René Philombe par presque lui-même : La légende de l’homme

Figures Majeures

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En mourant le 25 octobre 2001 à l’hôpital d’Efok près de Yaoundé des suites de maladie, 71 ans après sa naissance en 1930 à Ngaoundéré, l’écrivain poète a laissé un immense héritage social et littéraire. Charles Nkoulou, instituteur à la retraite et chercheur, petit frère de l’auteur de Petites gouttes de chant pour créer l’homme, son « frangin de sang et de plume » comme il se présente lui-même, livre dans cette légende en do-majeur, un visage à la fois public et familial, synchronique et diachronique de celui qui fut durant plus de vingt ans durant Secrétaire général de l’APEC. Un écrivain maudit. Exclu des lieux de transfert des grands auteurs à la postérité. Un tableau beau, troublant et troublé.

Voici brièvement esquissée la légende de l’homme Philombe un peu mal connu de certaines gens, légende galvaudée et truffée d’incisions parfois criardes. Cette façon de vivre qui est cousue de franchise et de peur, de désinvolture et de course au bonheur, escortée d’élans immodérés, de crises, de facilités, d’enfantillages, de facilités est comme un grand vide que personne ne saurait combler. Une invention romanesque vertigineuse.
La légende de Philombe ? C’aurait dû être un roman haletant, construit à l’imitation d’un thriller, charriant nombres de notations pertinentes, pour qui côtoie le monde des affaires et singulièrement celui de notre continent. Beaucoup de justesse aussi, dans la relation des rapports psychologiques entre les gens, un véritable sens de l’observation, et par dessus tout, pour paraphraser Gabin « une bonne histoire ».
On ne peut pas parler de notre grand frangin sans risquer de verser dans l’extravagance. Le suspens haletant. Un souffle. Un rythme.
Sa naissance en date du 13 novembre 1930 survient dans le confluent brûlant des caprices politico-astrales du scorpion en dualité avec l’ère coloniale, apogée de la discrimination raciale dont le monde négro-africain était victime. Vous comprenez pourquoi René Philombe lisait avec beaucoup d’appétit les écrits suivants d’Henri Lopès qui révèle la frustration du droit des noirs à l’écriture. « la race noire n’a encore donné, ne donnera jamais un Einstein, un Stravinsky, un Gerbuvin« . Ainsi s’exprimait il y a moins d’un siècle, dans la Revue des deux monde, Monsieur Jules Romain, membre de l’académie française. A l’époque, aucune voix ne se leva pour crier au scandale. C’était, dans la tête d’un grand nombre, de beaux esprits de la métropole. C’est qu’il y a peu de temps encore, les grandes démocraties occidentales refusaient aux Noirs les droits que proclamait la Déclaration Universelle. Nous étions des êtres mais d’une espèce inférieure au genre humain. On nous traitait de sales Nègres sans que nous puissions porter plainte pour insulte. Des quartiers et des lieux publics nous étaient interdits. Nous pouvions être giflés, chicotés et humiliés sans que l’auteur des faits ne soit inquiété. Même le droit était en notre défaveur (Henri Lopès)
C’est dans le creuset de cette politique discriminatoire que le caractère revêche de notre écrivain a été formé. Et, ça se sent, la justice, la revanche dans presque tous ses écrits poétiques. VOICI l’un de ses poèmes qui exprime dans tous ses états d’âme atrabilaire et de révolte malaxée dans les effluves de l’avènement de l’ère coloniale :
Ils m’ont trouvé dans les ténèbres saines de ma hutte de bambou
Ils m’ont trouvé vêtu d’Obom et de peaux de bête avec mes palabres
et mes rires torrentiels avec mes tam-tams, mes gris-gris et mes dieux
O pitié, qu’il est primitif !
civilisons-le !…
alors ils m’ont douché la tête dans leurs livres bavards puis ils m’ont
harnaché le corps de leurs gris-gris à eux.
puis ils ont inoculé dans mon sang,
dans mon sang clair et transparent
et l’avarice
et l’alcoolisme
et la prostitution
et l’inceste
et la politique fratricide…
hourra…
(René Philombe, Ecriture, 1961 revue des Editions CLE)
Le lectorat attentif de l’auteur de Sola ma chérie note les mêmes colères dans bon nombre d’autres poèmes, notamment Hymne d’Adis-Abeba dédié aux chefs d’Etats africains, A l’aube du tam-tam in Hallalis, Sur la tombe de mon père, etc.
Généalogiquement, comme chacun de nous, Philombe descendait d’une origine matriarcale et d’une origine patriarcale. Ses racines ancestrales plongent dans la dynastie des chefs Babouté et Batschenga. Son bisaïeul maternel Tidadi était le roi des Babouté. A sa mort, son fils Dandoungou, notre aïeul lui succède au trône, avant de mettre au monde Berthe Manyan, la princesse génitrice de l’auteur. De même, du côté paternel, Nkoulou était le chef des Batschenga. Rappelons que René Philombe est né à Ngaoundéré où travaillait notre père en tant qu’écrivain-intreprète. Il nous révèle lui-même les circonstances de sa venue au monde, ainsi que l’étymologie de son nom Philombe :
