Firmine Richard : une Parisienne de Guadeloupe qui défend Avignon

Entretien de Stéphanie Bérard avec Firmine Richard

Print Friendly, PDF & Email

Quand nous la rencontrons à Avignon en juillet 2008, Firmine Richard joue dans Projection privée, pièce de Rémi De Vos mise en scène par Greg Germain à la Chapelle du Verbe Incarné, où elle participe également à une lecture publique de La faute à la vie, dernière pièce écrite pour elle par Maryse Condé. Elle nous fait partager sa ferveur pour le festival d’Avignon dont elle est une habituée puisqu’elle y a déjà joué sous la direction d’Alain Timar (Lettres indiennes de Gerty Dambury en 1996) et de Philippe Adrien (La Noce chez les petits bourgeois… créoles en 2005). Formée à l’art dramatique en France et aux Etats-Unis, Firmine Richard demeure célèbre pour ses rôles au cinéma : elle partage l’affiche avec Daniel Auteuil dans Romuald et Juliette (1988) de Coline Serreau ; elle apparaît aussi aux côtés de Catherine Deneuve, Isabelle Huppert et Fanny Ardant dans Huit femmes (2001) de François Ozon. Firmine Richard vit aujourd’hui à Paris, mais conserve des liens étroits avec la Guadeloupe, son île natale où elle retourne régulièrement se ressourcer.

