Un si beau voyage

De Khaled Ghorbal

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Khaled Ghorbal, connu pour le beau Fatma (2001, cf. critique 2095), réalise ici un film épuré, méditatif, à l’envers de toutes les modes, aussi tranchant que son personnage principal, déchiré mais en quête d’apaisement. Mohamed est en fin de parcours : malade, séparé de sa femme, en retraite anticipée. Il vit dans un foyer de travailleurs mais ne peut y rester. C’est un exilé, exilé de la vie et que la vie exile. Il porte une incommensurable douleur, non seulement celle qui lui déchire les entrailles mais celle de l’immigré ayant peu à peu perdu l’espoir. Le retour au pays n’est pas à l’ordre du jour jusqu’à ce que tout se ligue pour le lui imposer. Il ira alors à la recherche de son enfance, c’est-à-dire de ce qui aurait pu lui rendre l’énergie de vivre, mais se retrouve étranger en son pays. Le vent et les sables du désert pourront alors s’emparer de lui.
Que l’on sente rapidement venir cette fin n’est pas un problème : le suspens est justement de craindre qu’une drame arrive. Et cette tension porte le film : il ne se passe pas grand chose, mais l’image vibre d’un au-delà qui a l’odeur de la mort. Khaled Ghorbal a clairement choisi le désert pour souligner cette métaphysique : regarder avec recul et lucidité un monde qui se replie est douloureux, voire mortifère. Là est l’ambiguïté dynamique de ce film à la fois fascinant et dérangeant.
Ghorbal cultive l’épure et le respect de son personnage pour décrire le soin méticuleux de son petit espace de vie, son regard dépité sur les dérives des enfants d’immigrés, sa mise en valeur de la camaraderie. Sa terrible solitude ne signifie pas l’échec de ses valeurs mais celle d’un destin d’immigré où l’on meure à petit feu. Il révélera à son cousin que sa femme est partie car il était stérile : Un si beau voyage manifeste avec une impressionnante force le dessèchement d’une vie d’exilé qui perd toute fécondité, coupé de tout ce qui pourrait la raviver – l’amour, la famille, le dévouement, les racines. Prenant le temps d’en sentir le pouls poétiquement, le film se révèle d’une grande sensibilité et s’inscrit dans notre mémoire. La longueur des plans et l’étirement du temps sont éprouvants mais ne posent pas problème : nous sommes capables de patience et d’écoute si l’enjeu en vaut la peine, même s’il est clair qu’il est aujourd’hui, à l’heure de la fragmentation généralisée, provocateur pour le spectateur de l’installer ainsi dans la durée. Or l’enjeu est de suivre à son rythme Mohamed, remarquablement interprété par Farid Chopel, lui-même décédé en avril 2008, dont la gestuelle raffinée et le jeu distancié confèrent au personnage une grande dignité. Il permet à Khaled Ghorbal de livrer un portrait marquant, le constat lucide mais quelque peu désespéré de la mort d’un monde.

Tunis, novembre 2008///Article N° : 8437

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