Une naissance chahutée : souvenirs et témoignages

Entretien de Stéphanie Bérard avec Gerty Dambury, auteure et metteure en scène guadeloupéenne

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Avant la construction de l’Artchipel, la Guadeloupe s’était dotée dans les années 1980 d’un centre Artistique Culturel (CACG) qui n’avait certes pas de lieu mais qui nourrissait une effervescence artistique débordante. Gerty Dambury qui travaillait alors à la DRAC aux côtés de Daniel Maximin, revient sur cette période héroïque.

Vous avez travaillé pendant plusieurs années à la direction régionale des affaires régionales en Guadeloupe. Comment était assurée la promotion culturelle à cette époque ?
Au moment où j’ai travaillé à la DRAC, c’était un moment d’espoir. Il y avait eu un travail fait par Ghislaine Gadjar avant qu’il n’y ait une DRAC en Guadeloupe. Elle avait fait un travail de soutien à la culture mais sans être nommée DRAC. Les choses étaient un peu déstructurées comparées à la France, mais cela ne veut pas dire qu’elles étaient moins bien. Je tiens à insister là dessus. Il me semble qu’à partir du moment où ça a été structuré, ça a été moins bien. C’était foisonnant même si c’était difficile de créer car on n’avait pas de subventions, on répétait sur les plages, dans les greniers,sur les vérandas ; on se plaignait qu’on n’avait pas de lieu de création et qu’il n’y avait que le Centre des Arts. Il y avait beaucoup d’insatisfactions autour de la politique culturelle. La régionalisation date seulement de Mitterrand et seul le Conseil Général subventionnait un peu, les villes et l’Etat un peu aussi. En 1989 a été créée la DRAC ; Daniel Maximin a été nommé et m’a demandé si je ne connaissais pas quelqu’un pour travailler avec lui. Je me suis proposée. C’était un moment très beau et très fort parce qu’il existait alors le CACG (Centre Artistique Culturel de la Guadeloupe), une sorte de scène nationale sans lieu qui faisait un festival de théâtre caribéen, de peinture. C’était formidable. L’arrivée de la DRAC a permis de cristalliser tout ça et d’apporter des financements qui étaient très nombreux car Daniel Maximin était particulièrement doué pour trouver des fonds. Mais quelle liberté de choix avait-on pour répartir ces financements ? Les raisons pour lesquelles je ne suis pas restée à la DRAC sont au nombre de deux : c’était trop administratif pour moi et je ne pouvais pas être responsable du théâtre car j’aurais été juge et parti ; donc j’étais à la direction du livre et je m’occupais de construction de bibliothèques. La deuxième raison était qu’en tant que Guadeloupéenne, je n’étais pas toujours d’accord avec les instructions données par la France. On était toujours en train de revoir les dossiers en fonction d’une ligne générale fixée par le Ministère. Côté théâtre, on ne s’intéressait pas à nous parce qu’on n’était pas professionnel, qu’on était essentiellement des amateurs. Il y avait à l’époque une grande rupture entre le théâtre professionnel et le théâtre amateur. On était toujours considéré comme des cas particuliers qu’on traite à part et après. J’étais mal à l’aise et je ne suis donc pas restée à la DRAC.
Comment s’est opérée la transition du CACG à la scène nationale au milieu des années 90 ?
Michèle Montantin faisait un travail efficace et intelligent. Mais la volonté politique était de construire une scène nationale. Michèle Montantin a été remplacée par Alain Foi. On a construit une scène nationale et on a liquidé le CACG. Il y a eu tout un débat sur son lieu d’implantation et pour des raisons politiques, on a construit cette scène nationale à la Basse-Terre alors que ce choix posait à l’évidence des problèmes de public. Il y avait plus de public pour le théâtre et pour les arts en général à Pointe-à-Pitre ou à Petit Bourg qu’à Basse-Terre qui s’est trouvé dotée de cette scène nationale pour laquelle il a fallu trouver du public. Au début, les gens ont beaucoup joué le jeu. On était surpris de voir des gens quitter Saint-François, le Moule pour aller à Basse-Terre.
Quel impact a eu l’ouverture d’une scène nationale en Guadeloupe sur la création théâtrale ?
Il y a eu plusieurs types de réactions ; il y a eu d’abord pendant quelque temps des questionnements sur les missions de L’Artchipel, sur le fait qu’il ne puisse pas s’ouvrir aux écoles alentours qui auraient aimé en profiter pour présenter leur spectacle de fin d’année. Comme nous n’étions pas professionnels, c’est précisément de ces spectacles amateurs qu’émergeaient les comédiens, danseurs et musiciens de demain. Mettre ça à l’index, c’était à questionner. Ensuite, il y a le fait que certains ont refusé de travailler avec L’Artchipel, n’ont pas eu envie de se retrouver étatisés. Et il y avait aussi des gens comme moi qui pensaient que nous avions un outil et qu’il fallait donc l’utiliser. Mais c’était un peu lourd toute cette gestion. On était moins libres et les gens prenaient moins de risques. Tant qu’on était amateur, on montait nos spectacles avec les moyens qu’on avait et on se payait comme on pouvait. A partir du moment où il a été question de professionnalisation, je me suis trouvée face à des gens qui avaient des exigences