Bande dessinée malgache : l’avenir serait il en Europe ?

Print Friendly, PDF & Email

Le mois de la Bd malgache, Gazy bulles, va démarrer en ce mois de juin 2008. Cette manifestation annuelle est devenue un rendez-vous incontournable de la bande dessinée malgache.

A certains égards, ce rendez-vous peut sembler une bulle d’oxygène pour le milieu du 9ème art qui n’arrive toujours pas à retrouver le souffle des années 80. Cette époque reste une époque bénie pour le milieu. Plus d’une cinquantaine de titres sortaient chaque mois dans une belle effervescence (1). 25 années plus tard, le constat est nettement moins brillant. L’année 2007 fut sans doute l’une des pires en terme d’édition. Aucun titre nouveau n’a été édité cette année-là, hormis la participation du défunt Jean de Dieu Rakotosolofo à un imagier édité par Tsipika et Callicéphale fin 2007. Vendetta de Ndrematoa, sorti aux éditions Tsipika en janvier 2008 est venu rompre deux années sans aucune production d’albums (2). Cet album devrait être complété par 6 ouvrages bilingues édités grâce à l’appui de l’Alliance française à l’occasion de Gazy bulles 2008 (3). On pourrait presque parler de gâchis, tant le potentiel créatif est important et le style des bédéistes malgaches variées et remarquables. Mais, des raisons d’espérer existent. Malgré une production devenue balbutiante, les créateurs malgaches n’ont pas renoncé à montrer leur savoir faire, en particulier en Occident. Des initiatives individuelles tendent à faire sortir la Bd malgache de son ghetto et à faire connaître son potentiel en dehors de ses frontières.
Le jury du prix Africa e mediterraneo 2007 – 2008 a honoré d’une mention spéciale dans la catégorie « droits de l’homme », le malgache William Rasoanaivo. Celui-ci avait déjà reçu une mention lors du prix 2005 – 2006, ce qui lui avait permis de voir ses quatre planches éditées dans l’anthologie Africa comics. Connu à l’Île Maurice sous le nom de Pov, Rasoanaivo est l’un des caricaturistes vedette du pays du dodo et montre par ces deux accessits consécutifs qu’il n’a pas renoncé à se lancer dans la bande dessinée. Son histoire fera également l’objet d’une édition dans la future anthologie qui sortira au cours du dernier trimestre 2008.
Après avoir publié une bande dessinée de Didier Mada BD, Nampoina, en 2006, Madagascar Magazine récidive avec une histoire d’un des monuments de la BD malgache, Alban Ramiandrisoa Ratsivalaka, créateur de la revue Fararano gazety au début des années 80 et auteur de la première BD malgache en langue anglaise : Dan Aiki meets Duna the sorcerer. Il est également l’auteur du premier essai sur la bande dessinée malgache en 1983, Ny tantara an-tsary et de la série de biographies en bandes dessinées réalisée par les éditions Saint Paul. En 2005, le studio Soimanga, qu’il avait créé, sortait une vaste fresque sur l’histoire de Madagascar de 1895 à 2002, Vato ambany riana (4). L’échec de cet album avait été présenté comme très emblématique du déclin du 9ème art dans le pays. Faralahy, le magicien, que publie Madagascar Magazine, a été dessiné en 1990 à l’occasion d’un séjour à l’île Maurice où l’auteur encadrait un stage. Cette parution lui permet de se faire publier à nouveau et de montrer son travail en Europe.
Didier Randriamanantena (dont le nom de plume est Didier Mada BD) continue son bonhomme de chemin en Europe. Il s’était déjà fait remarquer l’année dernière par une illustration inspirée de Tintin au Congo dans le numéro d’octobre du magazine européen numérique de BD trame 9 (magazine dans lequel il est interviewé à la page 40) ainsi que par sa participation à l’album collectif Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique édité par le collectif L’Afrique dessinée. Il a réalisé les couleurs du prochain album, consacré à la prostitution, de l’Ivoirien Titi Faustin pour l’ONG Le mouvement du nid, qui sortira en mai de cette année (sur un scénario du Camerounais Christophe Ngalle Edimo) et dont le titre provisoire est Le secret du manguier. En attendant, Didier Mada Bd fait la tournée des festivals. Après Persan (Région parisienne), Annecy, La Rochelle en mars, il sera présent à Crespières (Région parisienne) en avril et septembre, Damparis (Jura) en mai, Dijon en juin, Cajarc (Lot), Aumale (Normandie) et Lyon en octobre.
Luc Razakarivony est une figure de la bande dessinée malgache. Il apparaît dans le premier album collectif malgache en 1984, Aventures dans l’Océan Indien. Puis il émigre à Mayotte où il réalise plusieurs albums pour l’éditeur Coco-créations. En 2005, il créée Sary92 en France et se lance dans l’édition. Après Malaso, Avotra, Habiba et Vazimba, il lance Vazimba 2 en janvier 2008 au salon de la BD d’Angoulême et réédite ces premiers titres en trois langues (anglais, français, allemand) avec une couverture redessinée et cartonnée et des textes revus et corrigés. Avec cette incontestable avancée vers une plus grande professionnalisation de sa production, Sary92 se construit un catalogue de plus en plus performant et attractif. Sary92 devrait, dans les prochains mois, travailler avec Ndrematoa. Au programme, Luc Razakarivony compte rééditer Citron (5) et lui proposer de redessiner une nouvelle version de son propre ouvrage, Le turban et la capote, publié une première fois à Mayotte en 1997.
