« Mon ambition, c’est de devenir un jour un grand reporter »

Entretien d'Erika Nimis avec Idrissa Coulibaly,

Studio Limania, Korhogo, novembre 2007
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Retour sur une rencontre chargée d’espoir, il y a tout juste un an, avec le photographe Idrissa Coulibaly qui exerce à Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire. Tout en évoquant les séquelles de la crise ivoirienne qui a paralysé la région pendant plus de deux ans, Idrissa Coulibaly croit à la révolution numérique et garde la foi (limania en malinké – nom de son studio) en son avenir professionnel.

Pour commencer, pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours et ce qui vous a conduit à devenir photographe.
Je suis photographe-filmeur à Korhogo. J’ai commencé en 1986. Aujourd’hui, je travaille avec le numérique. J’ai par ailleurs suivi plusieurs formations depuis 1993 grâce à des subventions européennes, ce qui m’a permis d’avancer dans ma carrière. Déjà au collège, je voulais devenir photographe, c’est dire si je suis venu à la photographie par amour, par passion. Et l’amour que j’avais pour l’image m’a poussé vers la photographie après le lycée, quand il a fallu que je trouve un métier. Par manque de moyens, j’ai dû abandonner l’école et je n’ai pas voulu faire comme les autres, c’est-à-dire rester là et ne rien faire. Je me suis donc lancé dans la photographie et depuis, avec mes modestes moyens, je continue à exercer dans la zone de Korhogo.
En 20 ans, comment la profession de photographe a-t-elle évolué à Korhogo ?
À mes débuts, lorsque j’étais encore apprenti, j’ai approché tous les anciens, ceux que j’appelle mes « patrons » : les Yoruba, les Nigérians, je veux dire… Je me suis approché d’eux, j’ai tissé des relations avec eux et ils m’ont conseillé. Lorsque j’ai commencé en tant que professionnel, je n’avais aucun regret, parce que ça marchait. À ce moment-là, la photographie était le monopole des étrangers. J’appelle étrangers ceux qui venaient d’autres pays : les Ghanéens, les Nigérians et quelques Burkinabés. Par ailleurs, dans les années 1980, cette activité était surtout pratiquée par un milieu d’analphabètes, de personnes qui n’avaient pas été à l’école. Et lorsque j’ai commencé, j’étais le seul Sénoufo à avoir suivi une scolarité. En fait, au sein de notre communauté, le métier de photographe n’était pas considéré comme un métier pouvant assurer un avenir. Donc il fallait que je fasse la différence et que j’aille jusqu’au bout, pour que ma famille sache que la photographie peut « nourrir son homme ». Et comme j’étais le seul photographe ayant été scolarisé, en tant que Sénoufo et Ivoirien, je me suis dit que, malgré toutes ces manières de penser, je pouvais montrer à tout le monde que la photographie est un métier noble.
Justement, pensez-vous qu’aujourd’hui les photographes sont mieux considérés que jadis ?
Effectivement. Avec la rage que j’avais, j’ai essayé de réunir tous les photographes. Je fus d’ailleurs à un moment leur modèle. Chacun voulait me ressembler, parce que j’ai donné l’envie à chacun de se dépasser. J’ai donné le goût à certains jeunes de faire la photographie.
Quand vous parlez des jeunes, s’agit-il des photographes ambulants ?
Effectivement, j’ai poussé ces derniers qui n’avaient pas de studio à améliorer leur pratique… Avant d’exercer, j’ai oublié de vous préciser que j’avais également suivi des cours pas correspondance, parce que le patron chez qui je me formais avait quelques limites. Et techniquement, il fallait surprendre. Je me suis donc documenté, en trouvant des correspondants dans la sous-région, au Mali, au Burkina et en Côte d’Ivoire. J’ai également essayé de tisser des relations avec des grands reporters d’Abidjan. Et je continue à les approcher encore pour avoir plus d’informations sur l’évolution de la photographie.
Cela veut-il dire que vous souhaitez pratiquer davantage le reportage ?
Effectivement, ça, c’est l’option que j’ai choisie : faire du reportage. Et je crois qu’un jour, ça va venir. J’essaie encore, mais vraiment mon ambition, c’est de devenir un jour un grand reporter… Si une agence sérieuse m’approchait, je serais prêt à lui donner satisfaction.
Comment comptez-vous vous y prendre pour devenir grand reporter ? Quels sont vos moyens ?
