Durban au jour le jour

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La conférence internationale sur le racisme a défrayé la chronique jusqu’à ce que l’horreur des attentats qui ont frappé les Etats-Unis ne prenne le dessus de l’actualité. Les affrontements parfois caricaturaux qu’elle a révélés sont à la mesure des enjeux humains de ce nouveau millénaire. Journal au quotidien.

Jeudi 30 août – Une file énorme s’est formée devant la tente qui délivre des accréditations. La veille, ils en étaient au numéro 27 000 et des poussières… Le monde entier se trouve à Durban. Dans le stade de cricket du centre-ville, le Kingsmead Stadium, qui abrite le forum des ONG, c’est un peu la pagaille. Dans la tente des médias, où devraient se dérouler des débats pacifiques, Juifs et Palestiniens ne cessent de se disputer et de se couper la parole. Outre tout ce que compte la planète de militants pour les droits de l’homme et les minorités, tout Johannesburg est là, artistes, musiciens, activistes. L’ambiance est encore bon enfant.
Vendredi 31 août – Ouverture officielle. Le discours de Thabo Mbeki, qui met les Blancs d’un côté et les « Noirs et les Marrons » de l’autre, ne fait pas que des heureux dans la salle. Une copie circule du discours beaucoup plus consensuel et centré sur la « dignité humaine » que Nelson Mandela n’aura pas prononcé, parce que resté à Johannesburg pour des raisons de santé. Kofi Annan ne se montre guère optimiste, et avance même l’hypothèse d’un échec de la conférence. Au même moment, dans les rues de Durban, 20 000 personnes manifestent pour la redistribution des terres en Afrique du Sud, contre les privatisations et contre Israël. Il y a presque autant de policiers que de manifestants. Aucune échauffourée n’est à déplorer. L’après-midi, les chefs d’Etats présents se réunissent en table-ronde. Fidel Castro donne un discours plein d’humour – il avoue avoir découvert l’Afrique grâce à Tarzan – et très fort, sur le thème « jamais l’exploitation de l’homme par l’homme n’a atteint pareil niveau dans le monde ».
Samedi 1er septembre – La fête est gâchée. Fidel Castro fait un discours de trois heures dans le Kingsmead Stadium, devant un parterre fasciné. Seulement, les diatribes en espagnol du lider massimo tombent un peu à plat, faute de traduction. Le soir, dans un autre stade, un concert de 3 millions de dollars tourne au flop. Dans un stade de 50 000 places, 3 000 personnes cherchent désespérément une bière et un endroit pour fumer un joint sans se faire remarquer. L’alcool est interdit, la sécurité a été maximale, contrairement à la publicité donnée à l’événement. La chanteuse burundaise Khadja Nin est prise d’un rire nerveux, lorsque la pluie commence à tomber. « Ou sont les délégués des Nations Unies ? lance-t-elle. Est-ce qu’ils en ont quelque chose à faire de la musique africaine ? Est-ce qu’ils en ont quelque chose à faire de l’Afrique ? »
Dimanche 2 septembre – Les ONG mettent le feu aux poudres. Leur déclaration finale, dont le texte est introuvable, accuse Israël « d’apartheid » et de « génocide ». La tension monte de manière perceptible. Trois rabbins et un Palestinien débarquent de New York, descendent au Hilton et stationnent opportunément devant la salle de presse de la Conférence, expliquant leur « mission oecuménique » aux journalistes. La thèse de ces experts en relations publiques : le sionisme est une mauvaise doctrine, seul le judaïsme est bon, il faut travailler ensemble à la paix. Les Jo’burgers sont repartis, le Bat Center, un café-concert situé sur les quais, vibre tout de même à la voix de l’excellente Bhusi Mhlongo.

Lundi 3 septembre – A la tombée de la nuit, Américains et Israéliens claquent la porte de la Conférence, sur fond de confusion générale du côté des ONG. Personne ne sait ce que contient la déclaration finale, qui l’a votée ou non, qui a pris ses distances avec ce texte ou non… L’infatigable Alf Khumalo n’en perd pas pour autant son sourire, rayonnant. Ce photographe de presse sud-africain en a vu d’autres. Il monte une expo de ses photos de Nelson Mandela et du temps de l’apartheid dans les allées du couloir, pose avec les admirateurs, vend ses images.
Mardi 4 septembre – « Les Etats-Unis sont arrivés tard avec une délégation de bas niveau, ils partent trop tôt la tête haute »… Le révérend Jessie Jackson répète les mêmes formules chocs dans les jardins du Centre de conférence, en duplex avec les grandes chaînes de TV américaines. CNN a installé son QG au sommet du Hilton, en annexe du restaurant. Une serveuse observe tout ce remue-ménage avec bonheur. Justement, elle s’appelle Happyness. Elle est contente d’avoir fait une double journée (5 h du matin-11 h du soir), parce qu’elle ne gagne que 7,5 rands de l’heure. Tout le personnel de l’hôtel est intérimaire. Les syndicats ne sont pas autorisés.
Mercredi 5 septembre – C’est relâche. Tout le monde dort un peu partout, sur sa chaise, sur les bancs, sur les pelouses. Les gens se parlent et se disputent parfois. Une musulmane veut empêcher une autre musulmane de manifester en faveur des lesbiennes. Les vendeurs d’artisanat se sont installés aux abords du Centre International de conférences (ICC), et font bonne recette. L’association Voices, qui a organisé tous les jours plusieurs témoignages de victimes du racisme à travers le monde, distribue des communiqués. Elle invite les médias à couvrir la « vraie » conférence et à entendre les voix des « vraies » victimes du racisme.
Jeudi 6 septembre – Sur le plan diplomatique, c’est l’impasse. Le président Thabo Mbeki est revenu dans la nuit à Durban pour tenter de sauver la conférence. Tous les diplomates vont se coucher dans l’après-midi, pour reprendre les pourparlers dans la nuit. A la fin d’une journée tendue, des manifestants se tiennent devant le centre de conférences, des bougies à la main. Certains prient pour le succès de la conférence, d’autres répètent leurs slogans pour des réparations. Les intouchables ne parlent plus. Ils ont entamé une grève de la faim, sur le trottoir, devant le Centre de conférences, pour que le seul article de la déclaration finale qui les concerne soit maintenu dans sa formulation initiale.
Vendredi 7 septembre – A 9 heures du soir, après une journée d’attente vaine, le chef de la délégation européenne et ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, avoue qu’il ne sait pas s’il y aura ou non un accord. Il se dit très fatigué, un peu déçu. Ben Cashdan, une jeune documentariste sud-africaine, lui demande ce qu’il ressent en tant qu’homme blanc en Afrique noire. Il se lance dans un long discours sur le fardeau de la culpabilité et de la responsabilité historique des anciennes puissances coloniales. Il ne peut pas s’empêcher de dire, en se défendant de tout parternalisme : « j’aime l’Afrique, j’aime les Africains ».
Samedi 8 septembre : Un accord a été obtenu, à l’arraché. L’esclavage est reconnu crime contre l’humanité. Les Africains ont partiellement obtenu gain de cause, mais dans quelles circonstances ? Les Européens ont passé un marché : d’accord pour cette concession (sans qu’il soit question de réparations financières), en échange du silence africain sur la question du Moyen Orient.

///Article N° : 80

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