Plot for Peace, de Mandy Jacobson et Carlos Agulló

Qui fait l'Histoire ?

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En sortie sur les écrans français le 20 novembre 2013, « Complot pour la paix » est un film étrange qui soulève davantage de questions qu’il n’en résout. Surtout, il accrédite une vision élitiste de l’Histoire.

Un homme d’affaires français aurait convaincu l’Angola et le Mozambique marxistes d’une part et l’Afrique du Sud et son auxiliaire, l’Unita de Jonas Savimbi, de procéder au grand échange de prisonniers de septembre 1987 sur le tarmac de l’aéroport de Maputo et préparé les accords de paix de Brazzaville de décembre 1988, résolvant ainsi le principal obstacle à la libération de Mandela que la chute du mur de Berlin allait faciliter, rendant le régime de l’apartheid intenable. Voici donc un personnage inconnu qui sort de l’ombre, présenté comme un entrepreneur de paix plutôt que comme un émissaire, et dont le rôle est tellement mis en exergue qu’on a l’impression que sans lui rien ne serait arrivé.
Ainsi donc le sort de l’Afrique du Sud aurait tenu à la bonne volonté d’un Français. On peine à croire que ce personnage, qu’on dirait tout droit sorti d’un roman de John Le Carré, ne soit qu’un négociant international en céréales puis en pétrole et non un trafiquant d’armes ou une émanation des services secrets ou autre officine d’Etat, mais Plot for Peace s’emploie à nous convaincre qu’il était traumatisé par ses années algériennes et ainsi épris de paix… Nous convaincre car rien de ce qui est affirmé dans ce film n’est mis en doute. Selon un montage efficace à l’américaine, associant une lourde musique à des affirmations renforcées par des fragments d’interviews de personnalités, Plot for Peace fait de l’Histoire un scoop : une histoire déterminante mais jusque-là restée secrète et que ce film fait mine de révéler. Par la simple entremise d’un médiateur habile à rétablir la confiance et rapprocher les points de vue, la négociation aurait triomphé sur la guerre de libération.
Ce film rentre dans une série de documentaires produits par l’African Oral History Archive, un projet financé par la Ichikowitz Family Foundation, elle-même créée par Ivor Ichikowitz qui a fait sa fortune dans les véhicules militaires (Paramount Group). Il n’est dès lors guère étonnant que Plot for Peace distille une vision où, plutôt que les peuples, ce sont des entrepreneurs et dirigeants qui font l’Histoire, et qu’il suffit de mettre en relation les plus vertueux pour arriver à la paix. C’est comme les sons et lumières des grands lieux historiques, qui nous racontent que ce sont les rois, empereurs ou pharaons qui ont construit les monuments que nous visitons, bien loin de la douleur des esclaves des chantiers.
Les témoignages convoqués accréditent la thèse de ce film présenté comme un thriller politique, dont le journaliste controversé Stephen Smith est à la fois auteur et consultant. Suffit-il d’un seul homme pour faire aboutir le changement, comme le proclame la publicité du film ? Il aurait joué un rôle déterminant pour que la constellation de chefs d’Etat, de généraux, de diplomates, de maîtres espions et de combattants anti-apartheid que le film interroge forment la « ligne de front » des pays africains pour venir à bout de l’apartheid. De même que le charisme de Nelson Mandela a joué un rôle déterminant dans la sortie pacifique de ce régime inique, les hommes de pouvoir peuvent bien sûr jouer un rôle clef, secondés par des hommes de l’ombre comme ce mystérieux « Monsieur Jacques », mais ce film ne saurait masquer que les conditions du changement ne sont réunies que par l’énergie des peuples en lutte.

///Article N° : 11888

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