Pliya met en voix Obama

Entretien d'Ayoko Mensah avec José Pliya

Paris, décembre 2008
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À l’invitation d’une jeune association artistique et citoyenne, La Caravelle DPI, José Pliya met en voix le fameux discours de Barack Obama prononcé à Philadelphie en mars 2008. Pensé pour toucher un large public, « De la race en Amérique » s’affirme comme un théâtre à la fois politique et poétique, en prise avec l’actualité. Le Lavoir Moderne Parisien accueille ce spectacle jusqu’au 23 février 2009. Rencontre avec le metteur en scène.

Comment est née l’idée de cette « mise en voix » du discours de Barack Obama sur la race ?
José Pliya : La Caravelle DPI (diffusion, production internationale) est une jeune association artistique et citoyenne qui, le lendemain de l’élection de Barack Obama m’a contacté, en tant que metteur en scène. Elle voulait exprimer par le théâtre ce que cet événement représentait pour, je les cite, « l’humanité ». Elle n’avait pas vraiment d’idée, mais voulait « faire quelque chose ». J’ai alors songé à ce discours sur la race qu’il avait prononcé il y a quelques mois en arrière durant les primaires démocrates. Je l’avais lu (traduction de François Clémenceau paru aux éditions Grasset) et j’avais été impressionné.
J’ai alors proposé à cette jeune association un projet de création originale : la mise en voix du Discours sur la Race. Pour moi ce n’était qu’une intuition. L’association a accepté. Vincent Byrd Le Sage, comédien, tournait un film en Guadeloupe. Je lui ai demandé de m’aider à vérifier que c’était une bonne idée. On a eu quelques séances de lecture puis on a lu le texte devant des amis au cours d’une soirée « champagne / hamburger » pour célébrer la victoire. Au terme de la lecture, nous étions convaincu qu’il y avait matière à théâtralité. Les droits d’exploitation du discours et de sa traduction ont été sollicité et obtenu. Le projet était lancé.
L’auteur dramatique que vous êtes sait que pour créer il faut une rencontre, une accroche intime. Quelle est la vôtre en tant que metteur en scène avec ce texte ?
En 2003, j’ai écrit une pièce « Nous étions assis sur le rivage du monde… » Une jeune femme rentre dans son pays natal pour des vacances. Sur la plage de son enfance, elle croise un homme qui lui refuse le droit de boire, de se baigner, de marcher sur le sable. Pourquoi ? Parce qu’elle n’a pas la bonne couleur de peau… Au terme de ce parcours initiatique d’une extrême violence, l’homme finit par inviter la femme à s’installer pour discuter : « Je voudrais comprendre… Peut-être y a t-il une autre issue… pour les couleurs et les hommes… autres choses que la séparation ?… Vous voulez bien rester pour qu’on en parle ? Installez-vous, asseyez-vous, déshabillez-vous pour prendre un bain… Vous voulez bien ? » Et la femme lui répond : « Non. Vous m’avez convaincue. Il n’y a pas d’issue pour les couleurs sur ce rivage. Les hommes, les femmes s’en accommodent très bien. Il n’y a pas d’issue, pas de solution, pas d’espoir que nous puissions nous asseoir un jour, tous les deux, tranquilles, sur le rivage du monde. C’est comme ça. »
L’impasse de cette chute, de cette fin de pièce, surprend, choque, brutalise le lecteur, le spectateur et, je l’avoue, l’auteur.
Mais ce n’est que logique, la logique de mon personnage.
Le discours de Barack Obama sur la race apporte à ma pièce, à mon personnage, une réponse forte, exigeante, sans concession mais qui apaise, mais qui réconcilie.
Je n’aurais pas pu l’écrire, mon personnage n’aurait sans doute pas pu la dire, mais elle nous va cette parole, elle nous convient.
Intimement.
Vous dîtes vouloir mettre en lumière la dimension poétique de ce texte. Vous l’avez travaillé comme une matière littéraire. Comment vous représentez-vous la force à la fois politique et poétique de ce discours ?
