Cameroun : simulacre d’émasculation du pouvoir par les femmes

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Nombre de crises ont divisé l’opinion publique durant le premier semestre de l’année 2008 au Cameroun. Certaines impliquaient les femmes comme auteures ou actrices desdites querelles. Deux faits plutôt curieux méritent de retenir l’attention. D’abord, le public, qui a adhéré à la cause de la femme à tous les épisodes. Ensuite, l’État qui s’est, à l’occasion, soustrait de son rôle dénoncé de père fouetteur pour comprendre les pleurs de la mère de l’humanité. Ce sont des cas rarement observés dans cette société patriarcale. Si, d’un côté, il faudrait y voir une soudaine souplesse de la part de l’État dans ses relations avec la femme, de l’autre côté, la condition féminine reste est un fardeau. Rien de fondamental ne change, en effet, car la présence d’une femme à certains postes de prestige reste un tabou.

Les femmes s’approprient la force au Cameroun. Elles choisissent de défier le pouvoir en place. Cette logique d’affrontement s’est matérialisée le 17 février 2008 à Buéa lors de la Course de l’Espoir. Sarah Liengu Etongé enfile le maillot de l’ascension la plus pénible de la sous-région d’Afrique centrale. Le sommet culmine à 4100 m. Le marathon s’étend sur 42 km de pentes escarpées. Les pierres y coupent les souliers comme d’authentiques lames. La température varie entre 40° au pied et presque 0° au sommet. Or, la Fédération camerounaise d’athlétisme avait déconseillé la participation de la Reine du « Chars des Dieux ». Elle redoutait un éventuel accident. Comme consolation, la Fédération avait érigé une statue à son image au pied du Mont Cameroun. Un emploi lui fut également trouvé dans une compagnie d’assurance de la place. La condition imposée par la Fécathlétisme était l’acceptation d’une fin de carrière par l’intéressée. Forte de six maternités et de sept titres de championne à 42 ans, Sarah Liengu rejette cette précipitation à la retraite. Le public donne légitimité à sa cause et renverse la statue. La Fécathlétisme est contrainte de revoir sa copie en raison de la pression populaire.
Le second affront prend fin le 23 avril 2008 à Yaoundé quand le président de la Fécathlétisme, Ange Sama, lève la suspension de Françoise Mbango Etoné. La médaillée d’or des Jeux Olympiques d’Athènes 2004 peut donc prendre part aux XVIe Jeux Africains à Addis Abeba en Éthiopie et aux Jeux Olympiques de Pékin. Cette décision fut précédée d’un bras de fer entre la Fédération et la triple sauteuse. Son absence sans raison évidente aux Jeux africains d’Alger en 2007 avait valeur d’insulte à l’endroit des autorités de la mère des disciplines. Pourtant, le Trésor Public avait financé le déplacement de la championne du monde. Elle avait même empoché la prime olympique prévue à cet effet. Il fallait donc la sanctionner d’une suspension à durée indéterminée. Plus grave, l’athlète émérite avait refusé de parapher le document de la paix à l’issue des travaux de réconciliation décidés par le ministre des Sports et de l’Éducation Physique, Augustin Edjoa. Malgré tout, l’État a réhabilité la tenante du titre olympique du triple saut en multipliant les pressions sur la Fécathlétisme. Françoise Mbango a défendu et conservé son titre aux Jeux Olympiques 2008 à Pékin, donnant au Cameroun sa seule et unique médaille d’or.
Reconsidérer le statut de la femme
L’enseignement à retenir est l’annonce d’une nouvelle ère en matière de gestion de l’approche genre au Cameroun. La différence des sexes n’est plus vraiment déterminée par les épithètes supérieures et inférieures. La notion de complémentarité homme-femme gagne davantage les esprits. Cette émergence du discours de l’émancipation émis par la femme de l’arrière-scène sociale, en l’occurrence la rurale et la sportive, parvient à se frayer un chemin dans les cercles du pouvoir. Les décideurs écoutent la femme « rebelle ». Celle-ci comprend que tout affrontement consiste à diaboliser l’ennemi ; ici, le pouvoir constitue le belligérant ciblé par la femme car il est cette part de soi-même devenue haïssable. De cette attention nouvelle accordée à un ordre de féminin jadis ignoré naissent des transformations au niveau des rapports de puissance. Le système camerounais procède ainsi à un réajustement des hiérarchies qui intègrent désormais la femme aux côtés de l’homme dans l’espace public. C’est plus ou moins le recul des monopoles masculins.
Diverses influences en faveur de l’émancipation de la femme
Il va de soi que cette reconsidération du statut de la femme ne saurait se réaliser par ordinaire grandeur d’âme. Nombre de raisons sont avancées pour justifier la décrispation des rapports du pouvoir à l’égard de la femme. Il y a d’abord l’audace des actrices sociales comme celles présentées plus haut. Elle agit comme une force capable de pousser la haute autorité publique à revoir le modèle de ses contacts avec la femme. Ensuite, l’internationalisation du fait féminin parle en regardant le Cameroun dans les yeux. Par ailleurs, le cycle de puissance du pouvoir de Yaoundé amorce la fin d’une époque. De la naissance en 1982 des principes de rigueur et de moralisation, à l’apogée actuelle de la politique dite des Grandes ambitions, en passant par les slogans de la décennie 90 comme le Seul bon choix et L’homme lion, ce pouvoir devrait désormais présenter des signes de fatigue – s’il fallait respecter la tradition qui préjuge de la mort de chaque structure sociale après la vie et l’évolution.
