Quelles relations entre l’Afrique et les Caraïbes ?

Retour sur le premier forum citoyen d'Afriscope

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Première rencontre du genre organisée le 23 avril 2009 par le mag’ d’Africultures, le magazine gratuit interculturel Afriscope, un forum citoyen sur ce thème a eu lieu à la Villette à Paris dans le cadre de la Saison Créole.

Afin de « construire ensemble une réflexion collective et citoyenne » sur les liens existants entre l’Afrique et les Caraïbes, Ayoko Mensah, rédactrice en chef du magazine parisien Afriscope, a souhaité mettre en place des rencontres mensuelles sur des grands sujets de société. En permettant à des lecteurs d’échanger avec des personnalités, le premier forum citoyen a été l’occasion de donner la parole à ceux qui voulaient bien la prendre : journalistes, enseignants, membres d’association, simples curieux… Malheureusement, si le public afro-antillais et métropolitain était bien présent et en nombre, les intervenants annoncés sous réserve – comme le footballeur Lilian Thuram, les historiens Giulia Bonacci et Elikia M’bokolo ou la politologue Françoise Vergès – n’ont pu honorer l’invitation.
Les personnalités présentes étaient finalement au nombre de deux : le président de la Villette et comédien guadeloupéen Jacques Martial ainsi que le philosophe burkinabè Lazare Ki-Zerbo, fils de l’éminent historien Joseh Ki-Zerbo, et coordinateur d’un recueil sur le panafricanisme (1). Le premier a fait état de son expérience personnelle en tant qu’Antillais ayant vécu au Congo dans les années 1960 mais aussi en tant qu’instigateur de Kréyol Factory, la plus grande manifestation des mondes créoles au sein de la métropole. Le second a préféré centrer son intervention sur une étude historique des relations afro-caribéennes par le biais de deux tandems fraternels majeurs de la Négritude et du panafricanisme : Aimé Césaire (Martinique) / Léopold Sédar Senghor (Sénégal) et Georges Padmore (Trinidad et Tobago) / Kwamé N’Krumah (Ghana).
Si Jacques Martial a appuyé le fait qu’il n’y a pas « une identité noire mais des identités« , et donc, des liens entre les deux communautés, Lazare Ki-Zerbo a plutôt abordé les approches linguistiques liées au Monde Noir : « le panafricanisme est souvent vu comme un mouvement anglophone tandis que la négritude est considérée comme un mouvement francophone« . Et pour cause, si les Antilles sont plus proches – géographiquement – des Etats-Unis, elles se sont rapprochées du mouvement de lutte contre la ségrégation américaine en développant le projet d’être intégrées à la France métropole en tant que telle plutôt que de réclamer la décolonisation comme en Afrique. La volonté de « construire ensemble la France avec une prise en compte des spécificités caribéennes » était née et perdura jusqu’à nos jours, comme lors des dernières grêves qui touchèrent les départements d’Outre-Mer français.
C’est pourtant en zone francophone, à Paris, dans les années trente que les intellectuels afro-antillais se rencontrèrent. Ensemble ils réagirent au communisme, à la guerre en Ethiopie et firent de Paris la capitale du Monde Noir. Pour Jacques Martial, c’est Aimé Césaire qui a fait prendre conscience aux Antillais de l’image dégradante liée à l’esclavage et à la colonisation. Ce fut donc un choc de découvrir qu’il y avait d’autres Noirs, d’autres pensées, d’autres histoires. « J’ai rencontré Aimé Césaire et je me suis senti africain. J’ai pris des cours, cela a été un grand bouleversement. La Négritude a eu un rôle fondateur dans la prise de conscience d’avoir quelque chose de plus que l’Europe » explique le comédien.
Ce quelque chose de plus, Lazare Ki-Zerbo pense le devoir aux Antilles : « l’identité panafricaine est née aux Caraïbes par le biais d’un regard extérieur [à la métropole], supra-national. L’amitié entre Césaire et Senghor a par exemple entraîné la venue de nombreux antillais au Sénégal ».
Dans la salle, les spectateurs s’interrogent sur leurs liens mutuels. Certains Antillais revendiquent leur africanité. D’autres, évoquent le refus de leurs homologues d’accepter le lien douloureux qui les rapproche du continent africain. Pour Frank Salin, rédacteur en chef du site d’informations afrik.com, les Antillais regardent l’Afrique avec dédain. Les Français leur ont appris – principalement à l’école – que les Africains étaient inférieurs parce qu’ils étaient noirs mais aussi parce qu’ils n’étaient pas évangélisés. « Les médias jouent aussi un rôle important dans la mise en avant des catastrophes ayant lieu sur le continent africain. Les Antillais croient que l’Afrique n’est que maladies, guerres et famines. Il y a donc une ignorance et un complexe par rapport à la terre de nos ancêtres« , affirme-t-il.
D’autres personnes avancent la hiérarchie des couleurs et le racisme qui existe aux Antilles. Une personne s’interroge sur le rôle d’Aimé Césaire : « Aurait-il plus fait pour l’africanité que pour la créolité ?« . Un Africain se demande si la France est un pont ou un barrage entre les deux communautés. Mais tous s’accordent que ce sera par l’éducation que les mentalités évolueront.
Si l’Afrique est faite de métissage, les Caraïbes et la France le sont aussi. Et lorsque Jacques Martial témoigne que de sa jeunesse « être français n’était pas suffisant puisqu’on me demandait souvent d’où je venais« , nous réalisons qu’il est fort à propos de débattre des liens entre Afrique et Caraïbes. Pour que ces deux mondes se rapprochent. Pour que ces deux espaces se rencontrent. Pour que ces identités se mélangent. Via des forums citoyens ? Par exemple. Dans la vie de tous les jours ? Ce serait encore mieux.

1. « Le mouvement panafricaniste au XXe siècle », éd. Organisation Internationale de la Francophonie (2007)///Article N° : 8632

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Ayoko Mensah, Jacques Martial et Lazare Ki-Zerbo © Laurent Lafuma
© Laurent Lafuma





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