L’Afrique est à la Mode

Un concours-tremplin pour la mode africaine

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Depuis 2005, le concours L’Afrique est à la mode se déroule parallèlement au Festival international de la mode africaine (Fima). La troisième édition s’est donc déroulée du 28 octobre au 1er novembre 2009 à Gouru Kiery, près de Niamey, au Niger. Gros plans sur les trois lauréats du concours.

La volonté du Fima d’avoir un impact économique durable se reflète dans le concours destiné aux jeunes stylistes africains, L’Afrique est à la Mode. Depuis sa création en 2005, ce concours est soutenu par CulturesFrance, agence du ministère des Affaires Étrangères français. Il fait partie du programme officiel du festival. Cette année, un grand défilé organisé l’avant-dernier soir du festival était dédié aux dix finalistes, qui ont chacun présenté dix créations. Leur travail a donné un aperçu de l’état actuel du stylisme en Afrique.
Ces jeunes stylistes, comme leurs prédécesseurs, manifestent le même désir de mélanger les influences locales et globales. Leurs créations s’insèrent également dans les jeunes courants de mode internationaux, embrassant vêtements, accessoires et styles de présentation inspirés des codes vestimentaires urbains en vogue de par le monde.
Un bref descriptif des paramètres de la compétition éclaire le travail des finalistes. CulturesFrance fait appel aux candidatures à travers le réseau des centres culturels français en Afrique. Le règlement 2009 stipule que les candidats doivent être âgés entre dix-huit et trente-cinq ans, et que leur travail doit être commercialisé sous leur propre nom ou marque. En outre, les participants doivent avoir un projet visant à soutenir le développement durable et l’emploi dans leur pays d’origine. Enfin, ils doivent s’engager à produire et à commercialiser leurs créations dans leurs propres pays. Le concours reflète ainsi la mission de CulturesFrance et de son programme Afrique en Créations, qui a pour objectif, entre autres, le développement des secteurs culturels en Afrique.
Un gage de visibilité
Les dix finalistes de cette édition représentaient neuf pays à travers le continent, de la Tunisie à l’Afrique du Sud, et du Cameroun au Kenya. Certains travaillent dans des pays qui ont des industries de la mode professionnelles relativement développées, tels le Sénégal ou l’Afrique du Sud, où de jeunes créateurs rivalisent pour accéder aux structures de formation, de manufacture et de promotion de la mode. D’autres viennent de pays ayant des infrastructures plus limitées, tels que la Namibie ou le Mozambique, où le nombre de créateurs et les marchés sont plus restreints. Quels que soient leurs pays d’origine, les finalistes ont en commun le fait de lutter pour trouver une clientèle dans des marchés dominés par les marques occidentales, les vêtements d’occasion venus d’Europe ou des États-Unis, et les importations chinoises bon marché. Le concours L’Afrique est à la Mode est un gage de visibilité pour ces stylistes et offre aux gagnants de précieuses connexions professionnelles et opportunités de formation ainsi qu’un gain financier significatif.
Les défilés ont attiré les foules et ont reçu un accueil enthousiaste. Le public était assis sur des nattes, des coussins, des divans, des tabourets, des chaises en plastique, et à même le sable. À la présentation de chaque styliste, il applaudissait, commentait et s’exclamait devant certains ensembles particulièrement spectaculaires. Selon l’usage, chaque défilé s’est terminé par la venue du styliste sur le podium, entouré des mannequins, pour saluer le public. Le soulagement et l’excitation qui se lisaient sur le visage des jeunes créateurs, dont certains présentaient pour la première fois leur création devant un public international, étaient palpables.
Le public très varié, allant de dignitaires nigériens (sur les divans tapissés) aux ados locaux (sur les chaises en plastique ou à même le sable), a acclamé les mannequins et les stylistes comme si le podium était un stade de foot.