Lorsque j’ai découvert ce discours, à l’audition comme à la première lecture, j’ai été frappé par sa force rhétorique. Il est admirablement structuré avec un objectif : convaincre et persuadé. Il y arrive d’ailleurs de belle manière puisque son écriture intervenait dans un contexte politique délicat pour le candidat qui était alors soupçonné par ses adversaires de duplicité sur la question raciale. En l’espace de 40 minutes, non seulement il allait convaincre l’opinion de sa bonne foi mais le lendemain, la presse mondiale saluait un texte à l’égal du « I have a dream » de Martin Luther King. C’est là qu’intervient le poétique : dépassant la simple contingence politique du moment, l’auteur Obama rythme son discours de références littéraires, historiques, bibliques, bref mythologiques. Dès lors, il ne s’adresse plus à la conscience de son seul peuple mais à l’inconscient collectif de tous.
L’objectif de ce spectacle, dîtes-vous, est « la circulation maximale dans tous les lieux et espaces où jeunes, femmes et hommes, citoyens du monde se retrouvent : chez l’habitant, dans les associations, les médiathèques, les salles de classe des lycées, les universités, et bien sûr les théâtres… ». Pourquoi cette volonté de diffuser si largement le discours d’Obama ?
Précisément parce que c’est avant tout une parole politique donc citoyenne. Une citoyenneté du « tout monde » comme le dit Edouard Glissant. Une parole adulte, franche, simple et directe à la fois. Elle ne se voile pas la face sur la réalité du racisme. Mais elle l’affronte par le haut, par la force de l’esprit et de l’intelligence. C’est rare et c’est une chance à faire partager au plus grand nombre.
La question raciale est encore taboue en France. Cherchez-vous par ce spectacle à la faire émerger dans le débat public ? Pourquoi ? Que peut-elle amener ?
La question raciale est encore taboue dans bien des parties du monde, dont la France… Alors oui l’association aimerait que ce spectacle suscite le débat partout où il sera joué. Pourquoi ? Parce que débattre c’est être en démocratie et nous n’avons jamais assez de démocratie, en France comme ailleurs… Ce que ça peut amener ? Je paraphraserai Obama : « l’espoir d’une union plus parfaite ».
On a assisté progressivement à une Obamania quasiment mondiale. Barack Obama reste cependant un homme politique américain qui doit encore faire les preuves de sa capacité à gouverner. Ce spectacle ne participe-t-il pas à une « canonisation » avant l’heure du 44ème président des Etats-Unis ?
D’aucun ne manqueront pas de le ressentir comme une participation de plus à sa « canonisation ». Ce n’est pas mon intention ni celle, je crois, de l’association. Ce qui me motive c’est une démarche d’homme de théâtre citoyen : le théâtre en France a souvent besoin de recul, de distance par rapport aux événements pour les restituer. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays. Je suis de cette école française là, mais cette fois, j’ai eu envie de m’essayer à un théâtre de l’actualité, de l’immédiateté. L’indispensable distanciation sera alors dans la scénographie et surtout dans le jeu de l’acteur.
Vous êtes Français d’origine béninoise, vous dirigez une scène nationale en Guadeloupe. Comptez-vous présenter ce spectacle en Afrique ? Pourquoi ?
Le vœu le cher de la Caravelle DPI est de présenter ce spectacle partout dans le monde et donc, bien sûr, en Afrique. Pourquoi ? Parce que les publics africains comme beaucoup d’autres ont besoin je crois, d’entendre et de voir un théâtre politique, poétique, vivant en prise avec son actualité la plus palpitante.

Où et quand ?
De la race en Amérique, de Barack Obama
Direction : José Pliya
Avec Vincent Byrd le Sage
Du 10 janvier au février 2009 au Lavoir Moderne Parisien.

35 rue Léon – 75018 Paris
vendredi 9 et samedi 10 janvier à 19h15dimanche 18 janvier à 15h30
puis du dimanche 25 janvier au lundi 23 février
à 15h30 les dimanches et 19h15 les lundis uniquement

Réservation 01 42 52 09 14 / tarif unique 10 €
Voir : www.rueleon.net
Texte publié aux éditions Grasset, Traduction et introduction : François Clémenceau. Également disponible sur le site : africultures.com///Article N° : 8316

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Les images de l'article
De la race en Amérique © DR
José Pliya © DR





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