Pytshens Kambilo sur les marches du succès

Entretien d'Érika Nimis avec Pytshens Kambilo

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Après avoir accompagné pendant des années les grands noms de la musique congolaise, Pytshens Kambilo offre désormais une musique propre à lui, nourrie à la fois de ses origines et de ses rencontres, et animée par un esprit de nouveauté et de recherche permanente. L’air de rien, Pytshens Kambilo, artiste prolifique, gravit discrètement mais sûrement les marches du succès. Son premier CD 15 titres sort en juillet 2009. En avant-goût, sa chanson « Ndoa » mise en image dans un très beau vidéo-clip accroche dès la première note. De passage à Montréal une dizaine de jours début avril, nous l’avons croisé à la veille de son départ, la tête pleine de sons et de rencontres, et déjà l’envie de revenir sur le continent américain qui semble l’avoir inspiré puisqu’il confie avoir composé cinq nouvelles chansons depuis son arrivée à Montréal !

Quel bilan tirez-vous de ce premier séjour à Montréal ? Quels sont vos futurs projets sur le continent américain ?
Déjà revenir ! Pour ce premier passage, j’ai joué dans un milieu fermé et j’ai pu rencontrer quelques musiciens d’un peu partout : un Américain, un Mexicain et un bassiste montréalais. On est allé enregistrer ensemble. Une soirée, on s’est croisé et ils ont réservé le studio. On est entré en studio pour enregistrer pendant une heure. Rien n’était prévu, cela s’est fait spontanément. J’ai chanté, j’ai joué, c’était nickel. Je repars à Paris avec ces données et l’idéal serait de rester en contact, d’autant plus qu’il y a plein de festivals à Montréal. J’aimerais aussi venir avec mon groupe, pour que la scène de Montréal me découvre.
Souhaiteriez-vous par exemple revenir pour le festival Nuits d’Afrique ?
J’ai pris des contacts, mais je ne suis pas resté assez longtemps pour rencontrer des personnes, mais les gens ont pris mes dossiers. J’espère retenir l’attention, même si les programmations sont déjà bouclées pour les festivals de cet été. Donc j’espère que pour l’édition suivante, celle de 2010… Ça me ferait plaisir de revenir jouer en plein air, lorsqu’il fera beau à Montréal !
Comment êtes-vous devenu musicien professionnel ?
Dans ma famille, il n’y a pas beaucoup de musiciens. J’ai commencé la musique l’année où je suis parti à l’internat à Kinshasa. J’ai commencé par faire de la batterie et très vite, j’ai joué dans un groupe à l’église comme tout bon musicien qui commence. À l’église, on manquait de guitariste et je me suis dit que tant qu’il n’y aurait pas de guitariste, je ne pourrais pas jouer de la batterie. J’ai donc proposé au chef du groupe d’acheter une guitare que je garde jusqu’à aujourd’hui. Et j’ai demandé à ce qu’on m’apprenne à jouer de la guitare. C’étaient les débuts… À ce moment-là, j’étais encore étudiant en architecture, à l’IBTP (Institut du Bâtiment et Travaux Publics), nous étions en 1994, mais comme les études coûtaient un peu cher, j’ai dû arrêter. La musique m’attirait déjà beaucoup, donc j’ai décidé d’en faire.
Pourriez-vous retracer votre parcours depuis Kinshasa en quelques moments clés ?
1994 a été l’année où je me suis décidé à faire de la musique. Depuis que je joue de la guitare, j’ai accompagné beaucoup de groupes à Kinshasa, notamment Eden Musica. Après ça, je suis passé à l’autre musique. À Kinshasa, c’est la musique populaire qui a le plus de succès. Et nous, nous voulions faire autre chose. C’est à ce moment que j’ai commencé à jouer avec Jean Goubald. C’est par le canal d’un autre artiste qui a du succès au Congo et qui est un artiste que je respecte beaucoup, que le public a commencé à me connaître. Bebson de la Rue fait du ragga folk, c’est avec lui que j’ai commencé, en faisant ma première vraie tournée avec le groupe qui accompagnait la pièce de théâtre « Roberto Zucco » (de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Philip Boulay, avec des acteurs congolais) en 2005-2006, à Kinshasa, en Afrique de l’Ouest, puis en Europe.
À cette époque-là, étiez-vous seulement guitariste ?
Oui, je ne chantais pas, même si je faisais souvent les chœurs… C’est seulement depuis 2004 que je me suis mis à chanter. Avant, je ne voulais pas.
