Lundangi : l’arme de tous les possibles

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Forte du succès de la première édition en 1998, la Halle Saint-Pierre présente une nouvelle version d’Aux frontières de l’Art Brut qui regroupe sept créateurs pour la plupart autodidactes. Franck Lundangi – né en Angola il y a quarante deux ans – dont l’un des tableaux a été choisi pour illustrer l’affiche de l’exposition, fait partie de cette farandole visuelle et hétéroclite où les artistes ont en commun « un même besoin, viscéral, de célébrer la vie et de laisser une empreinte personnelle dans la matière ». Caméléon, l’homme a su tirer de ses différents exils une faculté d’adaptation aux bouleversements et aux turpitudes de la vie dont il extrait le meilleur pour le projeter dans une œuvre d’une élégante simplicité.

« Est-ce que l’oiseau est réel ? »
« Oui maintenant il l’est puisque tu le vois ». Franck Lundangi est assis au milieu de la salle où ses œuvres sont exposées. Regroupés autour de lui, des enfants l’interrogent sur son travail, cherchant autant à savoir pourquoi « la tortue a des pattes d’homme » qu’à comprendre « pourquoi il préfère la peinture au football ». L’artiste se prête au jeu, répondant simplement et brièvement aux questions sans s’embarrasser de commentaires.
D’une voix douce et posée, Franck Lundangi survole son parcours, grande traversée de vie qui l’a mené de l’Angola à la France et du football à la peinture. Il n’en dévoilera que les principales étapes, évitant de s’attarder sur les difficultés qu’il a pu rencontrer. Plus que de la pudeur, cette « sélection » s’inscrit dans une règle du bien vivre pour laquelle l’homme semble avoir opté depuis toujours : appréhender le monde pour n’en retenir que le meilleur. Loin d’être synonyme d’indifférence, cette approche est celle d’un homme lucide sur la précarité des choses et des êtres. « Je suis sensible à tout ce qui se passe, mais j’arrive toujours à prendre du recul et à rester serein ». Cette sérénité presque désarmante qui fait partie intégrante de sa personnalité, est à la source de tableaux empreints d’une étonnante douceur.
Il n’avait que trois ans quand ses parents ont choisi de s’exiler au Zaïre, fuyant la guerre qui ravageait déjà l’Angola. Il n’y retourne que 22 ans plus tard pour intégrer le championnat national de football où il jouera pendant 5 ans avant de rejoindre le Gabon. Quelques années après, le « pigeon voyageur », comme il se définit lui même, s’envole pour la France où il arrêtera le football au bout de deux ans. Ellipse puis rencontre déterminante en 1992 avec Catherine, artiste peintre qui deviendra son épouse et au contact de laquelle il « prend conscience qu’il a des choses profondes à dire ». « Je la regardais travailler dans son atelier. J’ai commencé à faire des petits dessins et c’est en les voyant que Catherine m’a encouragé à persévérer, m’affirmant qu’il y avait des choses à explorer. Je n’y croyais pas du tout, je dessinais dans mon coin comme un enfant qui joue, les choses me venaient facilement ». A partir du moment où le footballeur devient artiste, tout s’enchaîne rapidement. Il lui faudra à peine quatre ans pour trouver sa voie et commencer à exposer. Depuis lors, les expositions se suivent lui permettant de se consacrer entièrement à son art.
Le trait se pose sur la toile, fin et aérien, faisant apparaître des personnages sobres et hiératiques, des animaux identifiés ou imaginaires, tout un petit monde mouvant dont les éléments se mêlent parfois les uns aux autres pour former une figure hybride, zoomorphe, où vient s’accomplir l’union de l’homme avec la nature (Unité, 1998). « A la base de mon travail, il y a toujours ces trois éléments : la Spiritualité, l’Homme et la Nature. Ils constituent un tout d’où émane la force de vie. J’essaie toujours de travailler dans le sens de cette unité pour globaliser toutes les choses qui nous entourent ». C’est ainsi que sur une série de tableaux comme Vie, réalisé en 1998, s’envole le petit monde bigarré de Franck Lundangi dans un joyeux tourbillon de signes qui sans se vouloir symboles constituent l’alphabet de son langage pictural.
L’artiste avoue ne pas pouvoir travailler s’il ne se sent pas bien. « Lorsque je pénètre dans mon atelier, je ne sais jamais ce que je vais faire. Il faut que je sois en condition, j’ai besoin de me sentir bien intérieurement pour travailler, ensuite les choses viennent toutes seules, elles coulent de source ». Son travail, loin d’être conceptuel, est un travail d’émotion qui naît d’une attention quasi spirituelle que l’artiste porte sur son environnement. Il en ramasse ce qu’il peut, comme ces morceaux de bois glanés au bord de la Loire, à proximité de l’atelier où il s’est nouvellement installé, à quelque 150 kilomètres de Paris. « Je me promenais au bord de l’eau, ces morceaux de bois ont arrêté mon regard, je les ai ramassés sans savoir ce que j’allais en faire, mais avec la certitude qu’ils allaient prendre racine dans mon travail ». Ainsi sont nées ses premières sculptures, petits génies de bois aux yeux perçants surgis de la terre.
Franck Lundangi est avant tout un observateur attentif qui semble avoir définitivement choisi de ne recueillir que la rosée du monde qu’il dépose délicatement sur sa toile. « Je ne crois pas que mon œuvre, quoiqu’il arrive, puisse un jour exprimer une quelconque violence. Nous sommes malheureusement dans un monde violent où tout est mélangé. Il faut faire un choix, j’ai choisi de n’en n’extraire que le positif et c’est cela que j’ai envie de communiquer ». Là est peut-être le secret de la réussite de Franck Lundangi, qui affiche à nos regards écorchés un bonheur tranquille et pénétrant. Ce qui, face aux grondements du monde peut apparaître comme un insolent défi. L’arme de tous les possibles ?

Aux frontières de l’Art Brut, jusqu’au 6 janvier 2002, Halle Saint-Pierre,
2, rue Ronsard, 75018 Paris – tél. 01 42 58 72 89.///Article N° : 71

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Les images de l'article
Franck Lundangi, pigments et acrylique sur papier. © DR
Franck Lundangi, bois flottant peint. © DR
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