La Commune

De Peter Watkins

Allons enfants de la télé
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Dans ce monde de clips, de SMS, de slogans et de pauses publicitaires, qui oserait encore recommander un documentaire de 3h30 en noir et blanc, avant-gardiste, dystopique et militant ?
Il faut bien avouer que cette version raccourcie presque de moitié (l’original dure 5h45 !) de La Commune reste une épreuve d’endurance, qui mériterait une diffusion hebdomadaire télévisée. En effet, si on regrette de ne pas voir les 2h15 amputées, les corps ankylosés sont heureux de regagner la lumière. On voudrait aussi pouvoir débattre au fur et à mesure des nombreux débats lancés par le film, plutôt que de rester sur une impression globale qui gomme les subtilités sur la question des femmes, des rebelles algériens ou du droit de ne pas s’engager dans la lutte.
La Commune est une œuvre de génie. Un budget extrêmement limité pour une fresque historique, des acteurs amateurs, de longs intertitres, des apartés constants sur la situation présente ou l’implication des acteurs, des décors et une équipe souvent visibles, des remarques sur l’ordre du tournage, et pourtant on suit le fil narratif sans difficulté et surtout sans s’ennuyer ! Car La Commune est avant tout un film historique précis qui respecte la chronologie des événements.
Débattre par l’histoire des questions d’aujourd’hui, mettre en évidence le pouvoir des médias en introduisant l’anachronisme de la Télévision Communale, alternative à la Télévision Versaillaise, dénoncer subjectivité et insuffisances d’un côté comme de l’autre, donner la parole aux acteurs qui commentent leur implication dans le projet : autant de façons pour Peter Watkins de s’opposer à la « monoforme » des dispositifs narratifs modernes qu’il dénonce dans son livre, Media Crisis (http://homnispheres.info/article.php3?id_article=197).
Deux aspects nous intéressent plus particulièrement à Africultures : 1) l’impact des médias et de ceux qui en détiennent les rennes et 2) le lien historique entre la lutte de la Commune de Paris contre la monarchie et celle de la Commune kabyle contre la colonisation en Algérie.
1) De même que Peter Watkins propose un document médiatique alternatif, les communards créent leur propre média pour s’exprimer. Mais contrairement à Watkins, ils sont inconscients des pièges formels qui se tendent à eux : l’objectivité du journaliste est-elle tenable quand il y a des problèmes internes au mouvement à dénoncer ? Donner la parole aux gens par des entretiens en direct, est-ce vraiment se donner les moyens d’exprimer leur point de vue, leur dilemme, plus complexe que ce qu’ils sont capables d’exprimer sur le vif ? Ne faut-il pas construire un débat, engager sa responsabilité de médiateur ? La nécessité de retenir l’attention (il faut faire court, sinon les gens se lassent), de répondre aux intérêts du public visé (ne pas dénoncer les excès de la Commune pour ne pas démobiliser les troupes), de faire de l’information immédiate (manque de recul), sont autant de contraintes structurelles dont la télévision communale ne peut se défaire. En parallèle, le journal télévisé de la télévision versaillaise, professionnel avec son petit jingle et son cadre propret, sert les intérêts de la monarchie avec tant d’impudence qu’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur nos propres journaux hebdomadaires et leurs présentateurs aseptisés. Les experts invités sont partisans à souhait, l’effet est parfaitement humoristique.
La dénonciation est d’autant plus probante qu’on est justement en train de réfléchir librement (si Watkins a un parti pris, il ne s’en cache pas) grâce à un document médiatique parfaitement innovateur, long (et fort bien rythmé), complexe, qui laisse le temps aux personnages, et même aux acteurs, de s’exprimer et de débattre entre eux et, au bout du compte, avec le public. Ce n’est pas le cas de la télévision versaillaise ni, malgré ses efforts certains, de la télévision communale.
Autant de questions que tout producteur d’information (dont nous sommes) devrait être amené à se poser.
2) Présence inattendue pour un film sur la Commune, des insurgés kabyles viennent expliquer aux communards ce pour quoi ils se battent et en quoi les luttes sont sœurs. Pour cela, des acteurs sans-papiers racontent dans leur langue, traduite par une interprète, l’histoire de l’insurrection de 1871 : une lutte contre le pillage des richesses du Maghreb par la France qui considère ces terres siennes. Le débat dérive sur la liberté de mouvement des personnes sur terre, tellement asymétrique entre l’Europe et l’Afrique. Les communards prennent conscience de faire eux-mêmes partie d’un « Versailles » qui opprime des peuples considérés incapables de se gouverner et dont le bon sens, les mœurs et la morale sont constamment mis en doute.
La présence d’Algériens à Paris en 1871 est fort improbable, le soutien des communards à leur cause anti-impérialiste tout autant, en revanche les insurgés des deux Communes se sont bel et bien retrouvés déportés ensemble dès l’année suivante en Nouvelle Calédonie. Cette même destinée renforce le parallèle, qu’il s’agisse des communards parisiens et kabyles ou des ouvriers et des immigrés de la France d’aujourd’hui. De la même façon, la lutte des femmes dans la Commune est sans doute idéalisée (ou en tout cas leur capacité à communiquer avec les hommes sur ce sujet), mais le but est atteint : faire réfléchir non seulement aux combats à mener, mais aux débats internes et aux contradictions.
L’approche de Peter Watkins est déroutante pour qui ne le connaît déjà (La Bombe, Punishment Park), elle est aussi tout sauf élitiste. Qui ne s’est pas entendu dire qu’on étudie le passé pour mieux comprendre le présent et se positionner dans les débats de société, sans en entrevoir la moindre application ? 3h30 avec Peter Watkins, et c’est une autre lecture de l’histoire qui s’ouvre à nous.

Avec des acteurs non-professionnels, pour la plupart résidents du 11e arrondissement de Paris.
Présentation du film par Peter Watkins (en anglais) : http://www.mnsi.net/~pwatkins/commune.htm///Article N° : 7053

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