« Je suis né en 1930 à Ngaoundéré. Mon père qui était l’ami d’un lamidat m’a donné le nom de Yaya. L’arrivée d’un prêtre blanc va tout bouleverser. Mon père redoutant les menaces me donna un autre nom : Philippe Ombede. C’est de ces deux noms que je me suis inspiré pour composer à mon tour Philombe, auquel on est habitué. Je voulais ainsi montrer le caractère hybride de l’homme noir, de l’Africain qui a toujours en lui quelque chose d’européen. Et René ? C’est tout un programme, tout un idéal même. Cela signifie que l’homme chaque jour « Renaît », se remet en cause, questionne le passé, le présent pour mieux préparer le futur ». Dès sa venue au monde, nous raconte-t-on, c’était un gros et beau bébé à la peau plus claire que celle de ses frères et sœurs. Il était alors le quatrième enfant, emboîtant le pas à Rodolphe, l’aîné, Thérèse la puînée, Hubert le troisième et Charles, le cadet de la famille et auteur de ces lignes.
Jusqu’au-delà de 25 ans, René avait encore l’usage de ses jambes. Il les perdra en 1955 des suites de poliomyélite, ce qui bien avant, ne l’a pas empêché d’avoir un cursus primaire et primaire supérieur très brillant. Il obtint son CEPE en 1948 et son concours d’entrée au cours de sélection la même année avant d’aller interrompre ses études en deuxième année de l’école primaire supérieure d’antan.
Dès lors, en dépit de la versatilité juvénile, il partage son adolescence entre la musique instrumentale (guitare, banjo, violon, mvet, danse classique…) et l’autodidaxie avec comme catalyseur, les cours par correspondance de l’Ecole universelle, de l’ABC, de l’Ecole des sciences et des arts de Paris. Entre autres, il trouve un emploi journalier de secrétaire du Tribunal coutumier de Sa’a. Quelques temps après, il est reçu au concours de secrétaire de police et devient fonctionnaire. Puis devenu éclopé et casanier par la force de sa paralysie, il se met à écrire des poèmes, des romans et des nouvelles sous l’égide de ses auteurs de prédilection : Voltaire, Montesquieu, Lamartine, Verlaine, Senghor, Mongo Beti…Il entretient une correspondance perpétuelle avec les intellectuels révolutionnaires de l’étranger, des communistes avant la chute du mur de Berlin. Dans la foulée, il devient journaliste, et publie des journaux qui fustigent le pouvoir en place à l’exemple de Bebela Ebug, Abolegue, Cameroun littéraire, Ozila, etc. Ce qui va lui valoir des saisies et des arrestations incessantes. On peut dire que c’est à partir de cette période que commencent les péripéties de sa légende, la vraie. Entre temps, la police lui accorde plusieurs mois de congés maladie. Mais le poète finit par prendre sa retraite anticipée, en pleine jeunesse de son infirmité physique.
Philombe ne manque pas d’amis ou de mécènes qui volent de temps en temps à son secours. Citons, sans être exhaustif, Franco, un diplomate italien, le docteur Zogo Massi, la pharmacienne Jeanne Ngo Maï, le docteur Bernard Fonlon, les professeurs Basile Fouda, Patrice Kayo, Ambroise Kom, Mesdames Yao Aïssatou, Rabiatou Njoya, Stella Engama, M. Ernest Alima…C’est grâce à ce dernier que Philombe avait obtenu d’être reçu par le Président Ahmadou Ahidjo qui lui avait offert une obole pour l’aider à vivre, avant de le recruter au Crepla, comme agent de l’Etat.
La vie difficile de Philombe a été envenimée par sa vie conjugale, secouée par le défilé chez lui de donzelles non mariées et par le système de polygamie qu’il s’était créé par acquis de conscience. Il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage sur cette dimension de sa vie, car comme le prescrit la sagesse, « mieux vaut une bonne épitaphe qu’une mauvaise renommée« .
Vers la fin de sa vie, Philombe se trouva contraint de quitter la ville de Yaoundé pour Batschenga, son village, sans doute pour y aller « cultiver son jardin », selon la phrase de Voltaire, son maître, avec une fortune sociale et littéraire bien établie : Président national des handicapés physiques, Secrétaire général de l’Association des Poètes et Ecrivains Camerounais(APEC). Une fois rétabli sur la terre natale, il trouvera le temps de revisiter sa philosophie de la vie politique nationale, sa conception de l’athéisme. Il devint conseiller municipal RDPC (parti au pouvoir) de Batschenga, oecuméniste tout en prônant que « la meilleure religion de le terre, c’est l’amour du prochain ». Comme nous l’écrivions récemment dans une oraison funèbre à la mémoire du Professeur Samuel Martin Eno Belinga, Philombe, mon grand frère, était une élite intellectuelle imbue d’une séduction ténébreuse. Il jouissait aussi de la complicité des générations qu’enivre le parfum de soufre. La légende qu’il incarne avait été mille fois inculpée de recel et de contrefaçon de personnage comme disait le philosophe : « le visage d’autrui serait le commencement même de la philosophie « . Avec Philombe, on est tenté de penser à un portrait sans âge, une image pour l’éternité qui vous scrute avec froideur, amertume, ironie dès qu’on l’interroge. Il avait l’œil aigu sous un vaste front, le visage d’un prêtre mais défroqué, la face du prochain mais emmurée, le masque d’un provocateur mais humilié. On pourrait bien le dire : « voilà ce que la vie avait fait de l’homme de Nkol-Azombo« . En revanche, quand on découvre la panoplie de ses œuvres poétiques ou autres, on n’hésite pas à ajouter pour conclure : « Et voici ce que ce Lauréat de l’Académie française fit de sa vie« .

