Pour une politique culturelle sur mesure dans la Caraïbe

Entretien de Sylvie Chalaye avec Dominique Daeschler

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Conseiller pour le spectacle vivant, l’action culturelle et la coopération régionale à la DRAC Martinique, Dominique Daeschler fait le point sur une mission de politique culturelle qui s’appuie sur la diversité des arts vivants et des pratiques scéniques dans la Caraïbe. Elle reconnaît combien il est important de s’adapter aux territoires et qu’une telle mission d’action culturelle doit s’inventer à petits points comme une création de haute couture.

Quel est le rôle d’un conseiller DRAC dans la Caraïbe ?
C’est une mission de structuration, de conseil et d’évaluation dans une problématique de développement culturel. On est dans un rôle de mise en forme et d’épanouissement. Ce qui est en revanche spécifique, c’est que la DRAC Martinique est en charge de l’ensemble du spectacle vivant, ce qui n’est pas ordinaire pour une DRAC, mais tout à fait intéressant. Cela se justifie en Martinique ou dans les autres DOM, car il y a vraiment un syncrétisme des arts.
Qu’entendez-vous par structuration ?
Les îles ont peu d’équipements culturels professionnels, le paysage au niveau des rapports artistiques entre amateurs et professionnels est extrêmement différent de ce que nous connaissons en métropole. Les équipes se nourrissent mutuellement, travaillent ensemble. La professionnalisation n’est pas toujours vécue comme un enjeu essentiel. Le public, comme les artistes ne vivent pas la culture de la même façon. C’est important à comprendre. Les initiatives théâtrales sont riches, mais elles ne s’appuient sur aucun réseau, aucune formation de longue durée sauf exception. Il nous faut donc créer des liens avec les collectivités locales et l’Etat pour accompagner le spectacle vivant en agissant dans les trois directions essentielles à son développement : création, diffusion et formation. C’est un chantier énorme, déjà à l’intérieur de l’île. Il faut construire un vrai projet culturel en s’adaptant à ce qui existe déjà et aux spécificités des pratiques artistiques de la Caraïbe.
Quel type d’action cela représente-il ?
Il y a d’abord tout le travail de conventionnement des compagnies, les conventions avec le pôle emploi qui reprend les activités du point culture-spectacle de l’ANPE, et les conventions avec des lieux en « France-Vieille Europe », pour accompagner la diffusion des artistes martiniquais. Et il s’agit bien d’accompagner et pas simplement de diffuser. Exporter son identité culturelle est un vrai défi, car il faut se confronter à d’autres contextes, d’autres publics et parvenir à ce que cette identité fasse parole, exprime un engagement citoyen sur un territoire à faire partager. Accompagner, c’est encourager les rencontres avec d’autres artistes, la formation continue, les projets de création métissée… Or élaborer un projet culture sur un territoire ça se construit à petits points, c’est de la broderie !
Pourquoi ?
Il faut tout inventer ! Et concevoir du sur-mesure, du « cousu main ». On a par exemple développé récemment au sein du Centre Culturel de Rencontre une Maison du conte grâce à un jumelage avec Chevilly-Larue. C’est important car le conte caribéen finalement on n’en parle très peu, on le connaît mal, en dehors de Mimi Barthélemy. On est aussi en train de réfléchir pour intégrer ETC Caraïbe comme un département culturel autonome au sein du Centre Culturel de Rencontre. C’est essentiel de défendre la place d’une structure qui promeut les écritures contemporaines au sein des pratiques d’oralité. C’est maintenir une cohérence intellectuelle au sein d’une stratégie de politique culturelle avec toutes les réticences et les a priori qu’on imagine. Mais il faut s’y tenir car à un moment donné les choses s’épanouissent et éclosent.
Depuis la Martinique, vous pensez les actions en terme d’ouverture sur l’ensemble de la Caraïbe…
On a signé une convention avec les sept alliances des petites Antilles afin d’aider les artistes à circuler d’abord dans la Caraïbe et à se confronter à d’autres publics. C’est important d’accompagner aussi cette démarche en direction des îles, car les artistes bien souvent ne sont pas très enclins à ce type de circulation et à faire œuvre de développement en faveur des territoires de proximité, ils sont plus attirés par une diffusion à l’étranger et vers le vieux continent. Or la circulation de proximité est un engagement citoyen, elle apprend aussi aux artistes à s’adapter et les prépare à des tournées internationales. C’est une réalité difficile à faire entendre aux artistes. Ils ne sont pas dans la notion de service public, ils n’ont pas toujours envie de faire œuvre de développement dans la Caraïbe.
Comment expliquez-vous cette attitude ?
Il faut donner une réalité à cet espace Caraïbe, donner aux artistes le goût de faire sens en terme d’action culturelle sur leur territoire. J’ai le sentiment que la notion de développement est encore comprise comme une notion colonialiste, alors que, en métropole, le développement n’est pas opposé au sous-développement. C’est quelque chose qui a beaucoup avancé, mais garde encore souvent une connotation péjorative en outre-mer. Signer en bas d’un parchemin avec l’Etat, c’est un peu trahir. C’est parfois difficile pour les artistes, s’ils sont reconnus par la DRAC, de le porter en partage avec les collectivités.
Que pouvez-vous faire pour accompagner la diffusion sur le territoire ?
