Ray

De Taylor Hackford

Print Friendly, PDF & Email

Lorsqu’il écrivait son autobiographie Yes I can, Samy Davis Junior notait combien il avait été difficile de percer en étant Juif, Noir et borgne. D’après Taylor Hackford, ce ne sont paradoxalement pas ses « handicaps » (Noir et aveugle) qui furent les obstacles de Ray Charles mais bien davantage la drogue et sa propre culpabilité d’avoir laissé se noyer sans avoir la présence d’intervenir son jeune frère tombé dans une bassine alors qu’ils jouaient ensemble. Ray joue dès lors sur une série de flash-back faisant avancer le récit vers une découverte progressive de cette complexité, contribuant à dresser du pianiste chanteur un portrait très humain. Tout en lui donnant une véritable épaisseur, le film n’abuse pas de la psychologie et privilégie le devenir musical de Ray Charles et ses avancées, le parti pris de cette biographie étant qu’il les a puisées dans son enfance mouvementée. On comprend vite qu’il ne se laissera plus avoir après les premières années où ceux qui l’accompagnaient tablaient sur sa dépendance pour exploiter son talent. Se révèle alors la dureté d’une homme d’affaires qui laisse des cadavres sur sa route de même qu’il rend des femmes malheureuses, à commencer par la mère de ses enfants. Pas de compassion ni d’hagiographie donc pour le pauvre aveugle présenté aussi dans toutes ses ombres, et si le film est souvent émouvant, c’est justement par l’exposition de ses failles développées par un homme qui ne s’en est sorti que par sa propre détermination. Mais c’est bien sûr aussi par l’extraordinaire force de la musique de ce novateur de la soul qui sut allier rythm and blues et gospel au risque de choquer les bien-pensants (I got a woman) avant de retourner au country, emportant avec lui des salles entières qui l’attendaient sur d’autres registres.
Ce sont ces moments de grâce que Ray fait efficacement partager, dans un style conventionnel certes, mais avec les moyens nécessaires et la magie d’un scénario bien construit. Rien de tout ça ne marcherait sans l’interprétation de Jamie Foxx, véritable performance, qui rentre très physiquement dans le rôle d’un Ray dégingandé sans jamais le caricaturer.
Le fait de chercher la source de Baby let me go your hand dans les souvenirs d’enfance de l’enfant Ray en train de devenir aveugle et que sa mère refuse d’aider pour qu’il se débrouille par lui-même ou celle de Hit the road Jack dans sa houleuse relation avec sa maîtresse la chanteuse Margie sent la ficelle de scénario mais fonctionne à fond. Le message anti-drogue d’un Ray Charles qui sut s’imposer une désintoxication à l’instigation de sa femme est du même acabit, sans doute parce que la musique accompagne chaque moment et qu’elle s’impose sans arrêt comme magnifique. On ne redécouvre pas le Ray Charles qu’on connaît, on s’y reconnaît. Et cette familiarité nous pousse à ne plus le désigner désormais que par son prénom.
Il n’est pas nécessaire dès lors de poursuivre la biographie : les 40 années suivantes sont ébauchées en quelques cartons et les nombreux autres enfants de Ray Charles ne seront pas évoqués. L’essentiel était de poser les sources, cette mayonnaise incroyable de génie musical et d’opportunisme qui permit à Ray Charles de faire danser l’Amérique autant que de l’emmener dans les pires guimauves. Plus qu’un hommage, Ray se regarde ainsi comme un constat, valable pour la musique autant que pour ce pays : le simple rappel qu’il n’y a pas de création sans force d’âme ni ego. Et cela, Ray n’en manquait pas.

///Article N° : 3706

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire