DanceHall. From Slave Ship to Ghetto

De Sonjah Stanley Niaah

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Ce livre pourrait être un ouvrage de plus sur la musique jamaïcaine. Mais Sonjah Stanley Niaah prend le parti d’évoquer le « dancehall », mélange de reggae et de sons numériques, à travers ses lieux de performance. Des cales des bateaux traversant l’océan Atlantique aux ghettos de Kingston, elle déroule l’histoire de cette musique populaire à travers ses migrations géographiques, ses pratiques culturelles et ses influences. Au fil des sept chapitres de ce livre, Niaah s’appuie sur la pluridisciplinarité des Cultural Studies pour démontrer que le « dancehall » dépasse les frontières musicales, développe des espaces économiques et génère de nouveaux réseaux sociaux. L’auteur parle alors de « dancehall » comme d’un ensemble de « constructions géographiques » (page XVII).

Pour une définition du « dancehall »
Le premier chapitre de cet ouvrage s’attache à définir le « dancehall » comme un genre musical jamaïcain vecteur de ressources économiques par les emplois qu’il crée. Le « dancehall » est selon l’auteur « l’une des plus populaires musiques indigènes de la Jamaïque » (page 2) qui puise ses racines dans les performances africaines où le disc-jockey serait l’équivalent contemporain du griot africain. Après une revue de littérature retraçant les recherches académiques sur les musiques reggae, Niaah choisi de s’intéresser à l’espace dans le « dancehall ». Né dans la violence des plantations coloniales, le « dancehall » occupe aujourd’hui des espaces marginaux tout en étant au cœur de l’identité nationale jamaïcaine (page 16). En élaborant cette généalogie de la géographie du « dancehall », Niaah dresse des similitudes entre le « dancehall » et d’autres musiques comme le blues, né lui aussi de croisements entre la marge et le centre (page 25).
La géographie de la performance
Dans le chapitre suivant, Niaah développe ce concept de « géographie culturelle » en arguant du lien entre musique et société. Selon elle, la musique conditionne les identités (page 32). La performance musicale est à la fois physique, mentale, émotionnelle et spirituelle. Les actes et les pratiques performatifs du « dancehall » sont connectés aux lieux où ils se déroulent et supposent aussi un engagement personnel et collectif de la part des’performers'(page 33). En s’appuyant sur l’exemple de la musique Limbo dansée par les esclaves, elle démontre la spatialité de la performance du « dancehall »‘, qui est selon elle, l’expression contemporaine du reggae (page 37). Cet argument lui permet d’étudier plus en détail les espaces du « dancehall » dans plusieurs quartiers de Kingston. Elle montre que les distinctions sociales se retrouvent à l’échelle du « dancehall ». Ainsi, chaque communauté des différents quartiers de la capitale jamaïcaine a son propre « dancehall ». Loin d’inciter des conflits, cette régionalisation des « dancehall » permet au contraire d’assurer des espaces de protection au sein de la ville et d’après elle, là où il y a un « dancehall », la criminalité baisse (page 48).
Les « dancehall » de Kingston
Le chapitre trois détaille ces espaces de la performance. Les manifestations musicales se déroulent dans des lieux nomades et selon des rituels précis. A travers l’exemple d’un’sound system’ californien, elle décrit les raisons de ce nomadisme. Les descentes régulières de police et les réglementations anti-bruits contraignent bien souvent les organisateurs à déplacer les « dancehall » vers les rues. La rue possède en effet une symbolique très forte car elle concentre les difficultés sociales et les luttes de territoire. La rue se retrouve ainsi dans les paroles de nombreuses chansons de Bob Marley à Super Cat, Baby Cham ou Mavado (pages 70-74) qui décrivent tous par cette image la rudesse de la vie dans les ghettos. Niaah montre ainsi l’imaginaire qui entoure les quartiers de Kingston, délimités par les rues.
