Au loin des villages

D'Olivier Zuchuat

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« Quand un homme s’exile, il perd sa place dans le monde », disait Sartre. Les 13 000 Dajos qui se sont réfugiés dans la plaine de Gouroukoun au Tchad l’expérimentent à leurs dépends : chassés de leurs terres par les milices soudanaises janjaweeds, tous ont perdu dans les combats de nombreux proches et tous leurs biens. Ils attendent depuis 2006, en l’absence d’intervention gouvernement tchadien, que la communauté internationale impose un règlement leur permettant un retour. Ils sont pris dans l’engrenage infernal du conflit du Darfour où les milices exercent une incroyable violence pour chasser de leurs terres des paysans et les remplacer par d’autres que la sécheresse pousse à descendre vers le Sud.
Pour rendre compte de cette guerre sans témoins autres que ceux qui en souffrent, Olivier Zuchuat partage le quotidien du camp de réfugiés. S’il n’en montre aucune image, la guerre est omniprésente : dans les récits, dans les dessins des enfants, dans la crainte des femmes pour leurs maris, dans les chants de propagande mais aussi dans le poids de l’attente où l’on balaie une poussière qui ne fait que retomber au même endroit. C’est ce déplacement qui rend ce film incroyablement émouvant. Privilégiant une caméra fixe, son approche est quasi-photographique, avec ce temps que la photo offre à celui qui la regarde pour s‘arrêter sur ce qu’elle évoque, pour la laisser résonner au-delà de ce qu’elle montre. Captés en totale dignité, de face et au centre de l’image, des hommes et des femmes témoignent des horreurs vécues, de la peur et du courage. On n’est pas près de les oublier. Et lorsque l’un d’entre eux tient à nommer les 46 hommes massacrés durant l’attaque qui les a fait fuir, le temps s’arrête, en un rituel que nous comprenons devoir partager. C’est la mort qui est là, et la violence qui détruit le cours de la vie. En nommant les morts et les villages dont ils viennent, en contant leurs déboires à un homme muni d’une caméra qui fera voyager ces images, les Dajos regagnent symboliquement leur place dans le monde, espérant que cela contribue à en faire une réalité.
Dans le remarquable Djourou, une corde à ton cou, Olivier Zuchuart cernait en partant de l’exemple du coton malien les différentes strates du cycle infernal de la dette. Délaissant ici tout commentaire, il nous propose de partager son écoute. Elle nous rendra attentive à toute information sur le Tchad et le Darfour, nous poussera à rechercher et à comprendre. Djourou était un constat pédagogique, Au loin des villages est un témoignage infiniment humain. Il nous faudra pour le saisir non seulement connaître les faits mais aussi et surtout intégrer la beauté tout autant que l’irréductibilité de la culture locale, ce simple constat que nos modes de pensée ne s’appliquent pas forcément et que les solutions ne peuvent venir que des personnes concernées. Dans un contexte où beaucoup d’encre a coulé sur la question du Darfour pour finalement la laisser verser dans l’oubli, ce documentaire n’a pour autre prétention que de leur donner la voix. C’est à la fois sa réussite et son courage.

///Article N° : 8967

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