Les créations répondaient à la variété du public : t-shirts et jeans portés laissant voir les caleçons, combinaisons moulantes, robes de soir… Le premier prix, Le Fil d’Or ou Prix Ibrahim Loutou (ancien Ministre de la culture nigérien), est revenu au styliste sud-africain Thokozani Mbatha. Seul parmi les dix finalistes à ne présenter qu’une collection pour homme, il a pour nom de marque Black Pepper. Âgé de vingt-neuf ans, il a étudié la mode au Durban Institue of Technology et travaillé dans l’atelier d’Amanda Laird Cherry, une des principales stylistes sud-africaines. Mbatha a cité comme sources d’inspiration de sa collection deux influences apparemment incongrues : la culture nguni et le style safari. Selon le jeune styliste, la culture locale nguni – son héritage – et les connotations coloniales souvent associées à l’habillement de type safari ne sont pas contradictoires. Il a dit vouloir créer des vêtements pour  » un nouveau safari modern  » qui représenterait l’Afrique comme étant partie intégrante des tendances globales. Dans le vocabulaire créatif de Black Pepper, le style safari évoque plus certains types d’habits et d’imprimés animaliers qu’ils ne constituent une référence historique ou culturelle spécifique.
Plus que les vêtements eux-mêmes, les accessoires de Mbatha créent le lien avec la culture nguni. Le style des ensembles est globalement urbain et international : shorts, t-shirts, pantalons de style chinos, chemises à col taillées dans des tissus satinés et vestes zébrées. En clin d’œil au style safari, Mbatha a présenté un pantalon et une chemise à manche courte assortis, dans le style utilitaire du costume safari – épaulettes, poches à rabats sur le pantalon et la chemise, avec une épaisse ceinture en cuir autour de la taille. Le drapé doux et les reflets riches du tissu différenciaient clairement l’ensemble de ses sources d’inspiration. Les perles portées par les mannequins – en colliers, bandeaux et ceintures – rappelaient les peuples nguni tels que les Zoulou et Xhosa, célèbres pour leurs magnifiques tissages de perles. En écho à cet héritage, plusieurs mannequins portaient de grands disques d’oreille. Habituellement décorés de motifs vifs et colorés, ceux-ci sont étroitement liés à l’identité zouloue. En point d’orgue spectaculaire du défilé, l’ensemble final incorporait une cape en imprimé léopard, dotée d’une doublure à motifs magenta, assortie d’un bandeau en fourrure et d’un bâton orné de perles ; une référence directe au style vestimentaire nguni.
Fil d’argent et fil de cuivre
Le Fil d’argent est allé au Tunisien Salah Barka, styliste autodidacte qui a débuté comme mannequin et costumier avant de se spécialiser dans la mode en 1998. Son travail est spectaculaire, incorporant des formes, textures et motifs peu habituels. Barka cite les traditions tunisiennes comme source d’inspiration. À la différence des citations vestimentaire directes opérées par Mbatha, Barka intègre plutôt des allusions aux vêtements – formes et détails – existants en Tunisie. Par exemple, on retrouve à travers toute sa collection un type de pantalon caractéristique de l’habillement traditionnel en Tunisie. Ce style ressemble aux pantalons sarouel associés à la pratique équestre dans de nombreuses régions d’Afrique de l’Ouest : du tissu ample autour de la taille, avec des plis bouffants entre les jambes se prolongeant jusqu’aux genoux. Ces pantalons de style tunisien se distinguent par leur forme moulante au niveau des mollets. L’association entre taille bouffante et jambes serrées est du plus bel effet. Barka déploie les références à cette forme dans un assortiment d’habits pour homme et femme, utilisant des tartans, jean et des tissus aux reflets lurex. Il incorpore également des capes à capuches et un fez en laine rouge rappelant l’habillement nord-africain. Ces créations ont comme un parfum de Tunisie ou d’Afrique du Nord mais ne représentent pas des références directes.
