Portrait d’Ange Rasolonindrina

La femme malagasy des temps modernes

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Voilà vingt ans qu’elle se promène dans les milieux administratifo-journalistico-culturels avec son air sage mais engagé. Vingt ans que cette ancienne prof, dont la carrière de ce côté-là fut bien courte, traîne dans ses fonds de tiroirs des projets tous azimuts liés d’une manière ou d’une autre à la notion de service à autrui. Elle est là maintenant, au Bloc 31 porte 2, cité des 67 ha Nord Est, sous l’enseigne Epure. Enfin, ce tourbillon d’imagination, celle qu’on a un temps surnommé la Petite Nina, est devenue la chef d’entreprise accomplie à laquelle elle aspirait sans doute un peu secrètement. Portrait d’Ange Rasolonindrina, la femme malagasy des temps modernes.

Enfance. Petite, Ange a fréquenté l’école primaire française. En 1972, alors que le président Philibert Tsiranana est démis de ses fonctions, les étrangers sont invités à rentrer chez eux. Commence alors la période de malgachisation. 1976, Ange intègre l’école malgache en 5ème. Toute jeune déjà, elle se rêve journaliste, elle si bavarde et avenante. Issue d’une famille de médecins, mère laborantine médicale et père pharmacien, grands parents sage-femme et médecin, elle s’intéresse à tout, a l’esprit large aussi grand ouvert que les livres qui remplissent sa table de chevet et animent ses nuits : Les fleurs du Mal de Baudelaire, le Guerrier de lumière de Paulo Coehlo ; L’arbre des possibles et le livre du voyage de Bernard Werber.
Adolescence. 1979, alors qu’elle est la plus jeune à obtenir son baccalauréat, l’Etat lui propose une bourse d’études pour Odessa, en U.R.S.S. Peu intéressée par cette destination, elle refuse et s’inscrit à la faculté de Lettres d’Antananarivo. Elle y fera également son droit pour étudier les relations et la diplomatie internationale. En 1981, elle se marie alors qu’elle n’a que 19 ans et est contrainte d’arrêter le droit à la fin de la première année. La même année, elle opte pour une formation courte professionnalisante et intègre l’Ecole Normale. Elle aurait bien voulu être médecin, au moins pour faire plaisir à ses parents, mais ces études sont difficilement conciliables avec l’EN et son nouveau rôle de mère. Elle opte donc pour l’EN qui lui offre la possibilité au bout de cinq ans de trouver un emploi dans la fonction publique. Son diplôme en poche, elle a 22 ans et enseigne dans un lycée technique masculin. Mais, en pleine malgachisation, les jeunes ne veulent pas d’un professeur de français et encore moins d’une femme… Au bout de deux ans, elle abandonne pour se mettre en quête d’un emploi de journaliste.
Indépendance. 1987, le quotidien Express ouvre. Ange y commence sa nouvelle vie comme freelance puis fait la connaissance de deux Français, Denis Rochet et Paul Sigogneau, qui viennent d’ouvrir un journal d’information culturelle à Antananarivo. Ils cherchent des collaborateurs malgaches. La rencontre est décisive. Salariée de Ny Akama, le pote en argot malgache, elle est en charge de la rubrique socioculturelle. Elle mène des enquêtes sur le développement du sida à Madagascar, investit les boites de nuit pour sensibiliser les jeunes filles au port du préservatif, distribue des journaux, etc. Après deux ans, le magazine n’obtient pas le lectorat qu’il souhaite. Les Malgaches ne sont pas encore prêts à soutenir et valoriser leur propre culture. 1994, faute de publicité, Ny Akama, referme la quatrième de couverture de son dernier numéro sur sa propre histoire.
Maturité. Entre 1981 et 1989, elle donne naissance à trois garçons. Mais perd entre-temps son mari. Pour faire face à ses nombreuses responsabilités, en 1989, elle décide d’entrer au Casino du Hilton en tant que croupière et y fera la rencontre de nombreuses personnalités. Dans le même temps, elle apprend la gestion administrative et financière. 1995, la vie lui sourit de nouveau. Elle rencontre Dominique, un français installé à Madagascar, et accepte de l’épouser.
Renaissance. 1997. Avec quatre enfants, un mari et un emploi de pigiste, il lui devient difficile de travailler de nuit. Elle laisse derrière elle les jetons du casino et entre la même année au sein de l’équipe de l’Ambassade de France de Madagascar comme assistante de projet administrative et financière dans le domaine des sciences. Pendant dix ans, elle fera l’interface entre les projets de l’Ambassade de France et les ministères malgaches. Durant toute cette période, elle a en charge les volets administratifs et financiers des projets et la gestion des contreparties financières malgaches allouées aux projets et était également chargée de la communication autour de grands projets comme le projet d’appui à la formation des médecins urgentistes dans l’Océan Indien et le projet d’appui à la recherche agronomique et environnementale. Elle bénéficie alors de la formation professionnelle continue et s’inscrit à l’Institut Supérieur de Communication Administrative et Management dont elle parachèvera la formation en s’inscrivant au Cradec en 2006. Sûre d’elle, elle décide d’ouvrir en 2007 sa propre entreprise de communication.
Concrétisation. Elle s’associe avec son frère, infographiste de formation, pour monter les bases d’Epure, entreprise de communication institutionnelle et commerciale. Son frère est spécialisé dans le dessin en 3D. Pour eux, leur entreprise doit être comme l’épure, ce dessin finalisé en 3D à la fois net et clair. Après trois ans d’existence, l’entreprise est composée de quatre infographistes et, outre la conception et la réalisation de chartes graphiques entières, de logos, de publicités papier ou télévisés, de traductions et la production de tout support visuel, elle propose des prestations de logistique organisationnelle pour des évènements. Avec un chiffre d’affaire annuel de 145 M d’ariary environ, Epure compte plus d’une douzaine de clients dans son portefeuille, situés principalement à Antananarivo, Tamatave et Diego Suarez et travaille autant avec des sociétés qui font de l’artisanat haut de gamme comme Myrah ou Art et Matières et des artistes qu’avec des sociétés industrielles telles qu’Aquamad, Madécasse, Aurlac, et des boutiques de mode, Arabesque, On Abi. Elle compte également parmi sa clientèle des institutions comme l’Ambassade de France et le Centre Horticole Technique de Tamatave
Collaborations. Ange a ses marques dans le quartier des 67 Ha. Elle y a grandi étant petite. Le coordinateur du Mois de la Photo, Fidisoa Ramanahadray, y vit aussi. Ils se connaissent depuis une vingtaine d’années. Il lui a naturellement proposé d’intégrer le comité d’organisation de cet évènement qui était pour elle l’occasion d’élargir son réseau professionnel. Toute la conception graphique, en dehors de la production, a été faite gratuitement par Epure. Depuis, Ange a été approchée par des artistes qui lui ont proposé d’être leur administratrice pour l’organisation du 400ème anniversaire de la ville d’Antananarivo ainsi que par le Président de l’association TAVA. Le chargé de mission au Ministère malgache de la culture lui a fait la suggestion de se constituer en opérateur culturel. Bref, les retombées de cet évènement pour Epure et Ange sont donc plus que positives, toutefois remarque t’elle, les demandes de collaborations vont plus dans le sens de l’organisation d’évènement que de la communication. De quoi réfléchir à de nouvelles sortes d’activités…
(A)venir. En tant que véritable femme d’affaire, Ange n’a pas fini de faire parler d’elle et de son entreprise. Aujourd’hui, à 48 ans, elle souhaite créer un jour un évènement qui mettrait à l’honneur les différentes techniques de communication afin de valoriser ce secteur florissant auprès des jeunes. Si certains croient encore que Madagascar ne peut rien faire sans les vazahas, c’est qu’ils n’ont pas passé un instant aux côtés de cette femme époustouflante dont la vie est à l’image du parcours, c’est-à-dire riche, faite de petites déceptions et de grands succès, de coups durs et de rencontres décisives, d’amour pour les autres et surtout pour son pays dont malgré tout elle ne cesse de dire du bien.

///Article N° : 9693

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