph Adandé. Il présente la civilisation fon sur le lieu même de son origine géographique et historique. Le parti pris muséologique est de développer chaque thème (structure politique, guerre, vie quotidienne…) dans un lieu qui lui était lié par l’usage. Ce mode analogique permet au discours de s’incarner dans l’espace.
Compétences et ressources des lieux
Un projet muséographique développé en Afrique suit le même cadre qu’en Occident. Il est question d’un lieu, d’une collection, d’un budget, d’un commanditaire, de concepteurs (architecte, scénographe), d’experts (en conservation préventive et restauration), de fabricants (artisans, entreprises) et bien sûr de visiteurs (appelés aujourd’hui « les publics »). La différence est que dans les pays riches, où s’organisent régulièrement des expositions, il existe une culture muséographique (intellectuelle, technique) qui s’est élaborée au fil des expériences. Ici, pour réaliser un aménagement de musée, il faut identifier dans le tissu des entreprises artisanales celles qui possèdent les savoir-faire qui pourront évoluer aisément vers des compétences spécifiques. En effet, les travaux muséographiques, qui ont duré cinq mois pour l’ensemble des phases 1 et 2, furent entièrement réalisés par des entreprises et artisans locaux : maçons, électriciens, peintres, menuisiers, serruriers, ferronniers, sérigraphes, tisserands, et généralement à partir des matériaux et matériels les plus communs. Il est important de permettre la plus grande intégration et la plus grande autonomie possible d’un équipement. Lorsqu’un projet est livré, le concepteur ne reste pas à le maintenir au quotidien. Les ressources locales doivent pouvoir être sollicitées. Lors de la seconde phase de travaux, en 2000, la majorité des fabricants de la première phase ont été à nouveau sollicités. Les échanges s’en sont trouvés grandement facilités, les délais et la qualité du travail fortement améliorés. Il est toujours préférable que les expériences se capitalisent.
Un projet muséographique suscite des collaborations diverses. Ce fut quotidiennement le cas au sein de l’équipe de conception réunie par le programme PRÉMA, que nous formions avec Frédérique Vincent, responsable de la Conservation préventive et de la restauration des objets de la nouvelle exposition, et Pape Alitonou Cissé, en charge du montage de l’exposition. Nous étions régulièrement en contact avec l’équipe de conservateurs du site, Toussaint Godonou et Constant Noanti, ainsi qu’avec l’architecte chargé de la réhabilitation des bâtiments, Aimé Gonçalves, et le technicien de la construction détaché sur le site, Dorothé Mizéhoun, afin de coordonner les opérations de bâtiment et d’aménagement.
Particularité du projet
L’exceptionnelle architecture des palais représente, en quelque sorte, la première des collections du musée. Elle entretient également un rapport étroit avec les collections présentées, celui qui existe entre des productions et leur cadre culturel.
Parmi les contraintes et problématiques qui m’ont particulièrement intéressé dans ce projet, je mentionnerai d’abord le caractère plurifonctionnel du site. Les Palais royaux d’Abomey sont à la fois un site historique classé au patrimoine mondial, un centre de pratiques cérémonielles, un musée, un centre artisanal… Un équilibre subtil régit ainsi les rapports entre les différents usagers du site, aux rôles et intérêts particuliers : familles royales, État et ses représentants (ministère de la Culture, autorités territoriales, conservateurs du musée…), partenaires institutionnels internationaux, artisans et visiteurs. Je voudrais mentionner aussi la coexistence de discours. Nous étions confrontés à des informations parfois contradictoires sur l’usage, l’attribution, la datation des collections et des espaces. Ici se mêlent mythe, histoire officielle et histoire critique. La coexistence de discours a conduit à adapter continûment le contenu d’exposition. À cela, il faut ajouter que la visite du musée est généralement guidée et que chaque guide interprète « son » exposition, même si une formation à la nouvelle présentation a été dispensée en amont. Il faut encore parler des objets réactivés. En effet, quelques objets de l’exposition sont « rechargés« , c’est-à-dire extraits de leurs vitrines dans le but de participer à des cérémonies organisées par la famille royale. Cette opération ponctuelle s’effectue sous surveillance des responsables du musée et en respectant les canons de la conservation des collections. Enfin, il faut mentionner le changement de statut des bas-reliefs. Lors de la réhabilitation d’un bâtiment, des bas-reliefs furent extraits des murs puis restaurés dans le cadre d’un programme mis en œuvre par le Getty Conservation Institute.
Ces éléments sculptés, partie prenante de l’architecture des Palais d’Abomey, sont désormais présentés dans une salle du musée. Ils figurent sur des socles, comme des objets autonomes, tandis que les murs du bâtiment de provenance intègrent les reproductions de ces bas-reliefs.
Je dois encore parler de la notion d’exposition permanente. Lors des travaux de la seconde tranche, en 2000, nous avons pu modifier certaines parties de la première tranche. Ce fut une chance et un plaisir de pouvoir ré-intervenir sur ce qui ne semblait plus au point. Trois ans offrent un recul salutaire : le regard change et l’on discerne ce qui pourrait être amélioré tant du point de vue de l’usage quotidien que de la qualité spatiale et visuelle de l’exposition.

1. http://www.epa-prema.net/abomey////Article N° : 6742

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