Premières rencontres chorégraphiques métisses d’expression noire

Entretien d'Ayoko Mensah avec Norma Claire

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Du 18 au 28 mai, la Cartoucherie de Vincennes, aux portes de Paris, accueille les premières Rencontres chorégraphiques métisses d’expression noire. Au programme, les spectacles de douze compagnies créoles, un concours chorégraphique, une expo photo et un bal créole. Dans le cadre des Rencontres, Norma Claire présente sa nouvelle création : « Juste un Zeste d’amour ».

Pourquoi initier un tel festival ?
J’ai en tête l’idée de ces Rencontres depuis plusieurs années. La danse noire et créole bouillonne actuellement, mais trouve relativement peu de scènes en France où se produire. Peu de gens encore s’y intéressent. Avec ce festival, je veux la mettre en valeur, pour que les programmateurs et les partenaires culturels notamment se rendent compte de sa créativité. Il n’y a pas que le « doudouisme » (la danse folklorique) dans les Dom (1).
Beaucoup de jeunes compagnies sont programmées. Ont-elles des points communs dans leurs recherches chorégraphiques ?
On ne peut pas parler de point commun mais je sens chez elles l’émergence d’un nouveau langage : un discours métis, qui peut être très différent, mais qui a une racine commune : l’Afrique, même lointaine. Fred Bédongué, qui mêle hip-hop et capoeira, Max Diakok ou Chantal Loïal, dans un style plus afro-créole, tous puisent à leur manière dans cette référence. C’est pourquoi je préfère parler de « danse métisse d’expression noire » plutôt que de danse africaine, expression que je trouve trop limitative.
Vous organisez dans le cadre du festival un concours chorégraphique. Quel sens donnez-vous à cette compétition ?
La danse métisse d’expression noire est en pleine évolution. En partie, il faut bien le dire, à cause du concours chorégraphique d’Afrique en Créations (2) qui a permis d’élever le niveau de la danse africaine. En tant que chorégraphe, je n’ai pas les moyens financiers d’Afrique en Créations, mais j’ai envie de soutenir à ma façon cette évolution. Notre concours n’offre pas d’argent mais des formations. Les compagnies lauréates gagnent un an, six mois, trois mois de formation dans l’une des structures des membres du jury. Celui-ci est composé d’une dizaine de personnalités de la danse noire : Germaine Acogny, Koffi Kôkô, Odile Wanouké, Flora Théfaine, Georges Momboye, Doudou N’Diaye Rose…
Le concours chorégraphique a pour thème « L’amour, pourquoi pas ? ». Pourquoi cette thématique ?
Ma nouvelle création prend pour thème l’amour. J’ai eu envie de le proposer aussi aux jeunes danseurs, de découvrir ce que ce thème représente pour eux. Pour moi, l’an 2000 correspond à une nouvelle étape : il me semble important de parler de plus en plus d’amour.
Parlez-nous de votre prochaine création, « Juste un zeste d’amour »…
C’est une pièce pour cinq danseurs et deux musiciens africains et antillais. Pour la musique, j’ai préféré la mélodie aux percussions. J’ai fait appel à un flûtiste martiniquais et à un guitariste guinéen qui joue des mélodies malinké. Je suis partie de ce que l’amour représente pour nous dans la créolité, à travers trois formes : la femme mère, le couple et au travers de sa propre histoire avec soi. « Juste un zeste d’amour » aborde aussi le thème de la dissonance amoureuse. Dans la créolité, l’amour est lié à la souffrance des origines, à l’esclavage. Nous avons gardé une grande pudeur dans nos relations amoureuses. La pudeur est un sentiment qui m’intéresse. J’ai cherché à l’explorer, à découvrir ce qui se cache derrière.
Comment avez-vous transcrit cette pudeur dans votre danse ?
Cela passe par différents mouvements. Ce peut être la sensualité, mais une sensualité plus effleurée qu’affirmée, la délicatesse des gestes. Ce qui m’a intéressée, c’est de repartir de mouvements essentiels. Il y a un mouvement très important dans la chorégraphie de « Juste un zeste d’amour » : c’est un mouvement spiralé, qui part du centre du corps. L’amplitude, l’harmonie corporelle de ce mouvement parlent d’amour. L’impulsion part du bassin. En ouvrant cette partie du corps, j’accepte de donner, notion fondamentale dans l’amour. La spirale ouvre sur le mouvement de l’univers. On touche par là à l’infini. Tout comme une pensée sur l’amour doit nous réconcilier avec l’infini. J’ai conçu ma chorégraphie comme un passage, un message qui ouvre vers cet infini. Et c’est dans ce mouvement spiralé que j’ai cherché l’histoire de « Juste un zeste d’amour ».
Votre précédente création « Vies d’Ebène » s’attachait au thème de l’esclavage. La chorégraphie y était par moments très violente. Retrouve-t-on de la violence dans « Juste un zeste d’amour » ?
Pour moi, créole, « Vies d’ébène » a été une recherche chorégraphique très forte. J’ai plongé dans l’extrême souffrance de l’esclavage à laquelle est rattachée la naissance d’un peuple. Je me suis nourri de cette souffrance pour évoluer. « Juste un zeste d’amour » témoigne de ce cheminement. Je me suis plus intéressée à la force unificatrice de l’amour qu’à sa violence. J’aborde la dimension de la souffrance dans ma chorégraphie mais mon propos reste centré autour de la force de l’amour. On manque aujourd’hui, dans le monde en général, de propositions qui nous ouvrent à cette force unificatrice.
Vous cherchez à délivrer un message ?
Un message, je ne sais pas, mais j’ai cherché à donner de l’amour en restant au plus proche de moi-même, le plus sincère avec moi-même. Transmettre de la chaleur, de l’intimité, de l’amour profond pour les êtres. Pour cela, nous, danseurs, avons dû retrouver cette densité amoureuse avec nous-mêmes, à l’intérieur du mouvement, de la chorégraphie. Chercher, dans le mouvement le plus profond, cette force, cette flamme d’amour au fond de soi. Durant la phase de création, je disais aux danseurs de faire grandir cette flamme en eux, de s’en nourrir pour devenir eux-mêmes une source d’amour, d’énergie. C’est elle qui nous guide dans la vie. Si on observe bien, on est tous à la recherche de l’amour.
Que vous a apporté cette recherche chorégraphique ?
J’ai travaillé directement avec la sensibilité des danseurs. J’ai dû faire tomber les protections intimes de chacun, creuser jusque là. Le sentiment amoureux est aussi difficile à danser qu’à vivre. 

(1) Départements d’Outre-mer.
(2) Association de soutien culturel émanant du ministère des Affaires étrangères français, désormais rattachée à l’AFAA.
Norma Claire, chorégraphe et danseuse franco-guyanaise est organisatrice du festival
Premières rencontres chorégraphiques métisses d’expression noire
Norma Claire en 6 dates
– 1955 : Naissance en France de parents guyanais
– 1992 : Norma Claire crée sa compagnie après avoir dansé dans des ballets antillais et africains
– 1993 : Terre de femme
– 1994 : Moving ou la passion selon Mandela
– 1996 : Afrique Djigui ou l’espoir pour l’Afrique
– 1998 : Vies d’Ebène
– Mai 2000 : Juste un zeste d’amour///Article N° : 1405

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© Jean Gors Abadie
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