Algérie : satire des mœurs et du pouvoir.

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La caricature en Algérie a accompagné l’évolution de la presse algérienne depuis les années 60 et s’en est détachée partiellement autour des années 80 et 90 grâce aux tentatives réussies de certains dessinateurs ayant publié des albums regroupant leurs dessins.

Souvent à compte d’auteurs ou financée par les journaux, la publication des recueils de dessins de presse demeure embryonnaire révélant ainsi la difficulté d’une autonomie totale par rapport au support initial qu’est le journal. Le lectorat habitué aux daily panels paraissant quotidiennement dans les journaux francophones et arabophones semble friand de ces nouveaux supports dont certains se vendent sous le manteau.
Au départ, les journaux algériens vont permettre à certains dessinateurs de se confirmer à la fin des années 1960. En effet, c’est : « l’hebdomadaire Algérie-Actualité qui a vu la première parution de la BD du doyen Mohamed Aram. Des auteurs de talent émergent à l’image de Menouar Merabtène connu sous le pseudonyme de Slim, Rachid Aït Kaci, […] » (1)
L’indépendance ouvre la voie à la caricature
Quelques recoupements effectués sur des biographies de dessinateurs nous ont permis de retenir quelques périodes plus ou moins propices à la caricature algérienne francophone. Les premiers éléments avancent le nom de Mohamed Aram comme pionnier du genre, mais un autre nom se révèle, lui aussi, précurseur de la caricature en Algérie : Ismaël Aït Djaffar (auteur des « complaintes des mendiants de la Casbah« ) qui a publié quelques dessins de presse dans la presse coloniale des années 50. L’indépendance de l’Algérie en 1962 sera décisive dans l’émergence de la caricature dans la presse : « Dès cette époque, ce moyen d’expression est omniprésent dans le paysage médiatique officiel du pays : la presse arabophone et francophone publie régulièrement des dessins liés à l’actualité nationale et internationale. Avec le dessinateur Chid, Haroun est ainsi le doyen des dessinateurs de presse de l’Algérie indépendante. » (2)
Nous avons noté que les journaux Algérie- Actualité et El Moujahid ont permis la publication, entre autres, des dessins de Slim, de son vrai nom Menouar Merabtene. La réalisation de sa première bande dessinée (Moustache et les frères Belkacem) se fera en 1966 pour le journal Algérie Actualités.
L’année 1967 sera l’occasion pour lui de voir ses premiers dessins paraître dans le quotidien en langue française El Moujahid qui publiera, par la suite, Zid Ya Bouzid en juin 1969. Citons également le nom de Nour-eddine Hiahemzizou, un dessinateur aux multiples talents qui publia, en 1968, une bande dessinée humoristique intitulée « Zach » dans l’hebdomadaire Algérie-Actualité accompagnée d’un autre album titré « Commando en mission »
Une année plus tard, il publia une série de BD avec son personnage principal « Si Fliou » dans le quotidien El Moujahid.
Des dessinateurs en berne
Aujourd’hui, la caricature a remplacé le strip dans la presse algérienne qui a trouvé dans le chamboulement de la scène politique après les évènements d’octobre 1988 une source intarissable, mais jusqu’à quand ? La situation sécuritaire a eu raison de l’activité florissante de certains talents qui ont été derrière la création du journal satirique bimensuel « El Manchar » suivi par « Baroud » : « Dans la période des années de braise, les dessinateurs entrent dans la clandestinité, les périodiques cessent de paraître. La bande dessinée et le dessin de presse sont en deuil. Brahim Guerroui dit Gébé, Mohamed Dorbane, Saïd Mekbel et Djamel Dib sont assassinés. La BD n’a plus sa place. » (3)
Il serait utile de rappeler que la plupart des bédéistes algériens ont déjà fait leurs preuves dans de nombreux titres de la presse nationale et étrangère. Nous pouvons citer l’exemple de Slim qui a regroupé bon nombre de ces dessins dans un album intitulé pour la circonstance : « Dessins de presse » (ENAG, 1990) ou « Retour d’Ahuristan » (Seuil, 1997) à l’initiative de « Reporters sans frontières » ou bien Dilem dont la maison d’édition Kasbah a publié un recueil de dessins de presse en 2000 titré Boutef Président. Des dessins qui, pour la plupart, ont valu à leur auteur de nombreuses auditions devant la justice du pays
Rappelons, par ailleurs, que l’appellation de daily panel renvoie au dessin de presse illustré dans une case à l’inverse du daily strip (4) : « La distance entre daily strip et daily panel est probablement moins grande qu’on ne le croit. On pourrait décrire un daily panel comme un daily strip réduit à une case. » (5)