Bibliographie non exhaustive de René Philombe

Romans
Sola ma chérie, Editions CLE, Yaoundé, 1996
Un Sorcier blanc à Zangali, Edition CLE, Yaoundé, 1969
L’ancien maquisard,
Bedi Nougoula,

Poésie
La passerelle divine, Imprimerie adventiste, Yaoundé, 1959
Choc anti-choc, Editions Semences africaines, Yaoundé, 1979
Hallalis et chansons nègres, Editions Semences africaines, Yaoundé, 1969
La Saison des fleurs, inédit
Les larmes tranquilles, Editions Semences africaines, Yaoundé, 1970
Petites gouttes de chants pour créer l’homme, Editions Semences africaines, Yaoundé, 1977
Les Hiboux, Editions Semences africaines, Yaoundé, 1965
Espaces essentiels, Editions Silex, Paris, 1965

Nouvelles
Lettes de ma cambuse, Editions CLE, Yaoundé, 1964, 1972
Histoire-queue-de-chat, Editions CLE, Yaoundé, 1972

Théâtre
Africapolis, Editions Semences africaines, Yaoundé, 1970
Les Epoux célibataires, Editions Semences africaines, Yaoundé, 1974
Amour en pagaille, Editions Semences africaines, 1982
Affaire Sango Mbedi, inédit, 1975

Contes
Nnan Nden Bobo, Editions du Crac

///Article N° : 4003

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