Rentrée littéraire 10 : Visite à Aimé Césaire de Nimrod

Suivi d'Aimé Césaire, le poème d'une vie

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En juin 2013, Aimé Césaire aurait eu cent ans. De nombreux ouvrages ont célébré le poète, comme ce court ouvrage de Nimrod, publié par les éditions Obsidiane pour « saluer, au printemps, le centenaire » de cette naissance. L’ouvrage, comme le souligne le titre, est à la fois récit d’une rencontre et réflexion sur l’œuvre. Réflexion sur les liens entre l’homme et l’œuvre devrait-on plus justement écrire, tant est finement abordée la question de la rencontre. Or, celle-ci, sous des apparences tissées d’évidence, n’est jamais telle, comme le relate Nimrod. Lui, le poète qui s’est si profondément intéressé à la Négritude, et particulièrement à la vie et l’œuvre de Léopold Sedar Senghor (1), n’a jamais rencontré ce dernier. Or, voici qu’au détour d’une invitation rendue possible par Daniel Maximin, il va rencontrer le grand Césaire, « le dernier survivant de la négritude » dont il est « l’incarnation » (p. 2). Rencontrer un tel « monument vivant » (p. 33) comporte sa part d’intimidation – et la structure du texte, qui déploie sa cadence dans un « avant l’audience » puis « l’audience » souligne le caractère quasi dramatique du moment.
Si l’ouvrage nous présente bien le récit circonstancié de la rencontre, le plus intéressant réside cependant dans le traitement que Nimrod réserve à cet événement. En 1957, Ernst Kantorowicz (2) publiait un ouvrage passionnant – et qui ferait date – sur les « deux corps » du roi ; Nimrod, au travers de ce court ouvrage s’intéresse quant à lui à ce qu’il nomme « le tiers-corps du poète ».
Que se joue-t-il lorsque l’on croise, en sa chair, un homme qui nous a habités de ses mots ? Où se situe d’ailleurs la « réalité » du poète ? Encre et papier ou chair et sang ? Car dans la rencontre, difficile de faire impasse sur le corps, notamment lorsque celui-ci avance dans la grande vieillesse : « Je suis mal fichu ! Je ne suis pas bien » se plaint ainsi Césaire à Daniel Maximin en ce 24 juin, journée de rencontre. Le poète a alors presque 93 ans !
« J’ai la sensation que le corps mortel du poète parle là, derrière moi. Césaire prend appui sur mon bras. Je soutiens le père innombrable. Aussi lutté-je contre le vertige qui « prend » dans notre dos à tous les deux. Césaire le vit avec joie, laquelle m’entraîne et me fragilise à un degré considérable. C’est alors qu’il revêt son corps glorieux – c’est alors que nos destins s’embrasent. » (p. 32).
« Corps mortel » ; « corps glorieux » : le corps du poète est ainsi celui qui, pareil à celui du Christ, double sa fragilité mortelle d’un autre, nimbé de l’or des mots et qui est gage d’incorruptibilité.
L’écriture de Nimrod – et en cela sa réussite – se tient entre ces deux pôles, se faisant écriture du journal, saisissant les petits faits, la gêne, les silences, les ratés… l’anecdotique – et malgré tout la signifiance – des détails qui tissent le quotidien mortel ; mais l’ouvrage est aussi essai, qui analyse et commente l’œuvre, l’essence : la poésie de Césaire. Nimrod laisse une large place aux vers lumineux de l’auteur, tout en en développant les alchimies possibles : le Claudel de Tête d’Or, Saint-John Perse, Péguy… Il revient aussi sur cette figure devenue, dans son grand âge, extrêmement médiatisée, canonisée de son vivant, mais dont le tempérament en perpétuelle ébullition restait aussi jeune que ses vers. Des vers que nous devrions tous, comme Ina Césaire, connaître par cœur afin d’en respirer la force.

Nimrod, Visite à Aimé Césaire suivi d’Aimé Césaire, le poème d’une vie, Sens : éditions Obsidiane, 2013, 75 p., 14 euros.

1. Voir notamment, Tombeau de Léopold Sedar Senghor suivi de Léopold Sedar Senghor, chantre de l’Afrique heureuse. Le temps qu’il fait, 2003 ou encore Léopold Sedar Senghor par Armand Guibert et Nimrod. Seghers : poètes d’aujourd’hui, 2006

2. Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge.Trad. de l’anglais (Allemagne) par [Jean-Philippe et Nicole Genet]. Paris : Gallimard, [Collection Bibliothèques des Histoires], 1989.///Article N° : 11847

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