À partir de ce mois, Africultures publiera une série d’articles sur le thème de La critique et les films d’Afrique qui seront rassemblés dans un zoom dédié.
Le rôle de la critique, les cinéastes africains le savent, est important, mais il semble aussi être mal compris. En effet, la critique n’est ni une simple courroie de transmission au service des professionnels, ni un tribunal autoproclamé jugeant des travaux des autres : son rôle est d’aider à une appréhension voire à une compréhension plus juste des films, tout en se situant entre les cinéastes et les spectateurs et tout en demeurant relative à l’expérience subjective d’un critique. Par principe, il n’existe donc pas une critique mais des critiques, reflétant la diversité des cinémas d’Afrique et la diversité des expériences qui peuvent être faites de ces films. Idéalement, on pourrait ainsi penser que loin d’être « l’ennemi » ou le « complice » de ceux qui créent et produisent des films, le critique pourrait être un interlocuteur privilégié, même s’il convient d’admettre que cet « idéal » est rarement atteint – pour les cinémas occidentaux déjà, pour les cinémas africains à plus forte raison. L’autre difficulté, souvent oubliée, réside dans le travail d’écriture propre à l’activité critique car, au-delà du caractère normatif propre au « criticisme », c’est essentiellement à travers son écriture que le critique agit.
Concernant les cinémas africains, la question de la critique est toutefois rendue complexe par le fait que, par principe, ces cinémas se rapportent à des cultures différentes ; face à elles, les a priori du critique pourraient se transformer en préjugés ethnocentriques. Dans le même temps, les films, y compris ceux d’Afrique, sont partie prenante d’un système mondial au sein duquel ils peuvent rencontrer des spectateurs de toutes cultures et nationalités. Passé le problème, souvent évoqué, d’une production africaine qui aurait le spectateur occidental comme horizon d’attente, la question de la critique ne saurait être évacuée au seul nom d’une différence de ces films d’Afrique ou d’une difficulté à s’ancrer véritablement dans les milieux socioculturels africains. Des discours critiques sont apparus et ont accompagné le développement du cinéma et de l’audiovisuel en Afrique, souvent dans une perspective similaire à la prise de conscience politique qui a pu être à l’origine de la vocation d’un certain nombre de réalisateurs africains. La critique cinématographique rejoignait ainsi la « critique sociale ». Dans une époque où les guerres économiques globalisées devraient conduire à considérer à nouveaux frais la notion d’ « aliénation », cette dimension sociale de la critique reste vitale, même si elle ne peut trouver de justification dans aucune « théorie critique ». Une nécessité de la critique existe, au-delà des difficultés et des enjeux attachés à la modernité de l’activité critique.
Cette nécessité demande néanmoins à être clarifiée et analysée en détail, d’une part, par rapport à la situation des cinémas africains, d’autre part, par rapport à l’élaboration conceptuelle dont la question même de la critique a été l’objet – une élaboration qu’il est impossible d’ignorer. Un travail réflexif ou analytique sur la critique et les films d’Afrique doit être conduit ; il s’agirait alors de s’interroger sur ses « conditions de possibilités » et non sur un hypothétique cadre théorique qui permettrait de déterminer, à tout coup, le lien entre « critique » et « cinémas africains ». Et une des premières conditions pour qu’une critique soit possible, c’est l’existence d’une « société ouverte », c’est-à-dire de pratiques démocratiques de la discussion et de la confrontation de points de vue différents. Ce qui ne signifie pas qu’un environnement démocratique conditionnerait l’existence ou le développement de la critique – la plupart des critiques et cinéastes africains n’auraient plus qu’à rendre les armes – mais que la critique participe à l’émergence d’un tel environnement où, de l’échange à la dispute, une ouverture existe et permet une meilleure respiration des idées. La question de la critique reste centrale dans l’approche des films et pratiques cinématographiques ou audiovisuelles africaines. Elle ne peut ni être considérée indépendamment d’une expérience concrète des films d’Afrique ni être située dans un cadre idéologique au sein duquel elle n’aurait plus qu’un rôle secondaire à jouer : elle demeure inséparable d’un rapport cognitif plus général aux cinémas africains.
///Article N° : 9328