Le Dernier frère

Nathacha Appanah

Le roman du souvenir et de la fraternité
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Le Dernier frère de Nathacha Appanah vient de recevoir le prix du roman FNAC 2007. Rien de surprenant. Depuis la publication de son premier roman Les rochers de poudre d’or en 2003, les livres de Nathacha Appanah ont été régulièrement salués par la critique. Publié à l’époque dans la toute jeune collection Gallimard Continents noirs, Les rochers de poudre d’or avait reçu le prix du livre RFO à sa sortie en 2003. Il figure aujourd’hui en tête de liste des meilleures ventes de la collection. Au rythme d’un livre par an, les suivants vont confirmer l’engouement des critiques et lecteurs. Toujours chez Continents noirs, Blue Bay Palace sera couronné par le Grand Prix Littéraire des Océans Indien et Pacifique en 2004. L’année suivante, La Noce d’Anna reçoit le grand prix du Salon du livre de Paris. Cette année, ce sont les Editions de l’Olivier qui publient Le Dernier frère, quatrième roman de l’auteur.
En entrant aux très réputées Editions de l’Olivier Nathacha Appanah rejoint non seulement des auteurs à succès de la littérature française, comme Marie Desplechin et Agnes Desarthe, et étrangère comme Michael Ondaatje et Jamaica Kincaid, mais aussi des compatriotes, puisqu’elle y sera la quatrième Mauricienne, après Bertrand de Robillard, Barlen Pyamootoo, Carl de Souza et Shenaz Patel. Cette belle trajectoire hautement couronnée est tout à fait méritée. L’œuvre qui s’impose doucement mais sûrement avec ces quatre romans propose une des écritures les plus distinguées que les lettres francophones (dira-t-on désormais, « du tout-monde’ ?) nous aient donné à lire ces dernières années.
Le minimalisme du titre, Le Dernier frère, surprend agréablement, en ces temps de titres-fleuve. En fait, ce titre aux échos camusiens reflète et annonce ce qui a dû, une fois de plus, séduire les lecteurs de Natacha Appanah : une histoire chargée d’émotions existentielles et singulières, racontée dans un style d’une sobriété terriblement efficace.
Le Dernier frère est un roman du souvenir. Le narrateur est un homme qui, au seuil de ses soixante-dix ans, se remémore des moments de son enfance dans les années quarante à l’île Maurice. Parmi ceux-ci, deux événements particulièrement bouleversants vont marquer à jamais la vie du jeune Raj : La mort brutale de ses frères chéris, suivie l’année suivante de la rencontre d’un jeune « Blanc » de son âge nommé David.
C’est le retour de David, qui apparaît en rêve au narrateur au début du roman, qui déclenche le processus du souvenir, et, du même coup, de la narration. A partir du rêve, le souvenir de cette amitié va ressurgir jusqu’à progressivement reconstituer les circonstances de la rencontre fulgurante entre deux enfants perdus: Raj le petit Mauricien dont la famille vient de s’installer à Beau Bassin, après la tragédie qui a emporté ses deux frères, et le mystérieux David, l’étranger au « minuscule visage d’enfant blond perdu dans la moiteur et la chaleur de Beau Bassin » (56) emprisonné à l’île Maurice.
Le Dernier frère sera donc l’histoire de « deux enfants du malheur accolés l’un à l’autre par miracle, par accident », l’un dévasté par la disparition de ses frères, l’autre arraché à sa terre natale. Ils ne parlent pas la même langue, ils n’ont pas vécu les mêmes drames, mais ils vont trouver pourtant dans le langage spontané des larmes et des jeux, une manière de vivre dans le présent. Ils tisseront, le temps de quelques jours, des liens inoubliables. Les lecteurs non plus n’oublieront pas de sitôt le personnage du petit Raj. Avec ce récit bouleversant d’un homme qui se souvient, et, qui, se souvenant, tente de juger l’enfant qu’il était, Nathacha Appanah nous offre un des plus beaux romans de l’enfance de ces dernières années, l’histoire d’un enfant de dix ans qui voulait retrouver un frère.
Roman de la fraternité, Le Dernier frère est aussi une fiction qui puise dans les failles de l’Histoire. Le personnage de David est inspiré d’un épisode réel de la deuxième guerre mondiale, l’internement à l’île Maurice de 1500 juifs d’Autriche et de Tchécoslovaquie à la recherche d’une terre de refuge contre le nazisme. Comme tant de drames de la deuxième guerre mondiale dans les colonies (L’île Maurice est à l’époque colonie britannique), l’épisode est fort peu connu.
S’il faut à juste titre saluer l’auteur pour avoir sorti de l’oubli ce moment de l’histoire mauricienne, coloniale et mondiale, on n’oubliera pas que l’exil de ces Juifs d’Europe de l’Est à l’île Maurice (en passant par la Palestine où ils furent refoulés par les autorités Britanniques) avait déjà inspiré un romancier en 2001. En effet, dans Le voyage de Delcourt (Julliard), Alain Gordon-Gentil avait imaginé une histoire d’amour située en 1935 entre un Mauricien et une des détenues juives de la prison de Beau Bassin. En 2002, l’épisode est recensé dans deux autres types de travaux: Dans un documentaire de l’Autrichien Michael Daeron (La dérive de l’Atlantique/Atlantic Drift, présenté entre autres au festival du film juif de New York en 2002) et à travers le témoignage écrit d’une des survivantes du groupe, Ruth Sander-Steckl. (L’odyssée des réfugiés de l’Atlantique, Albin Michel, 2002).
Comme les précédents, Le Dernier frère est un récit d’une force émotive extraordinaire. On regrettera, peut-être, de retrouver ici le contraste peu original entre les personnages du père, d’une brutalité quasi animale, et de la mère, totalement sanctifiée dans le roman. Les passages les plus réussis sont peut-être ceux où le narrateur, à l’heure du bilan, se laisse aller à des confidences plus intimes sur ses blessures et ses regrets, et, d’une manière générale, sur tous ces sentiments qui nous assaillent dans le double processus du deuil et du souvenir.

Le Dernier frère, éditions de l’Olivier, août 2007///Article N° : 6915

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