Il faut justement mettre en jeu les collectivités. On a récemment mis en place un nouveau dispositif de diffusion des spectacles qui s’appuie sur une aide aux communes qui le souhaitent pour un bouquet de cinq à six spectacles professionnels, en faisant la chaîne entre création, diffusion, animation d’ateliers, et en soutenant aussi une mutualisation au niveau de l’administration et des relations publiques. C’est une formule que nous allons expérimenter et qui devrait aider le travail des compagnies.
Comment se passe le lien avec la Guadeloupe ?
Des ponts se font au niveau des comités d’experts. On s’invite. On échange. Les compagnies commencent à travailler ensemble. La compagnie Siyaj travaille avec Les enfants de la mer, la Compagnie de José Exelis. Des échanges existent entre les deux scènes nationales. Il est nécessaire que les programmations se conçoivent en concertation, mais cela dépend des directions. Une structure comme ETC Caraïbe a un pied en Guadeloupe et un pied en Martinique. Un réseau de diffusion se met en place en Guadeloupe avec de petites structures. L’initiative n’est pas partie d’une réflexion au sein de la DRAG, mais des structures mêmes, ce qui est remarquable et très prometteur.
Est-il possible d’imaginer une dynamique de création archipélique ?
Oui, mais en articulant les trois dimensions : création, diffusion et formation. Cela veut dire mutualiser des équipements et penser en termes collectifs. Or les bases ne sont pas prêtes. La mise en commun des moyens est en balbutiements, on commence à peine à émettre des hypothèses de coproduction par exemple. Cela demande une maturité qui est à venir et beaucoup de pédagogie. Ce sont des territoires qui sont très individualistes, il est tellement difficile de se construire soi-même. Le « nous », c’est une maturité politique à acquérir par rapport au « je ». Il faut abandonner un peu de son « je » pour faire quelque chose ensemble.
Comment accompagnez-vous la diffusion hors de la Caraïbe ?
Les Théâtres d’Outre-Mer en Avignon est un bel exemple de mutualisation des moyens. J’ai vraiment pu découvrir l’action de la Chapelle en 2003. Et il m’a paru évident qu’il fallait mettre en place une convention d’objectifs avec les DRAC des DOM pour soutenir le travail du lieu, entourer les compagnies, réfléchir ensemble à la programmation, développer des actions autour des spectacles… La DRAC de Guyane a également signé la convention, il nous faut aujourd’hui redéfinir les enjeux et les missions avec la Réunion et la Guadeloupe. Une aide financière accompagne ce conventionnement et comme le lieu existe toute l’année, nous voulons l’encourager à ne pas être seulement un lieu de diffusion. C’est pourquoi nous soutenons aussi les projets de résidence. C’est une chance pour une compagnie de répéter un mois sur le plateau de la création du spectacle. Nous avons soutenu la résidence de « L’instant présent » pour Ailleurs toute l’an dernier et l’année précédente, c’était la Compagnie des Corps Beaux pour Manteca, cette année nous avons soutenu la création de Bintou. Je tiens beaucoup à ce lien entre ceux qui habitent la « France-Vieille Europe » et ceux qui habitent les îles. Je fais venir ceux qui vivent en Martinique, mais c’est important aussi que ceux qui vivent ici soient accueillis là-bas. Mais j’aimerais que ce soient plus que des résidences de création, il faut réfléchir à un ancrage plus fort pour que l’on dépasse l’exotisme du temps du festival, il faut que ces artistes travaillent ici, rencontrent les enfants des écoles, la population avignonnaise… Qu’il y ait vraiment échange en profondeur et pas seulement dans le tourbillon du festival de l’été. Ce serait bien aussi de pouvoir donner une carte blanche aux compagnies pour qu’elles fassent connaître ce qui se fait dans les DOM et partagent leurs points de vue esthétiques. Il faut aussi travailler à une diffusion hors de la Caraïbe en dehors du festival.
Vous menez des actions dans cette direction ?
Un travail est entrepris avec les réseaux d’équipements labellisés par le Ministère de la Culture où les créations des Martiniquais devraient trouver naturellement leurs places notamment à travers des résidences de création, c’est un travail de fourmi mais qui devrait être porté au niveau national : pourquoi un certain nombre de scènes nationales ne feraient-elles pas un parcours avec des créateurs d’outre-mer sur une longue durée ? La DRAC Martinique a des conventions avec la scène conventionnée de Rezé, le Musée Dapper, la smac de Brainans qui essaient à la fois de diffuser des spectacles déjà créés, de mettre en place des actions de sensibilisation des publics, des actions de formation continue et des rencontres avec d’autres artistes pour aller vers des coproductions (Opération Martinique Métisse….). Je crois beaucoup à ce travail de tissage.
Les captations vous semblent-elles participer aussi de cette dynamique de tissage, de ce maillage culturel en direction des publics ?
C’est en effet très important. Mais ce n’est pas facile de convaincre les artistes. Il y a beaucoup de réticence. Certains croient que la vidéo tue le spectacle vivant. Pourtant, dans les DOM il a des enjeux de transports, une réalité spatiale particulière. On ne trouve pas un théâtre dans chaque ville. La télévision permet d’amener au théâtre un public qui n’y serait jamais venu et de démystifier un peu les choses. Et puis cela permet de construire une mémoire, une mémoire qui ne soit pas blessée, mais va de l’avant avec la création.

Avignon, juillet 2009///Article N° : 9326

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