que je ne pouvais satisfaire que parce que j’étais dans le cadre de la scène nationale. Ce n’était pas moi qui payais, c’était la scène nationale. Les horaires, les services, etc. Certaines personnes ont continué à avoir une certaine fièvre, des gens avec qui j’ai travaillé, comme Bénédicte Marino, qui n’ont jamais compté leurs heures. J’avais l’impression qu’on se « centredesardisait » car au Centre des Arts, on était confronté à des gens qui se comportaient en fonctionnaires et refusaient de travailler après certaines heures. On pouvait être en plein milieu d’un montage de décor, il fallait soudain tout arrêter. Quand nous-mêmes faisions nos affaires, nous n’avions pas d’horaires. Il me semble qu’au CACG, on n’était pas confronté à ça, on bossait beaucoup, on était passionné. J’ai l’impression que ce genre de choses a disparu.
Où en est-on de la formation des comédiens aux Antilles ?
On n’arrête pas de faire des projets. Claire-Nita Lafleur avait des projets de formation des comédiens. José Pliya, que j’ai rencontré en décembre dernier, a un projet de monter quelque chose avec le Conseil Régional pour la formation des comédiens. On a discuté ensemble pendant une heure et demi de ce qu’il faut faire. Pourquoi y aurait-il toujours des projets si la formation existait vraiment ? Ce que je pense personnellement, c’est qu’à l’écriture, on se forme en lisant et en écrivant ; au théâtre, on se forme en jouant, en voyant des spectacles et en ayant autour de soi des gens qui ont une réflexion sur la création. C’est tout ce que je peux dire. Je pense que tout cela manque, mais peut-être que ça a changé. Je n’y suis pas et je ne veux donc pas porter de jugement. Combien de spectacles un comédien qui vit en permanence en Guadeloupe voit ? Combien de spectacles d’avant-garde, un théâtre qui interroge les formes théâtrales ? Je pense que les plasticiens ont beaucoup changé parce qu’ils se sont déplacés, se sont interrogés sur ce qu’ils veulent faire. Je pense que les danseurs aussi ont progressé parce qu’ils se sont frottés à la danse contemporaine qui interroge la danse tout comme la peinture contemporaine interroge la peinture. Un théâtre contemporain qui n’interroge pas le théâtre, c’est du ronron. Les nouvelles formes, le jeu d’acteur, le texte, un autre rapport à l’espace, sortir des lieux, casser les codes, tout cela fait partie de la formation du comédien qui ne doit pas consister à relire uniquement Stanislavski et Copeau, ni à montrer les gens tels qu’on les croise « au pays ». C’est important de le faire, mais ça ne peut pas s’arrêter à ça.
Comment expliquez-vous ce manque d’ouverture à l’extérieur de la part des gens du théâtre ?
Peut-être qu’on n’a pas travaillé sur les publics. Si le public applaudit à deux mains chaque fois qu’on lui présente la même chose, pourquoi est-ce que les comédiens iraient prendre des risques ? Tout va ensemble. Bouger, se déplacer et faire venir des spectacles osés. Quand Michèle Montantin et Alain Foix étaient directeurs du CACG, ils ont fait venir des spectacles très difficiles où il y avait parfois 4 ou 5 personnes. S’il est plus facile de refaire jouer pour la nième fois Jack and Pat, il faut que quelqu’un ait le courage de dire que ce n’est pas du théâtre. Personne ne le dit. Ma mère me dit qu’il faut que je fasse des pièces pour faire rire les gens pour avoir du succès. C’est important d’avoir le courage de dire que le théâtre, c’est exigeant, et qu’il ne fait pas toujours rire… C’est plus exigeant que Moun Koubari qui fait beaucoup de spectateurs et interroge la société guadeloupéenne à sa manière, mais ce n’est pas exigeant, ni du point de vue de l’écriture, ni du point de vue de la mise en scène, ni du jeu d’acteurs. Certains disent qu’à partir du moment où on dit ça, c’est qu’on veut faire comme les Blancs. Je crois qu’il va aussi falloir arrêter ça. Car le théâtre n’appartient pas aux Blancs. Le théâtre bizarre, difficile, différent n’appartient pas aux blancs. Le théâtre est un art qui appartient à tout le monde. Les théâtres japonais, indien ou de Bali ne sont pas des théâtres de Blancs et pourtant ce sont des théâtres exigeants. Certaines mises en scène noires américaines ne sont pas du théâtre de blancs et sont du théâtre exigeant. Continuer à faire du théâtre non pas populaire mais populiste pour faire du public, c’est facile, mais ça ne forme pas le public ni les comédiens, ça n’exige pas une autre forme d’écriture théâtrale. Si les pièces qui sont montées en Guadeloupe me semblent en être toujours au même point, c’est qu’il y a un problème. Peut-être que L’Artchipel ne joue pas son rôle s’il a un rôle à jouer. Ce n’est pas évident que ce soit à lui de jouer ce rôle-là. Une scène nationale est un lieu de diffusion. L’Artchipel n’a pas à faire émerger un nouveau théâtre guadeloupéen. Il manque le lieu d’émergence des nouveaux théâtres guadeloupéens. Peut-être que L’Artchipel peut contribuer à cette réflexion. Peut-être qu’il faudrait un centre dramatique national, mais la tendance actuelle est plutôt à leur élimination. Ce n’est pas en Guadeloupe qu’on va en créer un maintenant.

2008///Article N° : 9333

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