Le troisième prix, le Fil de Cuivre, est revenu à la styliste camerounaise Charlotte Mbatsogo, déjà finaliste à la précédente édition du concoursen 2007. Âgée de vingt-cinq ans, Mbatsogo a été formée à l’École supérieure de mode et de design de Yaoundé. Sa collection s’inspire de la nature et de considérations écologiques. Elle y fait référence au recyclage – un élément du discours mondial sur le développement durable – en fabriquant des vêtements à partir de morceaux d’autres vêtements. Un col devient ainsi une ceinture, une ceinture un empiècement, des poches décorent le bas d’une robe, des boutons sont cousus le long de bords et de coutures apparemment aléatoires.
L’ensemble final de Mbatsogo était une robe avec un haut dos-nu en lamé or et une jupe bouffante entièrement fabriquée à partir de morceaux d’habits réassemblés : poches, manches, cols, ceintures, revers. Les parties disparates de la robe trouvaient leur unité par leur couleur : une combinaison de tons verts et de jaunes créatrice d’une harmonie visuelle entre les parties. Bien que ces vêtements fassent référence au recyclage, ils ne sont pourtant pas recyclés. Chaque élément est fabriqué pour l’habit auquel il est incorporé, faisant du recyclage un exercice stylistique plutôt qu’un élément littéral.
Mention spéciale du jury
Le seul finaliste du Niger, Hamidou Seydou Harira, a reçu une mention spéciale du jury. Harira a appris le métier de tailleur et de styliste auprès des nombreux membres de sa famille qui travaillent dans les professions liées à la mode. Son père est tailleur, sa mère brodeuse. Harira a fait son apprentissage auprès de son frère, Ousmane Sambo Hamidou, qui travaille sous le nom de Sambo Style. Ce dernier était finaliste de L’Afrique est à la mode en 2005, et est devenu un des stylistes les plus en vue de la capitale.
En 2009, c’était le tour d’Harira de présenter son travail sur le podium, où il a reçu un accueil très enthousiaste du public de sa ville. Ses acclamations reflétaient sans doute non seulement les origines nigériennes du styliste de vingt-quatre ans, mais aussi les matières et formes locales qu’il a incorporées à sa collection.
Harira utilise les tissus bleus et brillants fabriqués spécifiquement pour le marché touareg afin de créer des vêtements de soirée pour femme. Bien que produit industriellement, le tissu ressemble aux bandes tissées que les hommes touaregs utilisent comme turban. Ces étoffes sont le plus souvent teintées à l’indigo et frappées à grands coups pour créer un bleu foncé qui brille à la lumière.
Harira coupe et superpose des couches de ce tissu, tendu sur des cerceaux, pour en faire des hauts dos-nus, jupes et robes. Les vêtements sont accessoirisés avec des plaques et pendentifs en argent gravés à la façon touareg. Harira crée et commande ces accessoires chez un bijoutier du marché artisanal de Niamey. Formes et icônes de l’identité touareg masculine, ces pendentifs sont transformés par le jeune styliste en bijoux élégants pour femme.
Ces quatre créateurs, ainsi que les six autres finalistes, ont des approches variées afin de créer des collections qui reflètent leurs identités multiples et leurs sources d’inspiration à la fois locales et globales. Thokozani Mbatha adapte directement des formes tirées des pratiques vestimentaires sud-africaines traditionnelles, utilisant disques d’oreille et tissages de perles pour accessoiriser sa collection masculine.
Hamidou Seydou Harira utilise des étoffes et bijoux locaux pour créer des habits de facture internationale, tandis que Salah Barka adapte un habit de style tunisien à des textiles qui n’ont aucune connotation locale.
Ainsi le concours des jeunes stylistes a fait écho aux thèmes et aux objectifs du Festival International de la Mode Africaine, un festival qui est à la fois local dans ses déclarations de soutien à l’économie nigérienne et global dans ses aspirations.

///Article N° : 9279

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Les images de l'article
Charlotte Mbatsogo (Cameroun)
Hamidou Seydou Harira (Niger)
Thokozani Mbatha (Afrique du Sud) © Toutes photos Bill Akwa Bétoté, courtesy of Cultures France





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