Vous êtes une habituée du festival d’Avignon où vous avez joué de nombreuses pièces ces dernières années. Est-ce que le festival est un rendez-vous incontournable du théâtre pour une comédienne ?
Oui, je pense qu’une comédienne qui aime le théâtre et fait du théâtre doit absolument passer par Avignon une fois dans sa vie, dans les meilleures conditions possibles. Si c’est dans le in, c’est encore mieux parce que les conditions sont assurées, mais « faute de merles on mange des grives », comme on dit chez moi. Si on ne peut pas faire le in, faire le off où la bataille est dure (près d’un millier de spectacles cette année) est aussi intéressant. Cela permet d’être programmé pendant un mois, de rencontrer un public et une éventuelle programmation, ailleurs. C’est très intéressant de jouer pendant un mois une pièce qu’on a répétée très longtemps, pour pouvoir trouver son rythme et faire évoluer son personnage. Même quand je n’y joue pas, venir voir des pièces, voir travailler d’autres comédiens est pour moi intéressant. Avignon est donc important.
Vous êtes originaire de Guadeloupe et vous travaillez à Paris. Est-ce un choix délibéré ou une nécessité ?
Je vis en France depuis longtemps maintenant. Mon pays, c’est là où je suis bien. Je suis bien en France donc je reste en France. J’ai l’occasion de partir aux Antilles assez souvent pour y travailler. Je suis arrivée très jeune en France, j’avais 18 ans et quand je suis repartie en Guadeloupe pour m’y installer, je me suis rendu compte que ce n’était pas si évident, j’ai quand même essayé pendant sept ans, donc je suis revenue en France car je m’y sens bien. Je pense que quand on a été déraciné si longtemps, repartir chez soi c’est bien beau, mais reprendre racines n’est pas si simple.
Gardez-vous des liens avec la Guadeloupe ?
Pour travailler, on a plus de choix en France. Après avoir fait Romuald et Juliette, il est certain que si j’étais repartie en Guadeloupe, les gens ne seraient pas venus me chercher. Si vous vous éloignez de là où les choses se passent, les gens vous oublient très vite. C’est vrai qu’il y a des comédiens qui vivent en Guadeloupe et je trouve que c’est bien qu’on ne soit pas tous concentré au même endroit car il n’y a pas beaucoup de productions en Guadeloupe. C’est bien de permettre aux Guadeloupéens de travailler en Guadeloupe. Ceux qui travaillent en France travaillent en France. Mais c’est intéressant quand on peut se retrouver et faire quelque chose ensemble comme ça a été le cas au Théâtre des Halles chez Alain Timar avec une pièce de Gerty Dambury avec des comédiens antillais vivant en Guadeloupe et des comédiens antillais vivant en France comme Raymonde Palcy vivant à Lyon et moi. Cela s’est très bien passé. Mon univers guadeloupéen, je ne le renie pas et j’y vais tout le temps me ressourcer. Je suis ravie d’avoir l’occasion de travailler avec mes compatriotes et de jouer en Guadeloupe une pièce montée en France. C’est l’échange, le partage.
Quels sont vos plus beaux rôles (au théâtre et au cinéma) ?
C’est vrai que j’ai eu deux grands succès au cinéma, le premier avec Coline Serreau qui m’a permis de rencontrer de grands comédiens qui m’ont fait aimer ce milieu. La seconde rencontre avec François Ozon et Huit femmes et ces grandes femmes du cinéma français. Ce sont des rôles qui m’ont marquée car ces réalisateurs m’ont permis de côtoyer de grands comédiens : Daniel Auteuil, Fanny Ardant, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, de les voir travailler et d’apprendre à leur côté. Mais le rôle qui m’a le plus marquée, forcément, c’est le premier, Juliette dans Romuald et Juliette, parce que je ne me savais pas capable de sortir mes émotions à la demande.
Et au théâtre ?
Mon premier rôle au théâtre fut dans Roberto Zucco mis en scène par Bruno Boeglin. C’était un grand moment pour moi, j’étais dans une grande distribution. J’étais ravie. Là encore j’étais avec quelques grands noms du théâtre : Christiane Cohendi, Myriam Boyer, Hélène Surgère. J’ai adoré tout ce que j’ai fait mais je n’ai pas encore eu un rôle qui m’a particulièrement marquée, c’était un travail intéressant qui m’a fait évoluer. J’ai adoré Lettres indiennes de Gerty Dambury qui est aussi l’auteur de Trames, pièce dans laquelle je vais jouer avec Martine Maximin. Ce sont des personnages forts mais je ne peux pas dire que j’ai été vraiment secouée. Je joue avec mes émotions. Je peux ne pas savoir comment l’aborder mais je n’ai pas encore été ébranlée par un personnage. J’utilise ce que j’ai. Je vais jouer par exemple dans Trames cette mère face à son fils avec l’absence du père ; je connais bien ces sujets qui sont actuels (il y a de plus en plus de familles monoparentales autour de moi), mais j’avoue ne pas bien savoir encore comment remplir ce personnage, j’y arriverai certainement, mais aujourd’hui, je ne sais pas encore comment ! J’ai fait récemment la lecture de la dernière pièce de Maryse Condé La faute à la vie. Cela fait des années que je lui avais demandé de m’écrire une pièce pour une personne. Cela ne s’est pas fait, mais une fois qu’elle a fini d’écrire Comme deux frères, Simone Paulin que je connais depuis très longtemps l’a sollicitée pour écrire cette pièce pour elle et moi. C’est la relation entre deux femmes, deux amies, deux sœurs qui sont liées par un conflit ; là encore il y aura un vrai travail à faire pour donner toute sa crédibilité à ce personnage que j’aime. C’est très fort.
Pouvez-vous nous parler du personnage féminin que vous jouez dans la pièce de Rémi De Vos « Projection privée « ?
La pièce même est une farce cruelle qui parle de la solitude des êtres qui sont ensemble mais qui sont seuls, un couple qui n’a plus rien à se dire, où il n’y a plus d’échange. Celui qui est à demeure, en l’occurrence la femme qui est au foyer, a pour partenaire sa télé. C’est un sujet tellement contemporain. J’ai beaucoup d’amies qui laissent toujours leur télé allumée juste pour entendre une voix, pour ne pas se sentir seules. C’est exactement ce qui se passe dans ce couple où l’homme ne se souvient même plus du prénom de sa femme. Est-ce qu’il feint ou est-ce un jeu ? La femme fait donc des personnages des feuilletons qu’elle regarde, ses amies. Elle adore les vedettes. Elle finit par ne plus être dans le discernement : où est sa vie ? à la télé ? C’est vraiment un sujet d’actualité. Les gens adorent les feuilletons. Qui n’a pas regardé Dallas ? On finit par s’en lasser, mais la femme au foyer ou la retraitée a rendez-vous avec son feuilleton tous les jours. Par exemple, quand ma mère regarde la série télévisée Les feux de l’amour, c’est inutile de lui parler, ou de l’appeler au téléphone. Elle veut toujours m’expliquer les épisodes. Que ce soit en France, en Allemagne ou en Italie, je pense que ce phénomène est universel. La solitude des êtres, quelquefois, peut les amener à la folie. L’impact de la télévision sur la nature humaine est démentiel.