Accorder un espace d’expression à la femme, c’est faire du marketing politique. Le pouvoir veut se vendre auprès de l’électorat et des chancelleries internationales. Il a conscience de ce que tout ordre établi est précaire et a un envers. D’où la main tendue vers la femme ordinaire en faisant montre de maturité et de recul par la réhabilitation de Françoise Mbango Etoné, malgré ses « crimes » ; couvrant de ridicule la hiérarchie intermédiaire, notamment la Fécathlétisme, cette métaphore obsédante de l’homme. Ou, par la remise de la médaille du mérite sportif à Sarah Liengu Etongé le jour même de la Fête nationale, 20 mai 2008, à peine trois mois après son affront.
Nouveauté de l’acceptation du discours de la femme marginale
La leçon est d’autant plus significative qu’en honorant ces deux individus, le pouvoir fait des concessions intéressantes. En prêtant l’oreille à des femmes issues des marges, l’État assume sa fonction de solidarité à l’égard des « faibles ». S’il avait mis l’accent sur les rivalités, il aurait favorisé les exclusions, notamment celles des femmes. En effet, compétitivité rime davantage avec masculinité que féminité. Une rurale, une sportive et une artiste ne sont pas censées s’exprimer. C’est une clause patriarcale consignée nulle part mais respectée par tous. La chanteuse K-tino s’est à plusieurs reprises essayée à vilipender la société camerounaise. Ce fut à ses dépens. Et les représailles ont toujours été proportionnelles à ses invectives : albums censurés, chansons interdites de diffusion dans les médias gouvernementaux et campagnes de dénonciation de ses chansons dans des émissions comme Déviances. La lecture profonde des « coups de gueule » de Françoise Mbango et de Sarah Liengu révèle qu’ils participent de l’affirmation de la parole publique et anticonformiste de la femme camerounaise. Jusque-là, elle était l’apanage d’une certaine élite intellectuelle issue du moule occidental. Il fallait justifier du courage d’une écrivaine du calibre de Calixte Beyala ou d’une journaliste de la dimension de Suzanne Kalla Lobé pour confronter, voire provoquer, l’ordre établi.
Limites et ruses étatiques préjudiciables à la promotion féminine
Il serait dommage que les mouvements d’émancipation et de promotion féminins n’émanent que de situations conflictuelles. Le bon sens impose d’accorder respect et légitimité au régime des compétences. Louer une rurale et une sportive n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit pas de parader la femme mais de prendre conscience de l’urgence à intégrer l’approche du genre au Cameroun. En réalité, il faut aller jusqu’au bout du processus d’acceptation de la parité. Voilà la problématique à laquelle est confrontée la société camerounaise. Une attribution de rôles plus nobles ou une redistribution des fonctions sont envisageables. Sans pour autant l’émasculer, il importe de féminiser l’autorité en temps opportun et en fonction des profils. C’est déjà le cas de l’Université de Yaoundé I où le plus ancien des recteurs est le Professeur Dorothy Limunga Njeuma. Un poste qu’elle doit à ses qualités de gestionnaire. Il faudrait également mentionner le mérite de Yao Aïssatou à la tête de la Société nationale d’investissement, SNI, pour saluer la timide volonté paritaire de l’État. En d’autres termes, il est question d’admettre les femmes à des fonctions de souveraineté, non pour plaire à la nature du sexe et à ses militants, mais davantage pour récompenser le mérite. Ce sont, à titre d’illustration, la présidence de la République, le Premier ministère, les ministères de la Défense, des Finances, de l’Économie, de l’Administration territoriale, les Relations extérieures, la délégation générale à la Sûreté nationale. L’accès leur y reste, malheureusement, fermé. Il est difficile d’expliquer le retard qu’accusent les femmes au niveau préfectoral. Le pays ne compte pas la moindre préfète. Les femmes les plus chevronnées dans le commandement sont deux sous-préfètes. Le Cameroun attend toujours sa première générale d’armée parmi la pléiade de colonels en service. En réalité, la gent féminine en est encore à se contenter de portefeuilles de remplissage. Il s’agit des Affaires sociales, de la Promotion de la Femme et de la Famille ou de la Culture. Pourtant, elles sont numériquement plus fortes dans les écoles. Parfois, elles le sont aussi sur le plan qualitatif. Mais, l’échec du programme de sensibilisation contre les mariages et les grossesses précoces, en tuant la planification familiale, se présente comme un obstacle à l’émergence d’une élite féminine majoritaire et réactionnaire. En somme, le Cameroun demeure une des hégémonies du patriarcat. Le système d’oppression contre la femme commence à craqueler mais ce n’est qu’en surface. De l’intérieur, il demeure très soudé.

///Article N° : 8343

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