Fix Me

De Raed Andoni

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Récemment primé aux dernières Journées Cinématographiques de Carthage (Tunisie) avec le Tanit d’or du meilleur documentaire, Fix Me de Raed Andoni est le film de la semaine. Utilisant un sujet aussi ludique qu’intrigant, Andoni interroge la puissance des mots et en profite pour se positionner dans son art. Un véritable cinéaste universel !

D’abord une migraine. Caractérisée par un trop-plein d’émotions cutanées, elle se disperse dans un corps sévèrement buriné, rejetant inlassablement ce handicap malsain. La victime ? Un artiste ayant épousé le cinéma il y a quelques années et qui répond « Raed Andoni » quand on lui demande son nom. Palestinien, doté d’un humour terriblement ironique donc universel (« J’aime les gens et je les respecte mais de loin« ) et porté par des doutes aussi complexes qu’intrigants, les dites migraines lui prennent tellement la tête que la concentration requise pour son travail est tout bonnement impossible. Après avoir consulté son médecin, celui-ci lui diagnostique une « migraine de tension nerveuse » et l’oriente vers une thérapie. Andoni profite donc de ce canevas divin pour se peaufiner un projet cinématographique et prévient d’emblée son psy : « Faire un film pourrait faire partie de la thérapie« . Fix me peut donc commencer.
Plusieurs indices émaillent cet essai, plusieurs phrases viennent ponctuer une réflexion en mouvement, la force d’Andoni étant de transformer une idée toute simple, voire incongrue, en véritables questionnements autour du cinéma. Fix Me est un film sur l’utilisation excessive de Paracétamols ? Oui, mais encore…Un film sur la situation palestinienne ? Oui, mais encore…Un énième film sur l’absurdité d’une administration qui désacralise tout ce qu’elle touche ? Peut-être mais Andoni met un point d’honneur à refuser qu’on l’inscrive dans des cases formatées, à rejeter les raccourcis saugrenus (migraine = problème Israël/Palestine) et reste finalement des heures à observer les mouches, à jouer aux cartes, à consulter son répondeur vide de messages, à s’éterniser autour de check-points, tout en essayant de taper quelques lettres sur son clavier d’ordinateur. Alors pour mieux cerner son moi affectif, Andoni va se déplacer vers ceux qu’ils côtoient quotidiennement (la famille) et surtout ceux qui furent ses compagnons d’armes vingt ans auparavant. A cet instant précis, Fix Me prend un virage intéressant.
Andoni a une façon bien à lui de matérialiser son sujet tout en restant dans la subtilité. La parole, pour ne citer que cet exemple, devient le vecteur primordial d’un film qui questionne les mots et les relie à des périodes historiques inclassables. Lorsqu’Andoni converse avec son neveu sur le militantisme, il est surpris de l’entendre conclure avec l’adverbe « peut-être » et le lui fait savoir. En cela, la clé de l’énigme d’un documentaire qui se présente comme une fiction réside essentiellement dans la puissance du mot, ce terme qui peut faire basculer une situation simpliste vers un courant totalitaire.
Par le biais de cette même étude sur la parole, Andoni finit par destituer toute action démonstrative, donnant au film un aspect aussi puissant que radical. Il faut voir et écouter les diverses réactions de son entourage, dont sa mère étonnée de voir une telle ampleur pour un sujet qui n’en a pas forcément : « Ça parle de quoi à part ta migraine ?…En vrai, tu travailles sur quoi ? ». Ou bien sa sœur qui réfléchit sur un éventuel parallèle, ce sur quoi Andoni classe l’affaire en vociférant : « Pourquoi faut-il toujours avoir les réponses, et pas de questions ?« .
Ainsi, l’auteur installe ce dispositif scénaristique qui lui permet de se libérer assez rapidement des sempiternels atermoiements à la situation politique de son pays. Préférant glisser vers un je-ne-sais-quoi d’instinctif, Andoni avance progressivement dans cette quête identitaire où seront entremêlées des interrogations autour du deuil, de la torture et surtout de la mémoire effacée. Ne plus faire corps avec certains mots plonge Andoni dans un oubli volontaire d’une période sombre et désespérée. Le bât peut certes blesser mais en quelques plans, quelques regards, Andoni réussit à démontrer que cette « migraine » reste universelle car chaque société engendre un illogisme aberrant !
Entre humour décalé et nostalgie d’un temps lointain, Andoni saupoudre son film de fulgurances cinématographiques qui en font un réalisateur passionnant. L’une d’entre elles confirme toute l’étendue du talent d’Andoni : lorsque le thérapeute l’interroge sur l’intensité et la violence de leur relation, l’auteur reste silencieux durant un laps de temps puis conclut : « Mais de l’intensité peut aussi naître la beauté« .

///Article N° : 9814

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