Quête et identité dans La Face double du rêve.

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Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, la poésie cherche à établir une correspondance entre les choses, les sons, les couleurs et les cultures. Cette tradition littéraire semble atteindre son paroxysme chez Denise Bernhardt, poète française qui, après ses publications avec Duckens Charitable (Duccha), Fred Edson Lafortune, continue sa quête d’une poésie faite de son, d’échange et de dialogue.
C’est toujours dans cette perspective qu’elle publie cette année aux éditions le Vert Galant, en collaboration avec Yves Romel Toussaint (Haïti), La Face double du rêve.
Cette plaquette composée d’une cinquantaine de poèmes se veut une correspondance entre un Haïtien, traversé par une panoplie de mythes et de souffrances et une Française qui parle du goût de la mer, des zombis, des timamoun charriant la condition poétique haïtienne et son imaginaire.
La Face double du rêve est une quête d’une identité commune, d’un désir de parler dans un langage muet. Pour Yves Romel Toussaint « c’est l’histoire de deux nations aussi se laissent traverser par un dialogue amoureux ». Mais c’est également une plainte à double visage.
Le style des deux poètes se diffère par la structure des poèmes, le choix des mots et le sens donné au dialogue. Yves Romel a toujours quelque chose à raconter, par tâtonnement. Le poème s’apparente chez lui au récit, mais un récit qui raconte l’indicible souffrance de l’îlien face à la mer parlant à « point d’île » :
« Je suis venu crier/mon mal-être »
Tandis que chez Denise se crée le désir d’un dialogue qui se trouve dans toute son œuvre. Il y a toujours la présence de l’autre, l’emploi de la troisième personne. Et cet autre est décrit et peint avec amour, douceur et caresse.
Si chez Yves Romel les images sont violentes, parfois choquantes, affirmant « chez moi le sang est gratuit » ; chez Denise, le choix des mots est fait avec minutie. La poésie de Denise est une parole fluide, une réinvention de l’amour passionné, une poétique de la compassion face à l’immensité du vide haïtien :
« Depuis je me suis faite
Gardienne de tes nuits
Pour que les mots ne viennent plus
Marabouter tes songes »
(…)
« Pourtant j’étais venue
D’une terre étrangère
Mémoire de vos souffrances »
Dans La Face double du rêve Denise Bernhardt ne parle point de la France, de Paris et de la neige. Sa poésie porte l’empreinte d’une culture partagée et c’est peut-être l’autre face du recueil qui retrace le discours d’une Française sur le rêve haïtien :
« Je ne viendrai plus ouvrir ces portes
Avec les mêmes prières d’autre fois »
Les expressions qui renvoient au vodou sont présentes chez Denise mais toujours avec une marque d’amour, qui donne beaucoup plus d’expressivité au poème :
« Alors je versais de l’eau sur tes lèvres »
À mesure que Denise s’évade de sa terre, Yves Romel s’enracine dans un quotidien évocateur ou les mots ont acquis un état de silence ;
« Il est midi à Hinche
Les ombres changent de face »
La Face double du rêve est peut-être une vision double de l’imaginaire haïtien, des mythes et de la culture populaire ou vient s’échouer le cœur sensible d’une poète porteuse d’espoir et d’amour :
« Cet homme qui dormait
Dans les eaux de Maïssade
Ignorait qu’il avait quitté
Le monde des vivants »
Dans sa préface, l’éminent écrivain haïtien Josaphat-Robert Large a qualifié le texte de « recueil épistolaire » et n’a pas manqué de présenter les aspects pluridimensionnels que revêt l’amour chez les auteurs. Cet amour que les auteurs (dé)partagent dans la complicité d’un rêve à venir.

Denise Bernhardt et Yves Romel Toussaint, La Face double du rêve, Le Vert Galant///Article N° : 10734

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