Je suis en train de me documenter. Nos « patrons » ne nous apprenaient pas l’archivage et moi j’ai compris, en suivant mes formations, que l’avenir du photographe ne pouvait être assuré que s’il faisait un bon archivage. Tous les événements qui se produisent dans ma localité, j’essaie de les conserver en images, en attendant qu’un jour, quelqu’un puisse s’y intéresser. Je prends l’exemple sur les doyens : si l’Occident s’intéresse à eux, c’est parce que certains ont gardé quelques négatifs, quelques clichés de leurs travaux d’antan. S’ils ne l’avaient pas fait, on ne s’intéresserait pas à eux. Mais la nouvelle génération n’a pas compris cela, toujours prête à découper les négatifs pour satisfaire rapidement les clients. Moi, je leur réponds que non, l’avenir du reporter passe par les archives. Si vous ne conservez pas bien vos archives, vous mènerez une carrière éphémère. Si vous exercez au jour le jour, demain, il n’y aura plus de traces.
Donc ça veut dire que depuis 1986, vous avez conservé l’ensemble de vos archives…
Et vous constatez que j’ai un ordinateur avec lequel j’essaie de conserver mes images. Et tout ce que j’ai en argentique, je vais essayer de le numériser pour que la conservation soit encore plus fiable. Avec le climat, certains négatifs peuvent en effet se détériorer. Donc j’essaie en plus de l’archivage des négatifs argentiques, de les numériser pour pouvoir mieux les conserver en les stockant sur des cd.
Parlons de l’évolution de la photographie à Korhogo : à partir de quel moment vous avez senti un tournant ?
Le déclin ?
Oui, le déclin, en quelque sorte…
À mes débuts, je crois que je l’ai déjà dit, je n’avais pas de regret par rapport à mon choix de carrière. Chaque fois que je rencontrais des collègues, je leur disais : « Lance-toi des défis ». Maintenant, qu’on me trouve un photographe qui peut faire 1500 photos 10×15 en un jour ! Je n’ose même pas imaginer actuellement qu’un photographe puisse le faire. Moi, je l’ai fait. J’ai déjà fait développer 30 pellicules de 36 poses dans les laboratoires au moment des fêtes. Dans les années 1980, la clientèle se bousculait pour prendre rendez-vous, et on t’envoyait même des cadeaux pour que tu puisses honorer un rendez-vous. Dans les villages, en ville, les mariages étaient programmés, les baptêmes également, et ça marchait. Pendant les fêtes, comme le Ramadan et la Tabaski, je pouvais facilement me faire un chiffre d’affaires de 2 millions FCA en une semaine. Et les gens me donnaient aussi des cadeaux pour voir leur rendez-vous honoré. Je partais vers le plus offrant et n’avais pas à discuter le prix. Mais la crise survenue en Côte d’Ivoire à partir de 1993 a conduit au déclin de la photographie. Les « déflatés » sont apparus sur le marché et ils ne trouvaient pas autre chose à faire que la photographie, parce que pour eux, il était simple de se procurer un appareil et en un clic-clac de sortir une photo commercialisable. Toutes ces personnes ont envahi le milieu de la photographie et le rendement a diminué. Les photographes professionnels n’arrivaient plus à s’en sortir. Puis à cette vague de « déflatés » s’est ajoutée une autre vague, celle des élèves. La crise frappant le pays, les parents n’ayant plus les moyens de les scolariser, les élèves, et même les enseignants se sont transformés en photographes, alors qu’avant, nous avions le monopole dans les écoles. C’est à ce moment que l’un des premiers syndicats a vu le jour vers 1995. J’ai réfléchi avec mes camarades pour conclure que nous traversions aujourd’hui une période difficile et qu’il fallait faire le bilan de la situation. Depuis mes débuts en 1986, le prix des produits photographiques avait augmenté, alors que le prix des photos non. Il avait même chuté avec la concurrence des ambulants. On s’est réunis avec des camarades pour augmenter un peu le prix des photographies que nous vendions et ça a marché. Puis nous nous sommes plaints aux autorités de ceux qui ne pratiquaient pas les prix fixés par le syndicat. Car nous ne vivons que de la photographie, nous payons des taxes à la municipalité. Individuellement, nous ne pouvions réussir à lutter contre ceux qui s’improvisaient photographes à la faveur de la crise. On a lutté et le ministre nous a entendus. Un décret est sorti : aux enseignants la craie, aux élèves les études, aux photographes la photo ! Cette fois-ci, notre lutte a porté ses fruits. Mais suite à la crise, la guerre est arrivée. Il n’y avait plus de travail. Tous les services administratifs ont fermé. C’était la survie. Élèves, manœuvres, forcenés, car il fallait trouver quelque chose pour survivre, se sont improvisés photographes. Ainsi, lors de votre dernier passage (en 1999), vous aviez vu des studios qui aujourd’hui ont fermé, parce que ça ne marchait plus. Notre souhait aujourd’hui, c’est que la crise finisse le plus vite possible, pour que chacun reprenne ses activités.
