Solof Tinah : « J’ai énormément appris sur mon métier et sur les capacités discursives du médium que j’utilise »

Entretien de Jessica Oublié avec Solof Tinah

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Ingénieur informaticien de formation, Solof Tinah, lauréat du prix exposition collective du Mois de la Photo 2010, a rendu deux hommages sensibles aux pêcheurs Vezo avec son reportage « Entre ciel et mer » et aux enfants de Farafangana avec « Regards fragiles ».

Encore inconnu il y a quelques années du milieu de la photographie tananarivienne, quel a été votre parcours dans ce domaine ?
Je suis né à Farafangana mais j’ai passé toute mon adolescence à Fianarantsoa. A la fin des années 1990, j’ai découvert avec beaucoup d’émotion l’œuvre photographique de Pierrot Men. J’ai été fasciné par son utilisation du noir et blanc et par la sérénité qui émanait de ses portraits et paysages. En 2001, afin de m’initier à son art, je me suis procuré un appareil et ai commencé à faire de la photographie commerciale à l’université. Je réalisais des portraits d’identité 10 x 15 cm que je vendais 1000 Ar aux étudiants. Mais mon travail ne me satisfaisait pas. J’avais envie qu’il y ait un peu de mes interrogations et exigences dans ce que je faisais. Je cherchais à réaliser des photographies plus originales, en fait des images qui me permettraient d’établir un dialogue avec les gens, d’éveiller en eux une série de questions et de sensations. En 2005, à Antananarivo, j’ai intégré un groupe de photographes dirigé par l’humoriste et photographe Francis Turbot. A partir de ce moment, j’ai couvert des spectacles et des évènements, j’étais comme boulimique, j’avais envie de tout photographier, juste pour m’entrainer, pour me faire un œil. Un an plus tard, j’ai découvert le forum tsanagasy.com qui lançait un concours photographique sur le thème « Nos murs ont-ils des oreilles ? ». J’ai obtenu la 2ème place ce qui m’a permis pendant trois années d’être le reporter officiel du site. Et puis, au début de l’année 2009, j’ai eu envie avec un ami de monter « Imago », une agence de communication. L’aventure a tourné court. J’ai compris qu’il me fallait faire mon chemin seul. C’est pourquoi, à la fin de cette année, j’ouvrirais Niouz, agence de photographie au service de la communication corporate des entreprises.
Comment êtes-vous venu à vous intéresser à la vie des pêcheurs Vezo ?
En juillet 2008, je suis allé à Belo sur mer. Le trajet depuis Morondava se fait généralement par la route, il faut bien compter 80 km, mais j’ai préféré m’y rendre par la mer. J’avais le choix entre des vedettes ou des boutres. Puis, un pêcheur vezo m’a proposé de le suivre. Ils sont réputés pour être les meilleurs pêcheurs, navigateurs et nageurs de Madagascar donc j’ai accepté sa proposition. La mer était agitée, je ne voyais rien à des centaines de mètres à la ronde à part de l’eau, encore et toujours de l’eau, elle enveloppait au loin le ciel dans ses bras. Je dois avouer que je n’étais pas rassuré. J’avais peur que la mer reprenne à notre embarcation sa liberté… Mais, les pêcheurs Vezo manient la voile comme personne. Sans moteur, avec le même vent qui souffle, deux pêcheurs parviennent à naviguer avec aisance dans des directions opposées. Après plusieurs heures de navigation, je ne sais comment, on a traversé des mangroves, des forêts, du sable. On est arrivé à un village, Ankify sur mer. J’ai alors rencontré des femmes et des hommes pour qui la mer est la vie, le lieu de tous les chemins, la mère nourricière, le dieu protecteur, le terrain de chasse et le gagne-pain quotidien. Leur histoire, telle qu’ils me l’ont confiée, se situe quelque part entre ciel et mer. Et c’est ce que j’ai tenu à restituer.
Vous avez également photographié des visages d’enfants à l’occasion de votre reportage « Regards fragiles ». Quelle est votre relation avec les enfants ? Pourquoi les avoir choisis comme sujet ?

J’aime les enfants. Mais je ne savais pas vraiment comment les approcher, sous quel angle les photographier. Et puis en 2009, après plus d’une dizaine d’années, je suis rentré à Farafangana, là ville où je suis né. J’avais avec moi mon appareil photographique. Les enfants étaient très intrigués. Je devenais à leurs yeux un personnage doté d’un intérêt particulier. L’occasion se présentait enfin de réaliser un sujet sur eux. Les enfants que j’ai photographiés sont issus de milieux pénibles et défavorisés. Mais je n’avais pas envie de réaliser un énième reportage sur les conditions de vie difficiles des enfants de Madagascar. Je n’avais pas envie d’un reportage bien pensant qui conforterait les idées reçues du Nord sur la situation du Sud. En fait, je me suis assis avec ces enfants, ai écouté leurs conversations, ai ri avec eux, partagé quelques-unes de leurs peines, essuyé quelques bobos. J’ai simplement pris le temps d’entendre ce qu’ils avaient à me confier. Au final, qu’ils ne soient pas scolarisés, que leurs parents aient peu d’argent, qu’ils vivent souvent dans des conditions sanitaires déplorables ne comptent pas. Ce qui compte sans doute, c’est qu’ils vivent comme personne, l’existence qu’on leur a donnée. Il n’y a là aucun héroïsme, juste les Malgaches de demain.
Quel bilan tirez-vous de votre participation au Mois de la Photo 2010 ?
C’était pour moi une expérience tout à fait inédite et enrichissante. J’ai énormément appris sur mon métier et sur les capacités discursives du médium que j’utilise. Et puis, je me dis aussi qu’on a beau faire des photographies, on n’en est pas moins photographes professionnels si on ne peut les confronter au regard de nos pairs, du public et de la presse à l’occasion d’évènement comme celui-ci. Cet évènement m’a principalement de structurer ma démarche, de donner un sens nouveau à ma vision des choses. J’espère vraiment qu’il aura lieu maintenant chaque année et qu’il profitera à de nouveaux photographes Malgaches désireux de faire connaître leurs travaux plus largement.

26 août 2010///Article N° : 9688

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Les images de l'article
Entre ciel et terre © Solof Tinah
Regards Sensibles © Solof Tinah
Regards Sensibles © Solof Tinah
Entre ciel et terre © Solof Tinah
Entre ciel et terre © Solof Tinah
Entre ciel et terre © Solof Tinah
Regards Sensibles © Solof Tinah
Entre ciel et terre © Solof Tinah
Regards Sensibles © Solof Tinah





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