Misery

De Laïka

Coup de foudre
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Il y a des moments où l’on en a marre des hommages, des anniversaires, de cette manie de la célébration qui est devenue l’une des plus assommantes manifestations de la société du spectacle.
On trouve dans sa boite à lettres un cd intitulé « Misery » et sous-titré « a tribute to Billie Holiday ». On pressent alors l’avalanche : 2009 est l’année du cinquantenaire de la mort la plus tragiquement médiatique de l’histoire du jazz, quelle aubaine ! Les hommages à Lady Day se bousculent déjà au portillon des mémoires et des tiroirs-caisses du cd-business (qui malgré la crise existe encore, rassurez-vous).
Alors bien sûr, le premier réflexe est de caler la pile des disques à écouter, qui menace de s’écrouler, en glissant dessous « Misery ». La meilleure définition de la misère, disait Pierre Bourdieu, c’est « ce qui est tout en bas ». Le temps passe, avec ses accidents, la pile baisse, les cds défilent, la plupart entrent par une oreille et ressortent trop vite par l’autre, jusqu’au moment où celui-ci réapparaît, en haut de la pile, encore sous cellophane, orné du regard songeur de Laïka. En le déshabillant on se dit, goguenard : « merde ! encore une qui se prend pour Billie Holiday !…comme s’il n’y en avait pas assez…
On met le disque en route et on va se faire un café, en ricanant à l’écoute du prélude mélodramatique du pianiste Robert Glasper. Soudain les doigts se figent sur la cafetière : Laïka chante « Strange Fruit ». Elle ose. Aussitôt le café coule tout seul, le temps s’arrête.
J’ai passé ma vie à écouter Billie, je fais partie de « ceux à qui on ne la fait pas », et me voici figé en écoutant cette jeune dame qui chante le chef d’œuvre de ma seule idole. Pire, au fil du disque les larmes me montent aux yeux, et je comprends alors que je vis un vrai miracle.
Laïka Fatien n’était pas une inconnue pour moi, mais je l’avais perdue de vue depuis le temps où elle endossait – très bien d’ailleurs – le rôle difficile de la belle chantante au sein du big band de Claude Bolling.
Bonne école, car ce chef d’orchestre rigoureux, qui fut l’ami intime de Duke Ellington, n’est pas du genre à tolérer la médiocrité en matière d’interprétation des chefs d’œuvre du jazz. Il peut être très fier aujourd’hui d’avoir décelé le talent précoce de Laïka Fatien.
De père ivoirien et de mère « juive marocaine » (elle est très attachée à cette culture « sépharade » où la musique tient tant de place) Laïka n’a certes pas bu le lait du jazz à la naissance. Pourtant elle chante vraiment cette musique comme on respire. Il n’y a dans son chant aucune affectation, aucun de ces tics détestables qui font mériter à tant d’autres de sa génération l’injurieux adjectif « jazzy ».
J’ai eu envie de savoir si ce miracle n’était pas un mirage, et je suis allé écouter Laïka chanter Billie Holiday au New Morning (1).
J’en ai encore le souffle coupé, et plutôt que de baratiner davantage sur ce cd, je vous conseille de l’écouter en toute priorité, et vous promets une rencontre prochaine avec cette admirable chanteuse.

1. Laïka était en concert au New Morning à Paris le 25 février 2009Misery, Laïka (Blujazz / Codaex)///Article N° : 8420

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