Le meilleur reste à venir

De Sefi Atta

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1971, Lagos, Nigeria : Enitan, grandit dans un quartier résidentiel, au bord de la lagune, entre un père « féministe » (jusqu’à un certain point) qui veut une éducation pour sa fille et une mère lointaine, qui a un jour perdu le sourire pour se tourner vers l’église. Une enfance comme tant d’autres, et qui semble bailler d’ennui, quand intervient une rencontre d’importance : Sheri la « demi caste » (1), fille du voisin Chef Bakare, entre dans la vie de la jeune Enitan avec son impertinence, sa vantardise, et toutes les différences qui la rendent si attirante. Entre la petite chrétienne qui grandit fille unique dans un couple au bord de la séparation et la jeune effrontée musulmane qui règne déjà sur toute une tribu d’enfants dans une famille bruissant de rires et d’odeurs de cuisine, c’est une amitié faite de confidences et de quatre cents coups qui naît. Pour le meilleur et pour le pire, lorsque Sheri, un soir, se fait violer sous le regard de son amie, pour une robe un peu trop osée, des rires trop partagés. Un viol comme une ligne de sang barrant l’adolescence des deux jeunes filles. « L’eau qui s’enfuyait dans le siphon, je la voulais limpide. Quand elle serait limpide, nous aurions survécu. »
C’est l’histoire et la manière de survivre qui nous est racontée, au travers de deux vies de femmes qui vont diverger : celle de Sheri, restée au Nigeria (dont elle deviendra la Miss) et entretenue par des sugar daddies et celle d’Enitan, entre l’Angleterre, les études de droit et le retour au pays. Un pays qui, irrémédiablement va s’enfoncer dans les « années pagaille », entre guerre du Biafra, coups d’états successifs, pénurie chronique et dangerosité grandissante. Un pays qui, lui aussi, doit apprendre à survivre.
Dans ce roman d’une extrême densité, ce sont donc des lignes multiples qui se déclinent : il y a le roman familial, avec ses silences, ses mensonges, ses dissimulations, le roman d’apprentissage et, bien sûr, la vaste fresque d’un pays à la dérive. Trois lignes, trois « parcours » qui sont comme une difficile mise au monde, mais une mise au monde cependant. Ainsi Enitan la « tête brûlée » que son parcours va peu à peu amener à la conscience et l’engagement, va peut-être devenir une
« putain de militante, et toutes ces conneries qui vont avec », comme la décrit son mari, mais elle va également découvrir les secrets d’une famille à construire et devenir mère.
Et la mise au monde de son enfant, dans des conditions éprouvantes, conjugue les mêmes espoirs que ceux qu’elle porte pour le Nigeria, pays meurtri mais aimé, viscéralement. Envers et contre les représentations (et réalités) que l’on en a.
« Mon Afrique était un continent de lumière, pas de ténèbres, il y avait tant de soleil. Et faire l’expérience de l’Afrique, c’était aussi être assailli de multiples sensations […] c’était comme manger une orange. Une orange n’éveillait pas une sensation unique. Filandreuse, pâteuse, piquante, amère, douce. La pulpe, les pépins, les quartiers, la peau. La petite brûlure dans les yeux. L’odeur qui restait sur les doigts. »
Et si Enitan, avec ses révoltes, ses sautes d’humeur et ses revendications est certainement « impolie » (comme Sheri, qu’elle juge d’ailleurs ainsi), cette impolitesse est active, et a à voir avec une certaine impertinence ; l’irrévérence et la volonté de réclamer son dû. Et de ne pas se laisser dicter sa conduite.
Et si ces parcours de femmes rappellent immanquablement d’autres écrivains de veine « féministe », comme Ama Ata Aidoo ou Buchi Emecheta, Sefi Atta, avec ce premier roman, vient également prendre place au sein d’une nouvelle génération plus large de nouveaux auteurs comme Helon Habila ou Chimamanda Ngozi Adichie qui témoignent résolument que le Nigeria reste, plus que jamais, une grande terre littéraire.

1. C’est-à-dire métisse.Le meilleur reste à venir, Sefi Atta, roman traduit de l’anglais (Nigeria) par Charlotte Voillez, collection « Afriques », Actes Sud, 2009///Article N° : 8394

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