Est-ce à partir de 2004 que vous êtes devenu le Pytshens Kambilo que nous connaissons aujourd’hui ?
Au Congo, mon cas est un peu particulier. J’étais dans un groupe, mais je jouais également dans d’autres groupes. Parce qu’au Congo, quand tu fais partie d’un groupe, tu n’es pas censé jouer avec les autres, mais moi j’étais indépendant. Déjà à l’époque, j’accompagnais plusieurs musiciens. Et puis, un jour, un ami m’a dit qu’il aimerait m’entendre interpréter ce que je composais moi-même. Je ne voulais pas, je n’aimais pas ma voix. Mais avec un ami, Michel Ngongo, pianiste et professeur à l’Institut National des Arts de Kinshasa, on a enregistré une chanson en studio qu’il aimait bien. C’est le deuxième titre dans mon premier CD [Kobanga Te], « Fania Mbiyo », qui veut dire « Fais vite » en swahili. C’est à ce moment-là, poussé par certaines personnes, que j’ai réellement commencé à chanter. Je ne peux pas dire que j’ai fait l’académie du chant, mais je prends ma guitare et je chante naturellement. Les gens disent que j’ai une belle voix, que je chante bien, même si je sais que je dois prendre des cours.
La scène kinoise vous a t-elle beaucoup inspiré dans votre évolution artistique ?
J’ai joué dans les classes de Jean Goubald, des classes structurées avec les harmonies de l’école. Bebson de la Rue qui accorde des instruments – qu’il fabrique – à l’oreille, m’a également beaucoup apporté dans sa manière de transmettre les choses naturellement. J’ai pris tout ça et j’ai voyagé. Je cherche désormais à faire du Pytshens. Pour cela, j’ai développé une méthode de guitare un peu différente. Ça ne donne pas vraiment un son de guitare, donc je continue à travailler en espérant pouvoir dire un jour que je fais du Pytshens. Pour l’instant, c’est un mélange, c’est un travail de recherche, je cherche, je cherche.
Qu’est-ce qui est plus important pour vous, le travail de composition ou la scène ?
Les deux sont indispensables. J’ai cette chance de composer facilement. Même quand les musiciens sont là pour répéter, je compose tout le temps. Ce qui est bien, c’est aussi de présenter son travail de temps en temps devant le public, pour voir ce que ça donne. C’est le public qui va te permettre de voir comment la chanson est appréciée, comment la chanson bouge. C’est aussi le rêve d’un dieu. Tu avais une chanson dans la tête, tu es arrivé à la composer et maintenant, tu la joues devant le public. Cette chanson peut être en lingala, le public ne comprend pas le lingala et pourtant, il aime entendre la mélodie, il aime entendre la chanson. Parfois, quand on part jouer, on te dit qu’on n’a pas de budget. Mais le fait de venir et d’avoir l’écoute du public, par rapport aux chansons, par rapport à la musique, ça fait vraiment plaisir. Je préfère à l’argent ce plaisir de partager. Quand tu vis ce plaisir-là, tu oublies que tu n’es pas payé et c’est seulement après que tu reviens à la réalité, quand tu rentres chez toi et que tu n’as que des conserves à manger !
Où êtes-vous installé présentement ?
Je suis partout parce que je suis musicien. Je vais là où le devoir m’appelle. Mais je suis plus entre Paris et Kinshasa.
Pourquoi avez-vous choisi Paris ?
La plupart des artistes avec lesquels j’ai travaillé à Kinshasa naviguent entre le Centre Culturel Français (CCF) et le Centre Wallonie-Bruxelles. Ceux qui font la musique dite « autre musique » sont plus considérés au CCF, à part les structures locales comme Les Eza possibles ou Prodaculture et l’Espace Mutombo Butshi… À Kinshasa, c’est difficile d’être reconnu par rapport à ton travail, si tu ne fais pas de la musique dite populaire.
Vous collaborez avec des musiciens européens, avec une artiste notamment…
Oui, j’ai monté un duo, il n’y a même pas quatre mois, avec Gaëlle Cotte, une artiste que je respecte beaucoup et qui chante très bien. C’était une amie d’amie que je croisais dans les soirées. On s’est dit qu’on pourrait travailler ensemble. Alors, on s’est présenté à un concours en France qui s’appelle « Vive les interprètes », organisé par la salle des Trois Baudets qui vient d’ouvrir à Paris. On a été retenu, du coup, on continue l’aventure. Et ça s’appelle Gaetshen’s, Ga- pour Ga-elle et -tshens pour Py-tshens. Le 20 avril, on a joué pour ce projet aux Trois Baudets. On a fait deux reprises, une de Maxime le Forestier et l’autre d’Alain Souchon et on a composé une chanson à deux. J’ai plusieurs choses comme ça. Je travaille également avec un ami libanais qui fait de l’électro.
Votre chanson « Ndoa » qui vous a fait connaître avec son superbe vidéo-clip est dans une langue que vous avez inventée. C’est bien ça ?
Oui, c’est bien ça. Ce n’est pas une langue qui se parle en RDC. Je suis musicien. Je fais des choses qui me passent par la tête. Je ne chante pas seulement en ndoa, parce que la langue que je chante, je l’appelle le ndoa. Je chante en lingala, en swahili… et je glisse parfois des phrases en français dans mes chansons. Pourquoi les plasticiens auraient-ils le droit de faire des mélanges de différentes couleurs sur leurs toiles que chacun puisse interpréter à sa manière ? Et pourquoi nous les musiciens, si je prends la musique comme un art plastique, ne pourrions-nous pas inventer un langage qui sonne par rapport au mot… Dans d’autres pays, certains mots que j’utilise veulent dire quelque chose. Par exemple, des mots comme koniami (mon cheval en langue ndoa), en Bulgarie, ça signifie aussi « mon cheval » !
Avec ces collages sonores faits de plusieurs mots en plusieurs langues, est-ce que vos chansons restent compréhensibles ?
Mes paroles restent compréhensibles par rapport à l’émotion que je transmets. Lorsque je chante « Ndoa », je sais ce que je cherche à exprimer. Je sais expliquer à quelqu’un ce que je veux dire, mais je veux laisser chacun sentir la chanson comme il le veut. Au Congo, les chansons en anglais ont du succès, on ne comprend pas l’anglais, mais pourtant ça nous touche. Lorsqu’on mélange deux langues dans une chanson, parfois, ça peut aider à sa compréhension, mais ça peut parfois mettre des barrières. Avec « Ndoa », je laisse la personne libre d’interpréter…
Est-ce particulier à « Ndoa » ou à tout votre répertoire ?
Sur quinze titres, j’en ai enregistré cinq ou six dans cette langue dans les couplets. Alors que le refrain dit quelque chose de très précis, en lingala, en français, en swahili…
Vos chansons véhiculent-elles des messages particuliers ?
Dans « Ndoa », j’invite à croire en soi, à persévérer, il faut rêver, mais pas trop, parce que, dans le rêve, surviennent des changements que l’on pense bons, mais qui en réalité détruisent l’homme… Dans le clip : je représente à la fois un personnage bien habillé et un autre qui ressemble plus à un pauvre, assis sur un parpaing, qui gratte sa guitare. Celui-là rêve de devenir celui qui est bien habillé. Mais à la fin, je dis que j’aurais préféré rester comme j’étais avant, bref, évoluer tout en restant soi-même.
Prenez-vous position ou vous impliquez-vous politiquement dans vos chansons?
Je m’implique. Dans « Mauvais dirigeant » ou dans « Fou du roi » que je chante à chaque concert, je parle de nos politiciens qui ne sont même pas capables de gérer un petit café. La gestion même de quatre bouteilles de bière leur pose problème et ils gèrent maintenant le pays, sans aucune base. Si seulement les artistes renommés chez nous pouvaient parler davantage de ces faits-là !
Voulez-vous dire que les artistes en RDC ne s’impliquent pas suffisamment…
Je vois qu’il y a la guerre à l’Est, des gens qui meurent chaque jour, et dans nos chansons, on ne fait que parler de bière, de parties de corps féminin… Ce n’est pas avoir le respect de son prochain. Je suis en Afrique. Moi, ça me dérange. Dans certaines chansons, j’ai envie de faire passer des messages pour que les choses bougent. Même si c’est tabou et qu’on n’en parle pas, il faut quand même prendre le risque. Ma génération doit s’impliquer davantage parce que le pays est en train de mourir. Il faut qu’on pense d’abord à aider les autres, pour qu’il y ait l’égalité. Maintenant que je chante, je pense qu’il faut parler de choses qui font mal, pour qu’après ça fasse du bien.

Montréal, avril 2009///Article N° : 8631

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Les images de l'article
Pytshens Kambilo © Érika Nimis, Montréal, avril 2009
Pytshens Kambilo © Érika Nimis, Montréal, avril 2009
Pytshens Kambilo © Érika Nimis, Montréal, avril 2009





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