Presse satirique au Mali : entre frilosité et (im)pertinence

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Pendant longtemps, le dessin de presse malien est resté en retrait. Ce n’est qu’avec l’avènement de la démocratie dans les années 80 que la caricature connaîtra une nette avancée. En effet, la libéralisation des médias a favorisé une explosion des journaux et de la presse écrite parmi lesquels on retrouve la presse satirique ou la caricature.
Ainsi, l’arrivée de la presse satirique a permis de révéler le talent créateur de dessinateurs inconnus du grand public, qui ont pu faire connaître leurs créations à travers la caricature, les illustrations et autres dessins dans la presse écrite.

La pépinière : avant l’avènement de la démocratie
En 1983, le vent de la démocratie commençait timidement à souffler sur le continent. Le paysage malien restait encore vierge : il n’y avait ni parti politique, ni journaux à proprement dit. Le seul journal d’information de l’époque était l’AMAP (agence malienne de publicité) qui publiait un unique quotidien, l’Essor.
La même année, l’AMAP a lancé, en supplément, un magazine sportif Podium dans lequel était publiée une mini-bande dessinée dénommée Les Aventures de Bouba, réalisée par le premier dessinateur malien Sidi Sow, décédé depuis. Dès cette période, les lecteurs maliens commencent à s’intéresser au dessin de presse.
L’AMAP avait lancé dans le passé Soundjata, une revue culturelle déjà illustrée par Sidi Sow alors étudiant à l’INA (Institut National des Arts) de Bamako. Cette revue cessa de paraître après quelques publications, pour des raisons inconnues.
La revue culturelle trimestrielle Jamana de la coopérative du même nom, dirigée par l’ancien président du Mali, le Pr. Alpha Oumar Konaré, verra le jour en 1987. Le premier illustrateur de la revue était Sidi Sow qui illustrera aussi un magazine sportif. Le talentueux Yacouba Diarra, alias Kays, y dessinait également des caricatures et des petits strips. Celui-ci a commencé sa carrière bien avant les années 80 en illustrant des brochures et des livres scolaires. Kays fait parfois des infidélités à son domaine de prédilection pour des illustrations dans la presse écrite, ce qui lui permettra de se faire connaître à travers tout le pays. Quelques années plus tard, la Coopérative Jamana lance Grin Grin un magazine d’information pour les jeunes toujours dirigé par le professeur Alpha Oumar Konaré. Grin-Grin a donné des opportunités aux dessinateurs en ouvrant ses pages à quelques illustrations et planches de bande dessinée. C’est ainsi que dans chaque numéro de Grin-Grin, on retrouve au moins trois styles différents de dessins, chacun traitant un article ou un thème précis.
Presque tous les dessinateurs de l’époque sont passés par ce magazine lu par un grand nombre de jeunes. Une pépinière commence à se constituer : Sidi Sow, Yacouba Diarra (Kays), Modibo Samakou Keïta (MOK), Bakoro Doumbia, Delesie Traoré, Nouhoum Traoré, Modibo Sidibé, Aly Zoromé, Emmanuel Bakary Dao et autres dessinateurs feront preuve de leurs talents quelques années plus tard dans la presse écrite et plus précisément dans la caricature.
La décennie 90 et la transition démocratique
La caricature au Mali commence à émerger en 1990, année où le pays connaît les troubles politiques qui ont annoncé la démocratisation de certains pays africains. Ces crises politiques ont conduit à la chute du régime du Général Moussa Traoré suite à laquelle une légère ouverture des médias s’est faite sentir même si en cette période de méfiance politique, la presse écrite au Mali est restée timide. En effet, durant la période de transition politique qui a suivi durant 14 mois, les journalistes observaient une certaine frilosité à s’exprimer totalement librement. De ce fait, peu de publications ont vu le jour et parmi la presse satirique, le journal Le Scorpion est le tout premier périodique de ce type à se lancer sur le marché. Il publiait seulement quelques caricatures dans ses pages où il y avait plus d’informations que d’illustrations. Son dessinateur était Dellesi Traoré qui avait débuté son parcours au sein de Grin-Grin. Il sera suivi plus tard par Modibo Samakou Keïta (MOK), lui aussi ancien dessinateur de Grin-Grin.
Tout change avec les premières élections démocratiques du pays en 1992 qui mèneront Alpha Oumar Konaré à la tête du pays. Sous la présidence de cet ancien homme de presse et enseignant, le pays connaît une libéralisation totale des médias avec la création de plusieurs journaux et radios libres. Cette ère fait naître chez les dessinateurs maliens un climat de confiance. Ils se sentent plus libres d’exprimer leurs idées et idéaux.
Une vingtaine de publications voient le jour entre 1992 et 1997 dont une dizaine relevait de la presse satirique. La première du genre a été La Cigale muselée dirigée par Ramata Dia. Comme dans la plupart des journaux satiriques, le dessin de presse prend pour cible le pouvoir et les hommes politiques. Les caricatures sont celles du président, des membres du gouvernement et les quelques responsables des partis politiques de la période. En dehors de La Cigale muselée, d’autres journaux se font remarquer par la qualité des caricatures et du contenu des informations traitées. On notera entre autre Le Vendu, Le Hérisson, L’Aurore dont les caricatures étaient faites par Emmanuel Dao, Modibo Keïta, Imram Coulibaly… Le dessinateur Emmanuel Dao lancera lui-même plus tard un journal satirique en 1996 nommé La Cravache qui est aussi apprécié du public. Sud Info, Le Zénith viennent compléter la listedes organes de presse satiriques démontrant ainsi que la liberté de la presse était réelle.
En 1997, à la fin de son premier mandat, le président de la République éditera même un ensemble de caricatures intitulé « le miroir satirique« , recueil des travaux des anciens caricaturistes de Grin-Grin publiés durant ce premier mandat.
Malheureusement, au cours de son second mandat l’engouement pour les journaux satiriques connaît une baisse progressive. Ils finiront tous par disparaître à l’exception du Scorpion qui existe encore de nos jours. Cette situation concernait l’ensemble de la presse écrite dont bon nombre de titres cesseront pour des raisons essentiellement d’ordre économique.
Même si aucune répression particulière n’a cependant marqué cette période, on a pu constater un certain durcissement du régime et des pressions ont parfois été exercées sur certains journaux.
De 2000 à aujourd’hui…
En novembre 2001, l’hebdomadaire satirique du journaliste malien Oumar Baby Le Canard enchanté voit le jour. Mais, deux années plus tard, sous une demande répétée des lecteurs, le journal changera de nom pour devenir Le Canard déchaîné, ce titre s’adaptant mieux, selon eux, au contenu. Ce journal traite essentiellement de problèmes politiques et sociaux. Il vise également, selon son directeur Baby, à faire oublier quelques instants les soucis de ses lecteurs, leur arracher ne serait-ce qu’un tout petit sourire à travers les caricatures d’abord, et le contenu satirique ensuite. L’objectif visé est sans nul doute atteint, quand on sait que même certains analphabètes achètent Le Canard déchaîné juste pour rire des caricatures. Le premier caricaturiste du journal fut Mamadou Diarra qui y gagnera une belle notoriété, remplacé par la suite par Yacouba Diarra (Kays) bien que les dessins de Madou Diarra soient encore publiés dans le Canard déchaîné. La réussite de ce journal vient du charisme et du professionnalisme de son responsable déterminé à en faire le journal le plus lu du pays. Seul journal malien à caractère exclusivement satirique, Le Canard déchaîné n’entretient aucune relation avec ses confrères de la sous-région. Il tire entre 2000 et 3000 exemplaires par semaine et publie également chaque année une ou deux compilations de ses meilleures caricatures.
Malgré quelques réussites, le métier de dessinateur de presse reste un métier difficile au Mali. Il est souvent sous-payé et un professionnel, incapable d’en vivre, doit obligatoirement avoir une activité professionnelle parallèle. De fait, peu de dessinateurs tentent l’aventure de la presse écrite.
Le manque de formation des dessinateurs freine leur capacité à traiter l’information. La majorité d’entre eux n’a pas de formation de journaliste. Le plus souvent, c’est le directeur de publication ou le rédacteur en chef qui donne l’idée et le dessinateur fait plusieurs essais avant d’arriver à un travail définitif. Pour arriver à une certaine autonomie de travail, les dessinateurs ont donc besoin de temps, de stabilité et d’une certaine continuité professionnelle. C’est ce qui a manqué à la plupart des titres disparus et que Le Scorpion et Le Canard déchaîné ont pu acquérir par la création et le développement d’une certaine culture d’entreprise et d’un esprit maison.
Le secret est sans doute là. La caricature n’est pas un simple dessin, c’est d’abord et avant tout un commentaire ironique donc distancié. Tout cela s’acquiert avec de l’expérience et du temps.

///Article N° : 9059

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