Avec Si d’aimer , publié chez La Cheminante, la romancière Hemley Boum s’attaque à la problématique du sida au Cameroun en privilégiant la psychologie humaine face aux drames personnels. Une uvre de l’intime, sélectionné pour le prix Ahmadou Kourouma en mai dernier. Rencontre.
Avec Si d’aimer
vous donnez la voix à trois femmes, dont le présent est cristallisé autour de la maladie du sida. Pourquoi avoir choisi de parler de cette thématique ?
Après Le Clan des femmes(1) qui se situait au début du XXe siècle, je voulais aller sur quelque chose de contemporain. Je voulais parler du sida, mais je ne savais pas sous quel angle le prendre. Lors d’un séjour au Cameroun dernièrement, je me suis aperçue qu’ils avaient mis en place de nouvelles thérapies. Des gens vivaient avec la maladie, alors qu’avant c’était synonyme de mort. Ça m’a ouvert des perspectives : je pouvais en parler sans pathos. Évidemment ça n’était pas une partie de rigolade et ça ne le serait jamais. Mais aujourd’hui on pouvait espérer, rencontrer une certaine humanité et construire une vie malgré tout.
Où l’avez-vous écrit ?
J’ai fait des recherches ici et là-bas. Je suis beaucoup retourné au Cameroun. J’ai visité des hôpitaux etc. C’est d’abord un roman, mais je voulais aussi être dans une certaine vérité, que cela corresponde à un vécu, à une réalité.
Pourquoi selon vous le sida est peu abordé dans la littérature, notamment africaine ?
Ça aussi ça me manquait. Je suis née et ai grandi au Cameroun. J’ai fait une partie de mes études en France. Mais quand je suis rentrée au pays, à la fin des années quatre-vingt-dix, c’était une catastrophe. Quand on est une femme célibataire, ça pèse et en même temps c’est tabou. Je trouvais difficilement crédible l’histoire d’une relation amoureuse qui se déploie en Afrique dans ces années-là et qui n’aborde pas la thématique du sida. C’était impossible de la contourner. Et en même temps, la fin inéluctable rendait le fait d’en parler difficile. C’était trop tragique. Mais c’est quand la tragédie est finie que les survivants en parlent. Il faut digérer, prendre de la hauteur, du recul. Désormais, ce n’est plus simplement une histoire de mort. Ça peut devenir une histoire de rebondissement, de reconstruction. Ça peut devenir l’occasion de repenser des trajectoires de vie, sans jugement de valeur. Il y a des personnes très fortes qui, face à une certaine adversité, vont se briser. Tandis qu’il y a des personnes qui vont se révéler d’une façon incroyable. On ne peut pas savoir si on va résister ou pas aux chocs que la vie nous donne. Le sida, même si c’est l’un des moteurs, n’est pas la problématique clé du livre. Ce qui est important c’est : que font les personnages ? Comment est-ce que chacun réagit par rapport à l’irrémédiable ? Quand il faut vivre malgré tout.
D’où le destin de ces trois femmes clés dans le livre, Céline, Salomé et Valérie, avec des profils, des réactions et émotions différents
C’est surtout un certain être ensemble et vivre ensemble. À ce stade de leur vie, chacun de ces personnages a atteint un point de non-retour. C’est le moment de savoir ce qu’on va faire. Ce n’est pas forcément un cheminement conscient. Quand elles se lancent là-dedans, elles ne se disent pas : « on va sauver notre peau ». La seule chose qu’elles se disent toutes c’est « on va sauver Céline », malade du sida, la figure un petit peu de leur innocence perdue à tous. Elles sont incapables de dire ce qui va arriver demain, si ça va leur faire du bien ou pas, si ça va les réparer ou les briser. Il y a beaucoup de lecteurs qui m’ont reproché la fin parce qu’il n’y a pas de happy end. Les personnages sont laissés à eux-mêmes. C’est comme dans la vraie vie, on ne sait pas de quoi demain sera fait.
L’avenir est moins important que ce que cette épreuve dit de toi aujourd’hui
La question qui se pose n’est pas la question de l’avenir, c’est la question d’habiter sa vie, d’être présent à l’instant où l’on vit ce qui se passe. Tous ces personnages expérimentent ce positionnement. On peut choisir ce que la société attend de nous ou on peut choisir ce qu’on a envie de faire. Il n’est pas dit qu’on va se tromper, ni réussir, qu’on va être plus ou moins heureux. Mais ce qui est sûr c’est qu’à la fin de la journée on paye seul la facture. Quels que soient les choix que tu as faits, la facture arrive chez toi à la fin de la journée. À toi de savoir ce que tu vas payer. Je ne suis pas dans le jugement moral. Mais ce que je veux dire c’est qu’il y a une pesanteur de la vie que personne ne peut porter pour vous. Une certaine expérience intime et personnelle ne peut pas être partagée.
On rentre moins dans l’intimité des hommes, notamment Pacôme, autour de qui l’histoire tourne pourtant. Pourquoi ?
