Une petite présentation : qui est Abasse Ndione ?
Je suis un père de famille sénégalais, né en 1946 à Bargny. Je suis infirmier d’Etat depuis 1966 et j’ai travaillé pendant 19 ans à l’hôpital Dantec à Dakar. Aujourd’hui, je suis en préretraite et je me consacre à mes petits-enfants et à l’écriture. J’ai toujours écrit, depuis mes années de lycée.
Comment avez-vous choisi la forme du polar – ou du roman noir, si vous préférez le terme ?
Je ne pense pas vraiment écrire des polars. Certains qualifient mes livres de romans noirs. Mais je ne sais pas trop comment définir l’un ou l’autre. D’ailleurs, au festival « Polars à Dakar », organisé en février dernier, tous les participants (auteurs, cinéastes) avaient donné une définition différente du genre.
Et quelle était votre définition ?
« Un roman dont l’action prend le pas sur la déduction dans un monde dominé par la violence des rapports sociaux. » C’est une citation dont je ne retiens pas l’auteur. Mais quand j’écris, je pense juste à écrire un livre, un bon livre. Je peux l’écrire autant de fois que nécessaire. Tant que je ne suis pas satisfait d’une phrase, je la réécrit. L’écriture est un don de Dieu et je me dois de respecter le lecteur pour ne pas lui balancer n’importe quoi.
Comment La vie en spirale est-il arrivé dans la Série noire de Gallimard ?
J’ai eu la surprise, un jour en 1996, de recevoir un message des Editions Gallimard, alors que je venais de déposer le manuscrit de Ramata aux Nouvelles éditions africaines. En fait, deux personnes, Didier Daenincx et Lucio Mad, avaient découvert mon livre et en avaient parlé en France, sans que je sois au courant. C’est ainsi que le livre a été repris dans la célèbre Série Noire de Gallimard, en un seul tome comme cela avait d’ailleurs été mon souhait dès le départ. Il y a eu peu de modifications. J’ai simplement réduit les africanismes du texte, pour éviter les notes en bas de page. Mais j’ai voulu garder le vocabulaire du milieu, sipikat pour dealer etc.
Quel genre d’échos avez-vous eu pour La vie en spirale?
Le livre a fait beaucoup de bruit au Sénégal parce qu’on y parle de l’univers de l’herbe de façon ouverte, et qu’on la trouve dans toutes les sphères de la société. L’éditeur a tardé à publier le livre, en demandant des changements que je n’ai pas voulu apporter. Il a fini par être publié en deux tomes, le premier en 1984 et le deuxième en 1988. Aujourd’hui, il est dans les programmes scolaires et universitaires.
Cela s’est mieux passé avec Ramata ?
Je venais de déposer le manuscrit aux NEA quand j’ai été contacté par Gallimard. Les NEA ont fini par refuser le manuscrit en me disant qu’il y avait trop de sexe et de violence. Alors qu’il y a moins de sexe que dans La vie en spirale ! Quant à la violence, l’action se déroule sur quarante ans, et en quarante ans, beaucoup de gens ont le temps de mourir
L’éditeur sénégalais n’a pas non plus aimé que le ministre d’Etat n’arrête pas de siffler de la vodka
Il m’a demandé de changer son statut, d’en faire un haut fonctionnaire par exemple, ce que j’ai refusé. Alors j’ai fait lire le texte à d’autres personnes qui m’ont conseillé de le proposer à Gallimard.
D’autres livres ont-ils parus entre La vie en spirale et Ramata ?
Il n’y a pas eu de publications mais je n’ai pas arrêté d’écrire. J’ai aussi écrit des ouvrages dans ma langue maternelle, le wolof. Ces ouvrages devraient d’ailleurs être bientôt publiés. L’écriture de Ramata a duré neuf ans, de 1991 à 2000, mais pas de manière continue. J’écris une version pendant deux mois, je l’oublie et au bout d’un certain temps, quinze jours ou un mois, je reprends le cahier et je corrige. Je me suis retrouvé avec sept versions de Ramata !
Dans Ramata, la vie finit par régler son compte à tout le monde. D’où vient cette philosophie du fatalisme ?
Je n’appellerais pas cela du fatalisme. En quarante ans, beaucoup de choses ont le temps de se passer. Surtout en Afrique où l’espérance de vie est assez courte ! C’est peut-être le hasard
ou Dieu qui vous regarde
Dans une version précédente, un des personnages, le docteur Gomis, s’en sortait. Mon neveu qui est mon lecteur assidu depuis des années me l’a fait remarquer. Je lui ai répondu que je voulais garder un témoin
Puis j’y ai longuement réfléchi et j’ai fini par changer la fin.
Mais il y a un témoin, Gobi, qui raconte l’histoire. Lui s’en sort mais on ne sait pas d’où il tient cette histoire.
Il s’en sort, mais ne fait jamais partie de l’histoire. On ne sait pas comment il connaît tous les détails, mais il n’apparaît en aucun moment comme partie prenante dans l’histoire qu’il raconte.
Vous décrivez des événements politiques précis et récents dans Ramata. Pourquoi ce choix ?
Les élections présidentielles avaient lieu à l’époque où je finissais de corriger la dernière version. J’écris à la main, dans des cahiers d’écoliers. J’ai reçu les épreuves dactylographiées de Gallimard au moment des élections et ça s’est inclu naturellement dans le livre. Tout le monde, autant les observateurs étrangers que les Sénégalais eux-mêmes craignaient que ces élections finissent dans la violence. Mais le deuxième tour a bel et bien été organisé, dans le respect des règles, et Abdou Diouf a eu le courage de reconnaître sa défaite. Je pense que cette expérience a appris le « pouvoir de la carte » aux Sénégalais. Ils savent maintenant qu’en votant ils peuvent faire partir quelqu’un dont ils ne sont plus satisfaits.
On pourrait penser que la ville africaine, avec son lot de criminalité, de magouilles politiques et autres, est un cadre idéal pour un roman noir.
Effectivement, il y a beaucoup de choses qui se passent dans une ville comme Dakar. Il suffit de lire les faits divers dans les journaux. Ce n’est pas l’action qui manque ! Il y a beaucoup de jeunes qui ont fait des études mais qui se retrouvent sans travail, d’autres qui ont grandi dans la rue. Ils agressent les gens en plein jour pour un rien. Il y a des quartiers à Dakar où je ne m’aventurerais pas. Mais je compte bien exploiter cette brèche dans l’écriture !
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