Avez-vous une prédilection pour le créole ou le français quand vous jouez ?
Je suis une créolophone et chez nous, on parle le créole et le français sans se poser de questions. Le créole est ma langue maternelle et j’ai étudié le français à l’école. Je n’ai aucun problème, ni avec l’un, ni avec l’autre ; au contraire, nous avons envie de cela car c’est ainsi que nous vivons. Dans une conversation, nous passons d’une langue à l’autre. Le créole et le français sont nos langues. Nous parlons et nous mélangeons les deux, et c’est beau, à tel point que nous pratiquons les traductions en créole et que nous inventons une nouvelle langue en littérature comme avec Chamoiseau. Les gens aiment et demandent à entendre cela. Nous avons une langue qui est très imagée et nous pouvons voguer de l’une à l’autre. Tous les classiques peuvent être traduits en créole et c’est avec les émotions que nous jouons. Si on traduit Shakespeare ou Brecht en français, on peut aussi les traduire en créole. C’est vraiment donner à vivre une langue qui est belle et qui est étudiée à l’université. Donner à entendre cette langue, c’est enrichissant, c’est ce qu’on appelle l’échange. Nous avons une diversité culturelle qui n’est pas vraiment utilisée et c’est malheureux que nous soyons là à nous battre encore pour la reconnaissance de cette langue créole. Ma langue, je la défends partout où je vais, dès que je peux. Ici à Avignon, je suis allée voir Hamlet en allemand, surtitré en français, dans la cour d’honneur du Palais du Papes. Pourquoi pas le créole ? Je voudrais qu’on mette en valeur cette langue. Nous avons chez nous une grande linguiste en la personne de Sylviane Telchid qui fait un travail extraordinaire ainsi que Hector Poullet et d’autres encore. Pourquoi on ne fait pas plus souvent appel à eux ? Si dans la politique qui est mise en place maintenant, ce théâtre peut émerger, ce serait très bien.
Est-ce difficile de trouver des rôles quand on est une comédienne noire ?
Oui, ce n’est pas évident puisqu’on est obligé de passer commande aux auteurs. Le manque de pièces de théâtre et de scénarios rend les choses difficiles. Vous avez des comédiennes comme Josiane Balasko qui a écrit ses propres scénarios et ses pièces quand on ne lui donnait plus de rôles. Ce n’est donc pas si simple quand on est femme, qu’on avance en âge et encore moins quand on est une femme noire. Quand les gens ne font plus appel à vous, c’est la solution. Moi je ne sais pas écrire, donc je commande des pièces aux auteurs. J’ai aimé le travail qu’a fait Martine Maximin avec le roman de Maryse Condé Le cœur à rire et à pleurer, je trouve cela formidable, moi, je n’en suis pas capable. C’est valable aussi pour les comédiennes blanches. J’ai vu en Avignon Sophie Artur, Agnès Soral, Caroline Loeb, Nathalie Corré qui ont écrit et / ou commandé des pièces qu’elles ont jouées. C’est la solution qu’il nous reste, à nous comédiennes noires car on ne nous voit pas souvent ni sur scène ni à la télé. C’est un constat, ce n’est pas de la paranoïa. On est obligé à un moment de faire cette démarche, faire appel à nos auteurs. Nous avons des dramaturges qui commencent à émerger, mais il n’y en a pas tellement. Alain Foix écrit pour le théâtre, Maryse Condé aussi mais à la demande. Nous avons beaucoup d’auteurs, mais pas forcément d’auteurs de théâtre. Frantz Succab, José Jernidier écrivent aussi. Il y a des tentatives mais il faut aussi dire que certaines pièces ne sont pas montées car c’est très difficile d’obtenir les financements. L’aide à la création est difficile à avoir. Il faut qu’en Guadeloupe, une vraie politique culturelle se mette en place et que ce ne soit pas de vaines paroles.
Qu’est-ce qui freine selon vous le développement culturel guadeloupéen ?
La culture est le parent pauvre de l’économie, ça tout le monde le sait. A quoi bon donner de la culture aux gens ! En France, maintenant, on vous dit : travailler plus pour gagner plus, vous n’aurez donc plus le temps de vous cultiver. On ne pense pas que les gens aient envie d’aller voir une pièce après une dure journée de travail, ils vont plus facilement écouter de la musique dans leur voiture, dans les embouteillages. Notre culture est très riche et variée, mais on va plus favoriser la musique et la danse que les mots, le littéraire. On va chanter, danser, mais pas se déplacer et payer pour entendre un texte, c’est ce que pensent « nos décideurs ». J’aimerais bien savoir ce qui est culturel pour les politiques en Guadeloupe. Je sais qu’au Lamentin, le nouveau maire veut mettre en place une politique culturelle et j’ai bon espoir qu’il aille jusqu’au bout. Au niveau de la Région Guadeloupe, il y a cette même volonté et on va voir ce que ça va donner. Nous sommes très en retard sur la Martinique, où les gens ont pu faire des choses, se former, apprendre à jouer d’un instrument au SERMAC. Ils ont eu la possibilité de se développer davantage que nous. Je le dis, j’en fais le constat même si ça peut ne pas plaire. C’est un fait que nous sommes en retard en Guadeloupe. Je suis ravie que ça se mette en place maintenant, mais espérons que ce ne soit pas que de vaines paroles. Je suis allée récemment à une réunion de la DRAC et ce que j’ai entendu m’a déprimé ; on a ôté des millions à la culture, les compagnies ont du mal à monter des pièces. C’est la politique culturelle générale de la France et en Guadeloupe on en ressent les conséquences aussi. Les compagnies basées en Guadeloupe n’ont pas d’argent. La DRAC qui est chargée de l’aide à la création n’a pas aidé la compagnie GRACE Art, basée en Guadeloupe, qui monte la pièce dans laquelle je joue actuellement Projection privée. J’aimerais bien savoir les vraies raisons, parce qu’il n’y a pas eu tant de créations que cela, cette année en Guadeloupe, pour ne pas pouvoir aider une compagnie qui vient se produire en Avignon, quand on sait tout ce que ça coûte !

Avignon, le 26 Juillet 2008///Article N° : 9350

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire