Quand Madagascar s’anime…

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Chaque année depuis leur création en 2006, les Rencontres du Film Court de Madagascar (RFC) récompensent un film d’animation. Dans ce pays, où le cinéma renaît après des années de léthargie, ces techniques suscitent un engouement croissant.

Antananarivo, avril 2006. Jiva Eric Razafindralambo fait sensation en remportant à l’unanimité le premier prix avec Le jour se lève… puis se couche lors de l’édition initiale des Rencontres du Film Court. Ce festival, entièrement dédié au court métrage, est à ce jour la seule manifestation cinématographique pérenne à Madagascar. Initiées par Laza, lui-même réalisateur, les RFC n’ont pas seulement revivifié un cinéma national moribond, elles ont aussi provoqué un électrochoc dans le milieu des graphistes et des dessinateurs malgaches, qui jusque-là se contentaient de composer des séquences d’effets spéciaux pour des émissions de télévision du pays. Ce festival leur donne alors la possibilité de s’exprimer autrement et de montrer l’ampleur de leur talent. À l’image de Jiva Eric Razafindralambo qui, cette année-là, offrît au public huit minutes trente de poésie en relatant l’histoire ordinaire d’un paysan malgache labourant sa rizière avec son zébu. Dans un mirage né de sa fatigue et de sa faim, il se prend à rêver d’une cité d’or s’élevant au-dessus de lui. Avec ce dessin animé tout en simplicité, Jiva Eric Razafindralambo ouvrit la voie à une nouvelle génération de techniciens de l’image, leur montrant qu’il est possible de réaliser un film d’animation sans budget et sans autre formation que celle glanée sur les forums Internet. Depuis, pas une édition ne se passe sans qu’un court métrage animé ne soit récompensé aux RFC. Si quelques productions avaient vu le jour auparavant, comme Ben Laden Virus de Mandza (2001), leur nombre a largement augmenté depuis 2006 avec plus d’une vingtaine de films d’animation entièrement réalisés à Madagascar. Le dernier en date est même un long métrage de 96 minutes, Andavabiby de Thierry Andrianasolo, coproduit, et cela n’est bien sûr pas une coïncidence, par Rozifilms, la maison de production de Laza, le directeur des RFC. Cependant, si ce festival est un terreau fertile pour les réalisateurs de films d’animation, les techniques qu’ils utilisent sont, elles, très variées. Ainsi, Jiva Eric Razafindralambo affectionne le dessin tandis que Laza donne vie aux objets et que Thierry Andrianasolo fait des incrustations en 3D. Certes, à Madagascar, on est encore bien loin des studios Dreamworks ou Pixar et les réalisateurs de films d’animation doivent bien souvent endosser plusieurs casquettes. Ainsi, la palme de la polyvalence revient sans doute à Thierry Andrianasolo qui, pour son dernier film, a non seulement été scénariste-réalisateur-monteur mais aussi figurant dans plusieurs scènes. Toutefois, si l’animation malgache est artisanale et indépendante, elle n’en reste pas moins de qualité. Les films sortent ainsi du pays pour figurer en bonne place dans les sélections des festivals à Durban, Berlin ou La Réunion.
La recette de ces succès vient sans doute aussi de la sincérité et de la justesse de ces œuvres qui ne s’adressent pas aux enfants. D’ailleurs, les personnages animés n’en sont pas, pas plus qu’ils ne soient issus d’un bestiaire fictif. Les héros de ces films ressemblent à ces figures que l’on croise tous les jours dans le pays. Ils sont ce paysan travaillant la terre de sa rizière mais aussi ces hommes politiques corrompus. C’est ce que montre subtilement Laza dans Le marchand de rêves réalisé en 2006. Dans l’introduction de ce court métrage de douze minutes, les objets s’animent pour se réunir devant une télévision. Ils regardent alors un homme changer de l’eau en lait contre de l’argent. Une référence à peine voilée à l’ancien président de la République malgache, Marc Ravalomanana, qui fut également propriétaire de la plus importante laiterie du pays. Laza manipule les objets pour mieux dénoncer les manipulations politiques à l’œuvre dans son pays. Néanmoins, tous les films d’animation ne sont pas aussi engagés. Certains, comme ceux de Thierry Andrianasolo par exemple, misent plutôt sur le sensationnel pour conter des histoires à mi-chemin entre le fantastique et la science-fiction. Dessinateur et bédéiste, ce réalisateur divertit le public en l’emmenant dans un monde mystérieux. Ainsi, dans Andavabiby sorti en 2011, des mercenaires kidnappent une jeune institutrice censée les conduire aux trésors cachés quelque part dans la ville légendaire d’Andrebabe. Pour ce long métrage, une dizaine d’acteurs en chair et en os évoluent dans des décors et parmi des créatures extraordinaires en 3D nés de l’imagination du réalisateur. Le résultat est aussi surprenant que réussi et n’est pas sans rappeler son premier court métrage intitulé Matotoa (2007), présenté aux RFC en 2009.
Petit à petit, les films d’animation se font donc une place dans la cinématographie malgache, grâce aux RFC, qui leur consacrent depuis 2011 une section spéciale de la compétition officielle, mais aussi et peut-être surtout grâce à la pugnacité de leurs auteurs, qui en dépit des contraintes, entendent bien inscrire leurs noms au générique de l’animation mondiale.
Chronologie de quelques films d’animation malgaches
2001
Ben Laden Virus. Mandza, 10min
2002
Dadarabe. Fabrice Maminirina Razafindralambo, 7min46
2005
Sur les murs de la ville. Fabrice Maminirina Razafindralambo, 4min36
Le jour se lève… puis se couche. Jiva Eric Razafindralambo, 8min30
2006
Le marchand de rêves. Laza, 12min
Les âmes du clocher. Jiva Eric Razafindralambo, 10min30
2007
Matotoa. Thierry Andrianasolo, 7min
2008
ILM. Ridha Andriantomanga, 3min
Boay kely. Mamitiana Randrianarisoa, 2min
2009
Sokaky. Sitraka Randriamahaly, 2min45
Ibotity Iza no mahery ? Ranto Rabe Arivelo, 4min34
Au rendez-vous des espèces. Lazawell Andriamiariseta et Khafez Ranirison, 4min46
2010
Varavaran-kely. Sitraka Randriamahaly, 2min55
ATZ ! Aiz’Tsik’Zao ! Vaika Ravaloson, 7min44
Manja Loatra. Andry Rarivonandrasana, 8min
Afropower. Manohiray Randriamananjo, 5min05
2011
Andavabiby. Thierry Andrianasolo, 96min
Hazalambo. Sitraka Randriamahaly, 7min05
La mouche et le petit vieux. Liva Razaka, 3min35
Il n’y en a qu‘un. Tovo Lalaina Andrianiaina, 2min29
Le délire. Rado N. Randrianomearisoa, 5min45
Bocal. Mamy T Randriamahaly, 4min
Masikarena, Linda Volahasiniaina, 7min03
Tanana Faroesta. Lanto Ramilijaonina, 1min40

///Article N° : 10333

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Les images de l'article
Tournage de Matotoa en 2007 © Karine Blanchon





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