Pouvez-vous revenir sur la guerre et comment les photographes ont vécu cette période ? Quelles ont été les conséquences ?
Les conséquences sont incalculables. Je suis photographe. Je ne parlerais que de la photographie bien sûr. Ce fut l’un des moments les plus durs pour nous les photographes. C’est vrai, chacun se cherchait, mais nous, nous ne nous retrouvions même plus ! Nous ne savions plus où aller nous chercher ! Puisque nous n’avions appris que la photographie et ne vivions que d’elle. Une fois la crise installée, manger a posé problème. Vous savez que la photographie, dans notre milieu, vient après, une fois qu’on a réglé la question de manger. Et s’il n’y a plus de jour où l’on puisse bien manger, il n’y aura plus de fête et donc plus de photographes… C’était la même chose dans les administrations, quand ces dernières ont toutes fermé : il n’y avait plus de clients pour faire des photos d’identité. Qu’est-ce que le photographe pouvait faire ? Les gens n’arrivaient plus à se marier, n’arrivaient plus à fêter, il n’y avait plus de baptême… Nous avons passé deux années sans aucune activité. J’ai même dû fermer. Maintenant, la crise étant en train de passer, on essaie de se refaire, en attendant le redéploiement des fonctionnaires. En ce qui me concerne, je vous ai dit que ma passion, c’était le reportage, mais s’il y a crise, il faut survivre, donc j’ai continué le filmage et les photos pendant la guerre, car nous, photographes, sommes les témoins de la crise. J’ai commencé à prendre des images qui peuvent demain être d’actualité.
Vous avez donc couvert la crise ivoirienne…
Pas tout, mais j’ai couvert quelques événements dans ma localité.
Mais ces images n’ont jamais été diffusées ?
Pas question. Pour l’instant, je les conserve jalousement.
Et pourquoi ?
Parce que c’est trop tôt. Je me dis que demain, ces images pourront être plus utiles, plus rentables. Parce que nous vivons encore les séquelles, même s’il n’y a plus de coup de feu, le pays n’est pas totalement unifié… C’est une histoire qui est encore récente dans la mémoire. Et au fil du temps, nous allons oublier et nous aurons alors envie de nous remémorer ce qui s’est passé. Et je crois que ce sera le moment de montrer ces images et qu’elles deviendront positives.
Revenons au présent. Maintenant que vous êtes passé au numérique, comment envisagez-vous votre carrière ? Qui sont vos clients aujourd’hui ?
Avec le numérique je tente de vulgariser cette catégorie de photographies qui semble encore être méconnue dans notre localité. Je suis le seul. Actuellement, je travaille avec des ONG. Le numérique est incontournable aujourd’hui et il devient plus facile de traiter des images numériques que des images argentiques. Mais cela ne veut pas dire que je ne fais plus d’argentique, car la clientèle des mariages et des fêtes n’a pas encore d’ordinateur à la maison… Et j’ai des problèmes avec certaines personnes, quand je fais leur portrait en numérique, car elles me demandent leur photo et elles n’ont pas d’ordinateur… Et si on doit tirer sur du papier photo, l’encre et le papier coûtent cher ! La clientèle se plaint déjà pour le prix de la photo argentique. Alors pour le numérique… Donc, il faut vraiment tomber sur une clientèle équipée comme celle des ONG. Pour la clientèle ordinaire (les fêtes et les identités), je continue avec l’argentique.
Est-ce que vous voyez un avenir pour le numérique ici ?
La contrainte du moment fera qu’on adoptera le numérique, parce que nous avons avec ce retard technologique déjà perdu des marchés. Pour l’administration, on nous sollicitait avant pour faire des photos de constat, mais aujourd’hui, ils ont des ordinateurs. Ils ont compris qu’avec le numérique, ils n’ont plus besoin de photographe. À chaque moment, ils peuvent faire leurs photos sans faire appel à un professionnel qui va leur coûter plus cher. Cependant, certains clients viennent me voir pour me demander d’archiver leurs photos numériques en créant des albums. Je monte leurs photos sur des cd qu’ils peuvent ensuite regarder sur leur ordinateur comme si c’était la télé ! Cent photos prises lors d’un mariage se retrouvent ainsi sur un cd et à l’écran. Donc pour ce qui est de l’avenir du numérique, nous, les photographes, devons y travailler, même si cela coûte cher, car nous allons très vite progresser vers le tout numérique. Déjà à Abidjan, ils prennent les photos d’identité avec des appareils numériques. Le client n’a plus à attendre que sa photo soit « lavée » et le photographe n’a plus à se salir pour tirer ses images. Et comme le client est pressé, et qu’il veut ses photos sur place, vous voyez, c’est déjà une menace. Et s’il y a une menace, nous devons y faire face.