Le lancement du blog Bd-helysoa constitue une nouveauté dans le monde de la bande dessinée et de l’animation. Il a été fondé par la franco – malgache Olga HELISOA. Après une thèse de doctorat de géographie et la naissance de ses enfants, elle prend conscience de la nécessité de promouvoir la culture et la langue malgache, auprès des petits français d’origine malgache. En 2002, elle crée Heli’s Madagascar E-enseignement (http://www.helis-madagascar.info – en refonte) qui met en ligne une méthode de lecture sans connaissance préalable du malgache, une liste de noms malgaches avec traduction française et prononciation, un annuaire des personnalités malgaches who is who mada (http://www.freewebs.com/whoiswhomada), une sélection de Chants et Musiques de Madagascar (http://chants-musiques-madagascar.oldiblog.com), un musée en ligne, etc…. Ayant constaté la place importante du Net dans la vie contemporaine, elle s’est mise à étudier l’animation UGC et commence lentement à transcrire ses travaux (contes et autres…) en cartoons ! C’est la naissance du blog http://bd-helysoa.oldiblog.com, qui met en ligne des petits films reproduisant des sortes de « BD animées ». Généralement, les BD sont de courts clips afin de capter l’attention des enfants et des jeunes. Olga Helisoa ambitionne de concevoir des cartoons plus longs de 30 à 50 minutes.
Nicoletta Fagiolo tourne des documentaires sur le milieu des dessinateurs africains (bédéistes et caricaturistes). Elle voyage en Afrique et en ramène plusieurs heures d’interviews et d’images tournées en direct qui ont donné lieu à plusieurs films : A pen in exile sur le caricaturiste et plasticien camerounais Issa Nyaphaga et Résistance dans le 9ème art qui parle du combat magnifique des dessinateurs de presse contre l’absolutisme et la dictature : le sud africain Zapiro, le Brazzavillois Willy Zekid, Gado (Kenya)… Au cours de son tour d’Afrique, elle a posé sa caméra à Madagascar où elle a recueilli des dizaines d’heures de témoignages, filmé des rencontres avec des dessinateurs locaux qui ont pu parler de leur travail et leurs conditions de création. La partie malgache se concentrera particulièrement sur le dessinateur Elisé Ranarivelo. Le film, produit par la réalisatrice et la société 24images, devrait être en fin de montage à la fin du mois de juin (6).
Pour la première fois, le festival du film court de Tananarive qui s’est déroulé au mois d’avril, a primé deux films d’animation réalisés par des dessinateurs : Le savoir de Andriantomanga Ridha et Boay Kely (Petit gars) de Randrianarisoa Mamitiana.
Enfin, premier pays d’Afrique francophone à bénéficier de ce traitement, Madagascar fera l’objet d’un dossier spécial dans le N°118 du journal de Bd BoDoï, dans la série des comics world tour. Le numéro sortira le 28 avril 2008 dans les librairies. Tiré à 40 000 exemplaires, BoDoï constitue le plus grand journal de bande dessinée francophone.
Si nous sommes loin de la présence importante des dessinateurs congolais, la timide apparition du 9ème art malgache en Europe vient réparer une certaine injustice pour ce pays qui a été longtemps une exception dans le désert africain. Souhaitons que la consécration vienne avec l’édition d’un album commercial en Europe d’un auteur malgache. Cela permettrait enfin à certains talents de sortir de l’ornière et de montrer leur savoir faire au reste du monde. Car, dans la BD franco-belge, on n’existe pas si on n’est pas édité en Europe…

1. Cf. l’interview de Didier Mada BD dans le numéro d’octobre de Trame 9, magazine de BD en ligne.
2. Albums publiés depuis 2005 :
– Roddy & Marthe Rasoanantenaina : Marthe Rasoa raconte Rapeto et Jejy Voatavo : contes malgaches, Ed. Prediff-Jeunes malgaches, 2006.
– Rabesandratana, Richard, Bénandro 1 et 2, Faka production, 2006. Il s’agit d’une réédition en français d’une revue célèbre des années 80.
3. Fa nankaiza hono ? – Mais où va-t-on ? de Franco, Voromahery – Aigle de Hendry, Zanak’androy – Les 2 fils des épines de Rivo Randremba, BD off de Roddy, Betsileo de AIRJP Tagman, BD Blaggy de Ralombo.
4. Album collectif publié sous la direction de Ramiandrisoa-Ratsivalaka, Alban : Vato ambony riana : Fondation de la nation malgache, Soimanga Studio, 2005.
5. Ndrematoa, Citron. Centre Culturel Albert CAMUS, 2005.
6. Un petit extrait du documentaire est visible sur le site d’Olga Helysoa : http://bd-helysoa.oldiblog.com
///Article N° : 7606

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire