La bande dessinée en Afrique : des auteurs, mais pas d’albums

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Au cours de ces dernières années, le succès énorme rencontré par la série Aya de Yopougon, scénarisée par l’Ivoirienne Marguerite Abouet a permis au public français de découvrir qu’il existait des auteurs africains de bandes dessinées. Cette découverte fut renforcée par l’apparition au même moment d’autres auteurs Africains.

Le Gabonais Pahé en fait partie, il est l’auteur des deux tomes de La vie de Pahé, adaptés en une série animée de 78 épisodes sous le titre Le monde de Pahé. On peut également citer le Congolais (RDC), Pat Masioni avec Rwanda 94. D’autres auteurs ont percé sur le marché occidental au cours de ces dernières années que ce soit Mbumbo et Ngalle Edimo (Cameroun – Malamine, un africain à Paris en 2009), Hallain Paluku (RDC – le magnifique Missy en 2006), Laval NG (Île Maurice – Balade au bout du monde de 2003 à 2008) ou Jenny (Madagascar – la série manga Pink diary
Peu connue des occidentaux, la bande dessinée est cependant présente en Afrique depuis presque un siècle. C’est en effet en 1915, durant la première guerre mondiale, que parut la première revue contenant de la bande dessinée. Le Karonga Kronikal, magazine humoristique, eut le temps de publier six numéros au Malawi par le Livingstonian Mission press pour divertir les troupes britanniques. Par la suite, en 1933, La croix du Congo, au Congo belge, publie la première juxtaposition de cases dont on peut présumer qu’elles sont l’œuvre d’un dessinateur Africain : Le match de Jako et Mako d’un certain Paul Lomami (1). A partir des années 40 et 50, la bande dessinée prend son envol, surtout du côté des colonies britanniques. En août 1940, au Kenya, le journal catholique swahiliphone Rafiki yetu, se servait déjà de la BD dans les réclames. Cette tendance durera jusque dans les années 50 et 60. La première série de strips non liée à de la publicité date de 1951, dans le mensuel du Tanganyika Mambo Leo, avec Picha za kuchekeshna (des dessins qui vous font rire), signé par des initiales, C.S.S. Le premier dessinateur Africain en langue swahili a probablement été W.S. Agutu qui a démarré en 1952 la série Mrefu dans le journal kenyan Tazama. Cette série sera suivie par Juah kalulu de Edward Gicheri Gitau (1955) et Juha Kasembe na Ulimwengu wa leo (Kasembe l’idiot et l’environnement moderne) de Peter Kasembe, que l’on peut considérer comme le premier bédéiste Tanzanien (1956). Au Nigeria, dans les années 50, paraissait Joseph’s holiday adventure dans le Daily times avec le soutien intéressé de l’UAC (United Africa Company), grosse société commerciale soucieuse de redorer son blason à l’approche de l’indépendance. Du côté francophone, on peut citer les Éditions Saint Paul Afrique (Kinshasa) qui, dès 1958, lancent le magazine Antilope où Albert Mongita, sur des dessins de Lotuli, publia Mukwapamba. Dans l’Océan Indien, à Madagascar, la première Bande dessinée, apparue en 1961, fut Ny Ombalahibemaso de Rakotomamonjysoa Jean d’après un scénario du père Rahajarizafy. Elle relatait la vie du grand roi Andrianampoinimerina. Au Togo, c’est en 1960 que Pyabélo Chaold sort Le curé de Pyssaré, publié par la mission chrétienne. Une histoire très drôle qui décrivait les rapports d’un curé blanc avec les habitants d’une localité rurale du Nord-Est. Enfin, en Egypte apparaissait en 1950 le premier journal pour les enfants, Sindibad, qui présentait Les aventures de Zouzou par Morelli et Les voyages de Sindibad. Il sera arrêté, suite à une décision de Nasser, en 1960.
Les années 60 verront la naissance de revues BD mythiques pour toute une génération de lecteurs : Irfane en Tunisie (1965), Jeunes pour jeunes en RDC (1968) et M’quidesh en Algérie (1969). Celles-ci s’arrêteront lors de la décennie suivante, souvent pour des raisons politiques.
Les années 70 et 80 voient l’arrivée des premières séries et des premiers héros. C’est le cas en Cote d’Ivoire avec Dago, villageois perdu dans Abidjan, imaginé par Maïga (en réalité un Français nommé Laurent Lolode) et du citadin naïf et gaffeur Monsieur Zeze de Lacombe (2), en RDC avec Mata mata et Pili pili, duo savoureux de Mongo Sisé qui constitue le parfait témoignage du mobutisme triomphant mais aussi en Centrafrique avec le personnage principal de la revue Tatara, l’intellectuel ivrogne, paresseux, malhonnête mais sympathique Tékoué, dessiné par Come Mbringa sur des scénarios de Eloi Ngalou et Olivier Bakouta-Batakpa, tous trois enseignants.
On pourrait en citer bien d’autres…. Les années 80 marquent également l’émergence du Zaïrois (3) Barly Baruti qui sera une figure essentielle des vingt années suivantes et la tentative du dessinateur Néerlando-Gabonais Achka de créer à Libreville la première maison d’édition de BD d’Afrique (Achka). Enfin, Madagascar vit ce que l’on qualifiera plus tard d' »âge d’or de la BD malgache » avec une trentaine de titres diffusés chaque mois sur le marché local par plus de vingt éditeurs. Cette production très originale, en langue malgache, était influencée par les « fumetti » italiens (Blek le roc, Zembla, Rodéo…) tout aussi populaires en France à l’époque.
La BD se popularise également à travers les revues Kouakou et Calao, soutenues par la coopération française et diffusées à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dans les pays francophones.
Les années 90 et 2000 voient l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs. L’une des raisons majeures de ce renouveau tient à la vague de démocratisation qui touche plusieurs pays africains entraînants, à défaut d’une réelle alternance démocratique, une quasi-totale libéralisation de la presse. Jusqu’au début des années 90, la plupart des pays francophones africains n’avaient qu’un seul organe officiel (qui correspondait souvent à l’organe du parti unique). A partir de 1990 et le démarrage des conférences nationales, plusieurs dizaines de titres fleurissent et ont recours au dessin de presse. Les caricaturistes prennent une importance de plus en plus grandissante, phénomène accentué par la suite par Internet et l’apparition de chaînes de télévision.
Concomitamment, l’apparition d’ONG internationales venues faire de l’aide au développement, autrefois dévolue aux services de coopération des États occidentaux (4), a multiplié les actions de prévention dans le domaine de la santé ou de l’éducation via des brochures illustrées. De fait, il devient possible, pour un dessinateur Africain, de (sur)vivre de son crayon !
Le bilan est cependant contrasté et la production reste faible. En 2009, le nombre de titres francophones publiés sur le continent n’a pas dépassé la dizaine. Les éditeurs hésitent à tenter l’aventure, considérant la bande dessinée comme un genre à risque. Les revues BD, après la vague des années 60, se révèlent très peu viables et disparaissent au bout de quelques numéros. Enfin, les auteurs restent sous influence culturelle européenne avec comme horizon indépassable, l’album de 46 pages, à couverture cartonnée, en couleurs et grand format, prestigieux certes, mais peu vendable localement. Les tentatives pour trouver un autre modèle échouent. C’est le cas à Madagascar où la belle flambée des années 80 n’a pas survécu à la crise économique et politique de 1991. C’est également le cas en RDC, lieu d’une tradition originale de « BD de la rue » lingalaphone, ronéotypée sur du mauvais papier, à production aléatoire et vendue sur les marchés par les marchandes de beignets. Celle-ci disparaîtra également au début des années 2000. A la différence de certains pays anglophones, où la production nationale est très vivante (5), les pays francophones n’ont jamais su trouver un modèle autonome adapté aux réalités locales. Les raisons en sont multiples. L’une de celles-ci tiendrait au milieu éditorial traditionnellement bien plus actif dans les pays d’Afrique anglophone que francophone ou lusophone (6). Une autre raison tient également à la liberté de la presse plus ancienne chez les anglophones, presse qui, en dehors du recours aux caricaturistes, a souvent été un support pour le développement du 9ème art, comme au Sénégal et en Cote d’Ivoire. Pourtant le milieu s’organise et se structure en différentes associations afin de mettre en commun les talents. C’est le cas au Mali où quelques artistes très désireux de s’affirmer dans le métier (Massiré Tounkara, Julien Batandéo, Ali Zoromé) ont créé le Centre de Bande dessinée de Bamako. Cette association arrive à attirer des commandes institutionnelles, en particulier dans le domaine didactique. On peut aussi citer le Bénin où un groupe de dessinateurs organise régulièrement des manifestations et a même produit un dessin animé en 2008. L’une des figures émergentes en est Hector Sonon, qui vit de son art depuis près de 20 ans, sans exercer d’autres métiers. Cependant ces cas se révèlent rares et les débouchés quasi inexistants.
Cet horizon bouché explique en partie la forte tendance des dessinateurs Africains à quitter leur pays pour tenter leur chance en Europe. C’est le cas depuis 2002, des Congolais Al’Mata, Hallain Paluku, Fifi Mukuna, Pat Masioni, Pat Mombili, Alain Kojélé, mais aussi des Camerounais Achille Nzoda, Simon Pierre Mbumbo, de l’Ivoirien Titi Faustin, du Malgache Didier Mada BD, des Tchadiens Adjim Danngar et Samuel Saïna, etc…(7)
Malheureusement, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Bons professionnels, les dessinateurs Africains manquent souvent d’une identité graphique affirmée. Plutôt influencés par la BD franco-belge pour les anciens et par le manga pour les plus jeunes (en particulier au Nigeria), les auteurs de BD du continent ne se distinguent pas particulièrement de leurs confrères occidentaux et n’arrivent pas à apporter quelque chose de nouveau.
Pourtant, il existe « au pays » quelques réussites remarquables. On peut citer deux journaux qui ont comme point commun de mélanger BD et caricatures. L’un est Ngah !, hebdomadaire en noir et blanc et en langue malgache distribué par des vendeurs à la criée dans les rues de Tananarive depuis 2002. L’autre est Gbich, « journal de BD et d’humour« , troisième périodique le plus vendu de Cote d’Ivoire. Né en 1999 et ayant survécu à la guerre civile, il s’apprête à sortir une édition internationale. On peut aussi évoquer la série Goorgoorloo du Sénégalais TT Fons, énorme succès qui fut même adapté en série télévisée.
Peut-être peut-on voir dans ces « contre-exemples » un espoir et surtout un début de solution à la morosité ambiante. Il est sans doute temps que l’Afrique cesse d’être le continent où les talents graphiques se sentent prisonniers et regardent systématiquement vers le nord. Après tout, 50 après les indépendances, la notion de métropole n’existe officiellement plus….