Un espace rituel
Ce quatrième chapitre s’intéresse à la nature rituelle du « dancehall ». Niaah s’appuie ici sur les théories d’Emilie Durkheim pour démontrer le « pouvoir sacré du dancehall » (page 87). Le « dancehall » célèbre en effet les événements du quotidien et peut donc se lire comme un ensemble de pratiques régies par des codes (page 90). Ainsi, des noms sont donnés aux danses en fonction des jours auxquelles elles se déroulent, à la manière « d’un calendrier liturgique » (page 92). Pourtant, le « dancehall » se distingue du carnaval par le sens que lui donnent ses participants unis par un même lien identitaire. La dance devient une institution régie par des codes familiers aux spectateurs autant qu’aux organisateurs, musiciens et danseurs (page 95). Chaque événement du quotidien (fêtes nationales ou religieuses) est prétexte à la tenue d’un « dancehall ». Niaah analyse ensuite neuf types de manifestations en s’attardant sur l’exemple d’un « dancehall » du quartier de Passa Passa (page 104).
Géographies corporelles
Dans ce cinquième chapitre, Niaah montre comment la dance, et plus particulièrement les mouvements dansés, sont un langage de célébration (page 120). Les danseurs sont au cœur du « dancehall » et leur habileté à exécuter les mouvements est un indicateur de leur appartenance à telle ou telle classe sociale. Les interviews qu’elle a mené auprès de danseurs et danseuses, lui permettent d’avancer l’idée que la danse est un vecteur d’ascension sociale (page 132). Le style des danseurs est lui aussi significatif, que ce soit dans les vêtements ou les coupes de cheveux. Ces attributs permettent de brouiller un peu les disparités homme/femme et de permettre aux femmes de trouver dans la danse un espace d’expression au même titre que les hommes (page 140).
Des espaces performatifs ouverts
Ce sixième chapitre montre que le « dancehall » a aujourd’hui dépassé les frontières de la Jamaïque autant que celles de la rue et de la communauté. Elle développe cette idée de « boundarylessness » à travers plusieurs exemples de déplacements géographiques du « dancehall » (page 154). De la multiplication des festivals de musiques jamaïcaines de part le monde aux mouvements de danses du coureur Usain Bolt lors des derniers jeux olympiques, Niaah évoque la popularité croissante du « dancehall ». Cet engouement international qui participe également à la célébrité des’performers’ a été rendu possible grâce au phénomène des clips vidéos et à leurs diffusions par-delà les frontières communautaires, jusqu’au Japon.
Un espace transnational
Le dernier chapitre de cet ouvrage propose une conversation entre plusieurs musiques et le « dancehall ». Niaah souligne ainsi les similitudes et les disparités entre le « dancehall », le reggaeton et le kwaito, notamment dans leurs capacités à étendre leurs espaces d’influence. Né dans les ghettos sud-africains, le kwaito partage avec le « dancehall » des thématiques sociales et une misogynie récurrente (page 181). Le reggaeton, ou reggae espagnol, que l’on entend surtout dans la région du Panama à Porto Rico se rapproche quant à lui du « dancehall »par ses rythmes et les références sexuelles de ses textes. Ces trois musiques créent un dialogue souvent politique entre les différents ghettos du monde (page 189).
DanceHall, From Slave Ship to Ghetto permet d’aborder un aspect méconnu de la musique jamaïcaine, par les représentations géographiques. Depuis les bateaux d’esclaves traversant l’Atlantique pour rejoindre les côtes caribéennes jusqu’aux ghettos actuels de Kingston et d’ailleurs, le « dancehall » n’a cessé d’être un espace où se multiplient les pratiques performatives et les interactions sociales.

Sonjah Stanley Niaah, DanceHall. From Slave Ship to Ghetto. Presses de l’Université d’Ottawa, Collection des études culturelles, africaines et diasporiques, 2010, 238 p.///Article N° : 9764

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