Moussa était d’emblée dans le livre. Pacôme dans une moindre mesure. Il existe dans la parole des personnes qui l’aiment. Il a été l’amant des trois femmes. Malgré tout, il reste un inconnu. C’est souvent comme ça. Il est plus important que la somme de ce qu’en disent les autres. Quelque part il est une des clés pour comprendre le rapport de ces femmes aux hommes, à la société parce qu’il est différent avec chacune d’elles. Il a plusieurs visages, plusieurs réalités.
Pourquoi avoir choisi d’utiliser plusieurs « je » ; celui de Salomé, de Valérie, de Céline et dans une moindre mesure celui de Moussa ?
Je voulais donner la parole à plusieurs personnages différents, être dans un « je » sur plusieurs, que chacun parle de lui-même. Parce que ce qui permettait la rencontre de ces personnages, c’est que chacun d’eux analyse sa propre intimité et son propre passé. Je ne pouvais pas être le narrateur car cela installait la distance. Et surtout c’était comme un fil ; il fallait tenir un seul fil qui change de couleurs. Et puis après il y a des mélanges de couleurs, car certaines mêmes histoires sont racontées de manière différente. Il fallait tenir le cap jusqu’au bout. Ces personnages me dépassent souvent. Par exemple, j’écrivais depuis un moment jusqu’à ce que je me rende compte que je n’entendais plus le personnage de Salomé. Parce que parfois j’avais l’impression de simplement écrire ce qu’ils me disaient avec leurs voix particulières. Salomé ne me parlait plus. L’histoire devient bancale. Je m’arrête d’écrire. Pourquoi est-ce que je n’entendais plus Salomé ? Je comprends en fait que voilà un personnage qui veut exprimer sa liberté, qui traverse un drame personnel et qui par des chemins escarpés essaie de se reconstruire. Et moi en tant qu’auteur, j’essaie de l’emmener où elle ne veut pas. Du coup j’ai repensé le truc et c’est reparti. Et pour chaque personnage j’ai l’impression qu’ils avaient presque plus de réalité que mon quotidien. Pendant une année, j’étais presque en pilotage automatique dans ma propre vie. J’étais habitée.
En tant que lectrice, est-ce la littérature que vous lisez, une littérature de l’intime ?
Dans la lecture, je veux pouvoir aller où bon me semble. Je veux pouvoir oublier l’auteur. Je veux pouvoir m’approprier le récit. Certains, quand ils me lisent, me disent que je parle de la condition des femmes. Certes, mais c’est avant tout un roman. Je traite des sujets difficiles d’un point de vue intime. C’est la voix intime des gens, ce qu’ils ressentent, qui m’intéresse plutôt que la situation politique et sociale. Je suis plus attirée par ce genre de littérature : j’ai adoré Jane Austen, Jane Eyre, Tolstoï ou encore Dongala. Quand tu lis Toni Morrison, qui te parle des noirs américains après l’esclavage ; tu sors du livre en ayant rencontré avant tout des gens. C’est ce type de littérature que j’ai toujours aimé, et le type de littérature que j’avais envie de faire. Une littérature où la psychologie des personnages est mise à nue. On se parle de cur à cur, d’âme à âme. On est dans notre humanité.
Si d’aimer
est votre deuxième roman, le premier publié chez La Cheminante. Comment s’est faite la rencontre avec l’éditrice Sylvie Darreau ?
J’ai fini d’écrire Si d’aimer
et je recherchais un éditeur. Sylvie a été la première à me répondre positivement. Deux autres m’ont répondu dans ce sens. Mais avec Sylvie, il s’est passé quelque chose de très fort. Elle est véritablement engagée dans ce qu’elle fait. Être éditeur n’est pas seulement un métier, c’est une vraie passion. Elle adore les livres, les auteurs. Elle lit les textes avec beaucoup d’imprégnation. Elle ne se contente pas de les parcourir. Quand elle choisit un auteur, c’est son choix à elle, donc elle le porte vraiment.
Quand avez-vous véritablement commencé à écrire ?
J’ai commencé à écrire en 2010. J’ai commencé sur un blog Le clan des femmes(2). Je ne savais pas qui lisait ou pas. Je suis partie en vacances, je n’ai pas posté. Pendant ce temps, près de mille personnes sont intervenues sur le blog. Il s’est passé un truc génial alors que je n’en avais parlé à personne. Mon mari m’a soutenu pour que je me lance. Et donc j’ai commencé à travailler Le Clan des femmes. Je ne sais pas si je l’aurai fait sinon. Je suis surtout une lectrice. Là, il y a eu le déclic. Je ne pensais pas en faire une activité à temps plein. Ça l’est devenu de fil en aiguille. Une fois que c’est arrivé, c’était évident !
Pourquoi avoir choisi le pseudo Hemley ?
J’aime beaucoup ce mot, qui veut dire espérance en bassa. On s’en sert aussi pour parler de quelqu’un qui a de la force, du courage. Ça correspondait parfaitement à ce que j’avais envie de dire en littérature. Hemley, c’est un univers particulier. J’y suis venue tard. C’est très bien que les deux, vie privée et vie d’écrivain, soient séparées.
Lire également la critique de l’ouvrage [ici]
1. Le Clan des femmes. L’Harmattan. Octobre 2010
2. http://leclandesfemmes.blogspot.fr////Article N° : 11801