Il ne sera pas aussi question de l’étude du daily strip puisque sa présence dans la presse algérienne reste anecdotique à l’inverse du daily panel qui survit grâce à de jeunes talents, comme Ayoub officiant au journal arabophone El Khabar qui a publié un recueil de ses dessins en 2002, ou Alim, dessinateur permanent au journal l’Authentique. Un de ses dessins rappelle la banalité des attentats à l’explosif qui ont ciblé les marchés à Chlef. Un homme s’apprête à sortir pour faire le marché et sa femme lui demande s’il a fait son testament.
L’émancipation des jeunes talents
La banalisation de certains phénomènes sociaux semble caractériser ses dessins comme dans cet extrait où un personnage présente ses condoléances à un autre tout en demandant la cause du décès. L’autre lui répond que le décès a été causé par la grippe. Le premier personnage exprime aussitôt son indifférence malgré le caractère tragique de la situation. Rappelons au passage, que certaines régions du pays ont connu, pendant cette période, une épidémie de grippe ayant causé beaucoup de morts.
On peut citer également le jeune dessinateur Nassim qui publia son premier dessin « politique » en 1997 dans le quotidien francophone Le Soir d’Algérie. Une année après, il dessine pour Le Jeune Indépendant (un bihebdomadaire), et rejoint en 1999 une équipe de journalistes pour créer Algérie Hebdo. A la différence de certains dessinateurs algériens, Nassim a souvent illustré des thèmes universaux à l’exemple du kidnapping en 2005 de la journaliste française Florence Aubenas et son chauffeur en Irak. Le dessin montre les deux effigies dont les traits sont effacés et accrochés à des barreaux.
Notons aussi la vitalité du dessinateur Haroun diplômé de l’école des Beaux-arts d’Alger en 1962 et qui continue de collaborer en 2002 avec les journaux arabophones Echaab et El-Moudjahid et la revue Alouane. Il reprend aussi à son compte l’illustration d’une guerre inégale au Moyen-Orient où il montre, côte à côte, des Palestiniens qui s’arment de pierres, et des Israéliens qui s’apprêtent à lancer des obus :
Le harcèlement des journalistes algériens par le pouvoir est notamment évoqué par le même dessinateur qui illustre le sentiment de peur éprouvé par des journalistes lorsque quelqu’un frappe à la porte :
Citons, entres autres, le nom de Hic qui a collaboré pendant 3 années (de 2000 à 2003) avec le journal francophone Le Matin avant de travailler avec un autre journal francophone Le Soir d’Algérie pour lequel il dépeint quotidiennement les faits marquants de la société algérienne. Dans un dessin qui suit, il souligne le calvaire enduré par les handicapés en Algérie :
De son côté, le dessinateur Melouah a collaboré, dans les années 80, avec de nombreux journaux algériens. Il aura aussi l’occasion de contribuer, de 1997 jusqu’à l’année 2000, avec ces dessins dans de nombreux périodiques français :  » Marianne « ,  » Le Nouvel Observateur « ,  » La Croix « ,  » Charlie-Hebdo « ,  » Le Médecin Généraliste « ,  » Jeune Afrique Economie « …L’un de ses dessins illustre la vision qu’ont les intégristes de la femme algérienne.
L’amélioration de la situation sécuritaire en Algérie n’a toujours pas convaincu les caricaturistes exilés de retourner au pays. Certains accusent toujours le système en place de museler la liberté de s’exprimer. Il faut dire que les jeunes talents vivant en Algérie bravent, aujourd’hui, tous les interdits pour illustrer les maux de la société algérienne. La censure évoquée comme un leitmotiv, dans les années 90, n’est plus un sujet d’actualité puisqu’il suffit de feuilleter les journaux algériens pour constater que le ton est parfois très libre pour exprimer le ras-le-bol et le désenchantement de la population. Cette liberté du ton reflète, incontestablement, le réveil des consciences qui a choisi son canal de prédilection : la caricature.

1. Kheira ATTOUCHE, « La B.D : une embellie appréciable en Algérie » dans le journal Horizons, 10 avril 2005, p.10.

2. Auteur non cité, zoom sur la B.D. algérienne [en ligne], 17/11/2007, http://www.toutenbd.com/article.php3?id_article=923, (consulté le 04/06/2008).

3. Cf. ATTOUCHE 2005, p.10.

4. GROENSTEEN, Thierry, La bande dessinée : une littérature graphique. Toulouse, Editions Milan, 2005.Groensteen note que dès 1910, les pages intérieures de la presse américaine intégraient plusieurs bandes horizontales en noir et blanc, les daily strips, les jours de semaine (du lundi au samedi).

5. Morgan, Harry, Principes de littératures dessinées. Angoulême, Editions de l’An 2, 2003, p.43.///Article N° : 9067

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