« La poésie me permet de souffler un peu et de reprendre du courage »

Entretien de Tanella Boni avec Monique Mbeka Phoba,

Mars 2009
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Monique Mbeka Phoba, connue comme réalisatrice de documentaires, publie son premier recueil de poèmes, Yemadja*.

Vous êtes réalisatrice de documentaires depuis 18 ans. En poésie, il s’agit de votre premier recueil, même si quelques-uns de vos poèmes ont déjà été publiés par Pius Ngandu Nkashama, dans une anthologie (1). Comment s’est fait ce passage d’un art à l’autre et je suppose que l’image et le mot ont toujours cheminé ensemble ?

J’ai écrit très jeune, encouragée par mon père, qui avait une dévotion pour la littérature et, singulièrement, pour la poésie. Il a fait tant et si bien que j’ai commencé très tôt, pour lui faire plaisir, à bricoler de petits textes vers 9 ans, qualifiés indûment de poésies. Mais, j’ai persévéré et il y a eu une époque où je pondais littéralement des poèmes, au point, à la fin de mes études secondaires, de trier les meilleurs pour en faire un recueil d’une centaine de pages dénommé : « Effervescences ».
Malheureusement, il n’a pas trouvé preneur dans une maison d’édition, c’est d’ailleurs à ce moment-là que Pius Ngandu Nkashama, qui l’avait lu et apprécié, a pioché quelques œuvres pour les inclure dans son anthologie de la poésie zaïroise. Finalement, un peu découragée, j’ai trouvé un autre terrain d’expression dans le domaine de l’audiovisuel (la radio, plus précisément) pendant 5 ans, puis dans le documentaire, depuis 18 ans.
Mes poèmes sont des textes que j’écrivais pour moi, au fil des années, sans souci de publication. Je retrouvais parfois, des années après, des gribouillis au milieu de mes scenarii de documentaires, écrits et presque aussitôt après oubliés. Je le faisais entre les moments où je me pressais les méninges pour rédiger mes scenarii de documentaires. La poésie était quelque chose qui me ressourçait, me délassait, me permettait de souffler et de reprendre courage… Ce n’est pas évident pour moi de voir ces textes publiés. A priori, c’était des petites choses pour moi et mes intimes, conservées dans les marges de ma vie. Ce qu’ils révèlent est apparemment perturbateur, beaucoup des gens qui me connaissent par ailleurs, disent que c’est extrêmement surprenant de me découvrir auteur de tels textes, si passionnés, si désinhibés… Que ça ne correspond pas à l’image qu’ils se faisaient de moi.
Mais, la documentariste et la poétesse sont deux facettes de moi et je ne pense pas qu’elles soient contradictoires.
Paul Hémond, un de mes professeurs, écrivain de théâtre belge, m’a décrit qu’il était (je le cite) « admiratif de ta grande sobriété et du ressenti des mots qui forment le poème, admiratif aussi de l’assemblage si simple et en même temps très subtil de ces mots ».
Et c’est exactement cela : j’écrivais pour moi et je n’avais pas besoin de m’épater moi-même. Écrire, c’est comme une autre respiration.

Ce recueil a un titre évocateur, Yemadja, divinité marine que l’on retrouve aussi bien sur les côtes africaines (Golfe du Bénin) qu’à Cuba mais aussi ailleurs en Amérique latine, au Brésil, au Venezuela. Qui est Yemadja et pourquoi avoir choisi le nom d’une divinité pour un recueil de poèmes ?

J’ai vécu au Bénin entre 1995 et 2007 et j’avais des amis dans le milieu littéraire, à qui, incidemment, j’ai fait lire de vieux poèmes. Je n’en écrivais plus tellement, peut-être un ou deux valables par an. Un metteur en scène béninois, Hermas Gbaguidi, a décidé d’en assembler quelques-uns et d’en faire une mise en scène pour le théâtre : « Départs / Chœurs de femmes » : cela a été l’embryon de « Yemadja ». À partir de ce moment-là, j’ai recommencé à écrire des poésies à la même cadence que lorsque j’étais adolescente : c’était très gai. Quand Hermas Gbaguidi venait me voir pour me tenir informée de l’avancement de la pièce, à chaque fois il repartait avec une nouvelle cargaison de poèmes. Il m’a fait vraiment un très grand cadeau. Quand la pièce a été créée, j’en ai écrit encore un certain nombre. Et puis, l’idée m’est venue de les proposer pour l’édition. Mais, ce projet a encore beaucoup traîné jusqu’à ce que je rencontre Bienvenu Mongaba Sene, alors que j’avais quitté le Bénin et étais revenue à Bruxelles. Ce professeur de sciences d’origine congolaise, qui travaille en Belgique, a décidé de monter une maison d’édition pour publier la nouvelle génération des auteurs congolais : les éditions Mabiki. J’ai adoré ce volontarisme et nous avons coédité le recueil ensemble. Il faut dire que j’ai été encouragée par un de mes frères qui trouvait inadmissible de voir ces poèmes dormir dans un tiroir et ne m’aurait pas laissée tergiverser plus longtemps.

