Poisons de Dieu de Mia Couto

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Sidonio Rosa, médecin « Portugais nouveau venu » arrive à Villa Cacimba, bourgade d’Afrique frappée d’une épidémie de méningite. Il y soigne surtout Bortolomeu Sozinho, un vieux mécanicien-marin à quai, reclus dans une chambre obscure avec ses rêves à fond de cale et dont le corps se lézarde, tout comme sa maison. À ses côtés, ou plutôt de l’autre côté de la porte, son épouse Dona Munda, mulâtresse capable par amour de se « putaniser » en mille reflets de femmes…
Qui pénètre dans l’univers de Mia Couto sait mieux que tout autre que les apparences sont trompeuses et que les fils qui tissent les histoires s’entremêlent selon des perspectives diverses. Que se trame-t-il de secrets, de non-dits, de rivalités, d’amour et d’inventions entre l’administrateur suant et puant Sualencia et le vieux mécanicien en rade ? Entre ce dernier et son épouse et même leur fille Déolinda dont Sidonio, au Portugal, fut l’amant ébloui ? Et qui d’ailleurs l’étrange docteur vient-il véritablement soigner ? Les autres ou lui-même ? Chacun lui réclame « le médicament » mais existe-t-il un médicament à la saudade…
Comme souvent chez Mia Couto, l’intrigue dessine de déroutants parcours initiatiques. Sidonio, en bon tuga encore vierge de l’Afrique, le découvre chaque jour, plongeant plus profondément dans une ville et des vies qui tout en s’offrant lui échappent :
À mesure qu’il s’éloigne des recoins qu’il connaît si bien, Sidonio se perd dans des paysages labyrinthiques. Les ruelles se transforment en sentiers tortueux, les gens cessent de parler portugais. Le médecin s’enfonce dans un monde inconnu, en dehors de la géographie, loin de la langue. L’endroit a perdu toute sa géométrie, davantage habité par son sol que par des citoyens. (p. 108).

Il faudrait pouvoir apprendre à déchiffrer les codes mais dans cet univers magico-onirique, le Diable, autant que Dieu, tire les ficelles et chacun y va de son histoire, de sa manipulation, de sa « véritable version des faits ». Qu’importe ?
Rêver est une façon de mentir à la vie, une vengeance contre un destin toujours tardif et rare. (p. 139), alors pourquoi sans priver ? Chacun accommode sa vie à la sauce qui lui convient le mieux.
Voilà bien ce que semblent nous dire les personnages évoluant dans ce monde où les frontières entre morts et vivants, rêves et réalités, mensonges et vérités apparaissent mouvantes, poreuses, creusant les vies au gré du hasard comme les nuages s’éparpillent au vent, comme l’eau creuse la pierre par ruissellement :
Finalement, les hommes sont aussi de lents pays. Et là où l’on pense trouver de la chair et du sang, il y a de la racine et de la pierre. D’autres fois, cependant, les hommes sont des nuages. Il suffit que le vent souffle et ils se défont sans trace. (p. 148).

Mia Couto, biologiste et récemment couronné par le prestigieux prix Camoes, est sans doute de ceux qui le savent le mieux. Chez lui les mots, tout comme les évidences, entament une mue passionnante, se transforment en un clin d’œil pour cependant marquer durablement la langue portugaise et les esprits. Marqué par des dialogues étincelants où la poésie le dispute au bon sens, le texte emporte le lecteur vers des horizons insoupçonnés, là où il veut bien se laisser dériver.

Mia Couto, Poisons de Dieu, remèdes du Diable. Roman traduit du portugais (Mozambique) par Élisabeth Monteiro Rodrigues. Paris : éditions Métailié, 169 p., 17 euros.///Article N° : 11752

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© Métailié 2013





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