Parlez-moi de vos projets. Aimeriez-vous monter une agence à Korhogo ?
J’ai une seule ambition actuellement, c’est de m’ouvrir sur le monde extérieur, l’Occident, pour pouvoir montrer ce dont je suis capable. Que ce soit la photographie, que ce soit la vidéo, je me suis dit qu’Idrissa aujourd’hui n’a plus rien à prouver sur le plan national. J’ai atteint un certain niveau et me dis que le marché local ne peut plus vraiment assurer mon avenir. Il est temps de jouer mon rôle.
Concrètement, que souhaitez-vous faire ?
Concrètement, je voudrais proposer à l’Occident toute la documentation que j’ai déjà archivée et suis prêt à faire voir à mes collègues d’ici et d’ailleurs. Je voudrais être une sorte de correspondant, quitte à devenir une agence, pour prouver au monde extérieur que je suis prêt à couvrir l’actualité de ma localité.
Pensez-vous qu’il n’y ait pas de marché ici pour vous et que l’Occident soit la seule issue pour développer votre activité ?
Je crois que vous avez un peu parcouru l’Afrique… La concurrence déloyale, c’est ce qui nous tue. Dites à un journaliste qu’un événement a lieu dans telle ville, il va chercher à venir lui-même couvrir le reportage plutôt que de recruter quelqu’un de local. Les deux ONG implantées ici et qui ont leur structure de communication à Abidjan me sollicitent directement, lorsqu’elles ont besoin de photos et d’éléments filmés. Elles me donnent des directives et j’envoie le travail. Je l’ai fait par le passé pendant la crise ivoirienne. Les agences ne pouvant venir ici, on m’a confié des directives et ça a fonctionné.
Hormis les ONG, est-ce que des journaux vous ont approché ?
À mes débuts, je travaillais avec la presse. Je collaborais avec Fraternité Matin vers 1997. Lorsque les journalistes venaient à Korhogo, et que leur photographe n’était pas disponible, je réalisais leur reportage photo. Mais vous savez, les photos ne sont jamais signées.
Encore aujourd’hui ?
Avec le téléphone portable, il faut dire que chaque journaliste aujourd’hui a un portable et fait lui-même ses photos. Peu importe la qualité, il veut une preuve matérielle pour son journal. Les plus organisés ont cependant des appareils numériques.
Et à Korhogo, comment perçoit-on la photographie de reportage ?
Mon milieu n’est pas très sensible à la photographie de reportage. À Korhogo, nous sommes plutôt focalisés sur la photo commerciale : on ouvre des studios et on attend que la clientèle arrive ! Beaucoup ne savent pas qu’en photographie, il faut aussi créer des initiatives et qu’il faut se faire connaître ailleurs. Aujourd’hui, cette catégorie de photographies que nous faisons ne marche plus. La seule issue est de créer une ouverture. Je n’exclus pas que les agences sur le plan national s’intéressent à ce que je fais. Mais peut-être qu’elles ne pourront pas me payer convenablement et que mes photos ne seront jamais signées de mon nom.
Êtes-vous au courant de ce qui se passe à Bamako avec les Rencontres africaines de la photographie ?
Vraiment, je n’ai pas d’information. Je sais qu’il y a eu une première édition, parce que des « patrons » y ont pris part*. J’étais au courant, mais depuis ce temps, je n’ai plus d’information.
Vous intéressez-vous à la photographie d’art et entrevoyez-vous un développement de cette pratique ici dans le futur ?
Oui. J’ai essayé d’innover, mais ça n’a pas marché. La photographie d’art, j’ai essayé, et je peux vous montrer ma collection privée. Vous voyez des cd partout, ce sont des recherches personnelles. Tout ce qui est à l’intérieur de mon écran d’ordinateur n’est que recherches personnelles.
Sur quelles recherches personnelles travaillez-vous ?
J’ai un projet dans le sens de la conservation de la culture sénoufo. Il y a des objets d’art qui, à défaut d’être conservés dans des musées, se retrouvent dans mes images, ce qui permet de les conserver aussi. Je photographie également la ville de Korhogo, ses diverses transformations. J’immortalise avant et après la démolition et la reconstruction. Même les accidents de la circulation, je les prends en photo. Je le fais pour ma documentation personnelle.