Ce recueil, composé de quelques longs poèmes peut se lire comme un appel au voyage autour des éléments cosmiques, du soleil, de la Terre-mère mais surtout de la mer. La dernière partie s’intitule « rivages »… Et vous prenez la peine d’expliquer, à la fin du recueil, l’univers de « Yemadja ».

Je n’ai pas vraiment eu, durant mon séjour au Bénin, la démarche d’essayer d’en savoir plus sur le vodoun. Je trouve que tout le monde se précipite, que ça devient une sorte de piège à touristes, avec un côté voyeur. J’ai été attirée par cette divinité, Yemadja, parce que j’ai développé une véritable intimité avec la mer, durant mon séjour au Bénin. Très souvent, même en n’y allant pas, je me voyais dans la mer et ressentais le besoin de la mer. Et le fait que Yemadja serait à l’origine des amours difficiles de ses adeptes est une histoire qui m’a complètement fascinée. Mais, encore une fois, je n’ai pas fait de recherches particulières et n’ai pas eu le désir d’un engagement plus formel envers cette divinité. Cependant, j’ai fait de Yemadja une sorte de marraine de tout mon vécu béninois, du fait d’avoir écrit là-bas, d’y avoir fait des films, d’y avoir organisé un festival, d’y avoir fait des rencontres, qui resteront extrêmement importantes, d’y avoir eu tellement de projets, de rêves, exagérés bien sûr, comme tous les rêves… Yemadja, c’est aussi un titre qui me permet de dire au revoir à ce pays, au revoir à ma jeunesse et à toute son ardeur amoureuse. Car j’entre maintenant dans mon âge mûr, je commence une autre étape de ma vie.

Mais il s’agit aussi de poèmes d’amour, de cheminement ensemble (p.67) de fusion parfois ou de séparation ?

Poèmes de voyage un peu, mais plutôt poèmes d’amour, de fusion, de ruptures, de solitude, c’est plutôt cela. Il y a l’amour, la passion, le ressenti et le partage et, à côté, la certitude de la solitude et de la mort.

Vous n’oubliez pas de célébrer, en passant, des personnages historiques comme Lumumba, Nkrumah et Sankara notamment dans le poème « Indépendances ».

Les indépendances sont une sorte de constante dans mes films, dans mes écrits, une antienne : qu’avons-nous fait de notre indépendance, de tous ces rêves, de toute cette joie, de cet investissement, de ce sentiment d’invulnérabilité et de puissance, qu’avaient tous ces gens, et que l’on perçoit encore dans les photos, dans les textes… Le plus célèbre étant le discours de Lumumba. Où dorment, cassés et reniés « 7 fois avant le chant du coq », nos héros, des gens comme Lumumba, Cabral, Sankara, qui nous faisaient vibrer, nous réclamaient notre courage, notre investissement, notre passion… De passage à Ouagadougou, en vacances, en 1986, j’ai un jour envoyé un courrier à Sankara, pour lui demander une interview pour ma radio estudiantine : et il m’a écrit pour accepter. Cette interview reste un des plus beaux souvenirs de ma vie. Qui aurait aujourd’hui cette générosité, cette attention aux autres, parmi nos dirigeants ? J’avoue que je ne me retrouve pas dans cette époque de calculs, cette suprématie du système libéral qui nous a conquis jusqu’aux os et qui est le piège dans lequel nous nous délitons. Ce n’est pas ce que mon père m’a appris et, malédiction ou pas, je reste fidèle à son « rêve d’indépendance », qui est d’ailleurs le titre d’un de mes films. Cette obsession qui était la sienne est devenue la mienne. Et cela, d’autant plus qu’il est mort et que je suis héritière de sa douleur d’avoir vécu l’échec de sa génération.

Daniel Simon, votre préfacier, dit, à propos de votre poésie, qu’il s’agit d’une « tentative de reconstruction du monde, d’un monde plus beau et plus juste ». Qu’est-ce que la poésie, pour vous ?

Tenter de se créer un monde plus beau et plus juste, un monde habillé de vos mots, c’est l’éternelle magie du poème, cette scansion, cet émerveillement de mots s’enfantant l’un l’autre, bijoux de lumière.
Mais, tout cela, sans être dupe : ce n’est qu’un poème…

Extrait de « Rivages », Yemadja (p.71)

Peut-être baisser les armes
Et nous rendre la mer…
La mer et ses gestes chauds
L’écharpe de ses vagues au cou
La mer et sa complainte débordante
Autour du ventre
La mer et son grain de sable
Et son perpétuel questionnement d’écume
La mer et sa grotte de suppositions
Dans son alambic verdâtre
La mer et son goût d’écume et de vent
Dans lequel on n’est plus rien
La mer et son tambour battant de gouttelettes
Sur le rivage qui n’en peut mais
La mer et son adieu chuchoté de coquillage
A la voix de Yemadja

1. Pius Ngandu Nkashama, La terre à vivre, La poésie du Congo-Kinshasa, Paris, L’Harmattan, coll.Poètes des cinq continents, 1994.Yemadja, Bruxelles, éditions Mabiki, février 2009, 73 pages///Article N° : 8480

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Monique Mbeka Phoba © DR
Monique Mbeka Phoba avec Thomas Sankara © DR





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