1. Paul Lomami qui serait, selon certains chercheurs, l’écrivain Paul Lomami Tshibamba, auteur de Ngando et de Ah ! mbongo (œuvre posthume publiée chez L’harmattan en 2006).
2. Lacombe, de mère ivoirienne et de père corse, est retourné sur son île à la fin des années 80 où il continue de produire des bandes dessinées et des illustrations pour des éditeurs locaux.
3. Nom donné à l’époque, à la RDC.
4. Les ONG internationales (MSF, Médecins du monde, etc.) sont présentes sur le continent depuis les années 60, cependant, leurs actions se limitaient souvent à de l’urgence.
5. En particulier au Nigeria, pays qui compte plusieurs dizaines d’éditeurs et des centaines de titres faits avec les moyens du bord et pétris de références culturelles locales. Le « comics festival » de Lagos est d’ailleurs un évènement important.
6. Les grands éditeurs britanniques ont souvent créé des filiales dans leurs anciennes colonies. Avec l’indépendance, celles-ci se sont « autonomisées » et n’ont plus guère de liens avec la maison mère. Les éditeurs français n’ont jamais rien fait dans ce sens.
7. Le départ de certains s’explique également par des menaces et intimidations, tous ces auteurs de bandes dessinées étant aussi des caricaturistes…
Erstein, Juin 2010.

Publication dans Africultures avec l’aimable autorisation de la revue Bibliothèque (s).
Première publication dans le numéro 51 (juillet 2010) de la revue Bibliothèque (s).///Article N° : 9759

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