Donc vous êtes en quelque sorte un gardien de la mémoire de Korhogo…
Voilà. C’est ce que je suis en train de faire.
Mais est-ce que vous pensez que la photographie peut avoir un autre rôle que de garder la mémoire ?
L’amour que j’ai pour l’image me pousse à faire des photos sans cesse. La photo pour moi, c’est comme l’opium. Si vous me demandez de faire une photo, je ne vais pas en faire une seulement. Je ne sais pas, il y a quelque chose en moi, un clic ne me suffit pas. Lorsqu’on me demande de faire une photo, au fur et à mesure que je fais les photos, je suis inspiré et je ressors plusieurs photos. Difficile à expliquer, mais j’ai une passion pour la photo. Pour moi, la photographie, c’est comme ça, je la vis. Déjà au lycée, je faisais développer mes photos en France. Lorsque je réalise une belle image, je suis content intérieurement.
Est-ce qu’un jour les photographes de Korhogo pourront monter des projets photographiques autres que purement commerciaux ?
C’est dans ce sens que je veux aller. Même si c’est vrai qu’on pratique la photographie pour gagner sa vie, le photographe doit penser d’abord à son art. Dans mon premier studio au quartier Dem, ma devise était : « Être le témoin des grands événements ». Jusqu’à présent, j’ai conservé beaucoup d’archives qui me permettent de documenter bien des événements de ce pays. Je veux pouvoir montrer aux générations à venir comment Korhogo a évolué. Même mes enfants, je les photographie depuis la maternité jusqu’au primaire. Depuis que ma dernière fille est née au début de ce mois, je la prends en photo chaque jour. Certains vont dire que c’est de la folie, et qu’elle va souffrir que son papa soit photographe. Pour moi, chaque événement doit avoir une trace et c’est ce que je fais à Korhogo. Même si on ne m’appelle pas, je suis là. Je prends des images que je garde. Demain, je pourrai montrer à quelqu’un comment Korhogo était. Si hier nos parents avaient pensé ainsi et qu’ils avaient gardé une bonne documentation, cela aurait évité que la culture se perde. Je travaille dans ce sens à conserver la culture sénoufo sous tous ses aspects.
Comment vous entrevoyez l’avenir ?
Je souhaite que l’avenir soit vraiment payant pour moi et les autres photographes. Chaque fois que je peux, j’encourage la jeune génération, en lui rappelant que même si les parents ne suivent pas leur choix, la photographie n’est pas une activité maudite. Je leur rappelle que la photographie existait déjà alors qu’eux et leurs aïeux n’étaient même pas encore nés. Depuis les années 1800, la photographie est toujours d’actualité. Jusqu’à nos jours, on considère le photographe comme un va-nu-pieds, quelqu’un qui ne veut pas travailler. Nous sommes dans un milieu où l’on croit que ceux qui travaillent sont ceux qui utilisent leur force physique et moi, je leur dis non. Actuellement, ce n’est plus la force physique qui compte, c’est la technologie qui est d’actualité. Celui qui n’adopte pas la nouvelle technologie reste en marge de la mondialisation. Nous sommes déjà au troisième millénaire. Il faut désormais faire travailler la matière grise pour gagner de l’argent. La matière grise, c’est quoi ? C’est de réfléchir et de créer les conditions de notre propre survie. Depuis le temps de Nicéphore Niépce, la photographie est toujours aussi populaire. Nous pourrions prendre comme référence certains grands reporters et tenter de les surpasser. Je ne connais quant à moi pas d’autre métier qui peut rendre aussi heureux un individu que la photographie. Tout est question d’organisation. La photographie a évolué depuis ses origines et les manières de voir aussi. Au 3e millénaire, un appareil des années cinquante ne peut plus servir… Et jusque-là, certains photographes professionnels travaillent encore avec des Yashica Mat 124 G, alors qu’aujourd’hui nous sommes à l’ère du numérique… Si on ne s’adapte pas à la situation, on aura l’impression que la photographie ne marche plus. Mais c’est parce que c’est vous qui refusez que ça marche, si vous ne vous adaptez pas !

* Idrissa Coulibaly évoque l’exposition « L’œil du temps » initiée en 1994 par le photographe Dorris Haron Kasco en collaboration avec Revue Noire, et qui a été présentée à Bamako, dans le cadre du Off de la toute première édition de la célèbre biennale photographique.///Article N° : 8313

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Les images de l'article
Journée Africaine de l'Enfant à Korhogo en 2005 © Idrissa Coulibaly
Journée de la Femme à Korhogo en 2007 © Idrissa Coulibaly
Limania © Erika Nimis
Idrissa Coulibaly © Erika Nimis





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