Rétrospective à Côté court : le renouveau marocain

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La rétrospective 1995-2006 de films courts marocains proposée par le festival Côté court en Seine-Saint-Denis du 28 mars au 6 avril 2007 est un événement. Placée sous le signe du renouveau, c’est bien sur les recherches cinématographiques qu’elle se focalise, permettant de mettre les films en perspective. Une occasion exceptionnelle de plonger dans un cinéma qui ose de nouvelles voies.

S’il est effectivement très présent, le nomadisme n’est pas une originalité marocaine dans les cinématographies africaines qui sont toutes marquées durant la dernière décennie par le déplacement, la traversée, l’exil vécu ou rêvé, l’entre-deux à la fois linguistique et culturel. Mais c’en est effectivement une singularité qui sera abordée lors d’une table ronde.
Les programmateurs de Côté court arrivent en effet à centrer une bonne moitié de leur programmation sur l’émigration. Signe du renouveau, ce sont des femmes qui réalisent les films les plus marquants sur l’exil : Leïla Kilani avec son magnifique Tanger, le rêve des brûleurs qui dresse une géographie imaginaire de ce qui anime ceux qui ne peuvent plus que risquer leur peau pour traverser, mais aussi Laïla Marrakchi avec 200 dirhams, signe inespéré, déclic d’un départ rendu possible. Sur la condition immigrée aussi : il faut avoir vu Quand les hommes pleurent de Yasmine Kassari pour comprendre avec ses tripes ce que dit son titre.
Ces beaux films, nous les avions signalés en leur temps, tout comme la fascinante dilatation du temps et de l’espace que met en scène La Femme seule de Brahim Fritah. On retrouve cette association d’une voix et d’une caméra épousant les détails du cadre quotidien, les objets, en alternance avec des photos convoquant la réalité évoquée sans la reconstituer dans Ma maison perdue de Kamal El Mahouti, qui ajoute le doublement de la voix enfant et de la voix adulte pour restaurer la mémoire. Il faut fragmenter pour saisir, cadrer le détail pour signifier, jouer la métonymie plutôt que la métaphore, même dans un documentaire impliqué comme Carnet de notes à deux voix de Rajae Essefiani et Frédéric Fichefet, tourné en terre belge. Pas d’image de soi sans la frénétique remise en cause de l’image de l’Autre, cet immigré. Il faut un tremblement de terre pour ébranler les préjugés, surtout quand une minorité brise les efforts d’intégration. Le délit d’origine, il traverse tous ces courts sur la condition immigrée, qui disent la solitude et le rejet.
Alors oui, la mélancolie méditerranéenne prend le dessus, cette dilatation aux odeurs maritimes, ces sacs en plastique qui suivent le vent aux accents de chansons égyptiennes dans Wahab d’Abu Ali, ou ce couteau qui prend le temps avant de trancher sous les youyous la gorge du bœuf dans Hamdullilah Dhia Dhikr du même auteur. Le cinéma expérimental prolonge ou rénove ce regard en travaillant l’hallucination, mêlant à ses audaces de mise en scène les images qui marquent l’actualité, recomposées comme par une écriture automatique en un ballet poétique digne des happenings des années 70, mêlant couleurs et thèmes à foison. Mohamed El Baz, dans Niquer la mort, évolue entre la rage et le vide inscrits sur le torse nu de ses acteurs, comme des marques identitaires. Ce sont aussi les films expérimentaux de Mounir Fatmi : Festin, un hommage à William Burroughs en forme de méditation animale sur le besoin, évoqué par un criquet dans un jeu de billes dont il ne pourra s’échapper, ou bien Les Egarés, sur l’envie de vivre face à l’endoctrinement, une obsession reprise dans Bad Connexion. Le spectre du terrorisme n’est jamais loin, mais les entrelacs de la ceinture d’explosifs bourrée de livres et de symboles révèlent une quête de repères que la multitude de questions en tous sens qui apparaissent à l’écran dans Marocaine à deux dimensions de Brahim Bachiri ne pourra résoudre. C’est plutôt dans le rythme lancinant de cette interrogation tous azimuts, de cette méconnaissance obsessionnelle de sa propre Histoire que nous sommes invités à nous fondre : le monde gagne en complexité, les anciennes normes sont obsolètes, il faudrait la transe pour les redéfinir.
Elle passe par l’hybridité, par l’altérité, mais si cet ailleurs est souvent inaccessible comme dans les méandres relationnelles du désormais célèbre Balcon atlantico de Hicham Falah et Mohamed Chrif Tribak, et finalement mortifère comme l’évoque métaphoriquement Un bateau en papier de Jamal Souissi, il n’est pas seulement dans le départ réel ou rêvé. Le retour est toujours douloureux, révélateur de la tension de l’entre-deux. Tes cheveux noirs Ishan de Tala Hadid revoit l’enfance dans le regard de cet adulte qui revient dans le brouillard du passé, sur les lieux de la relation à sa mère. La mémoire se fait fiction, pour mettre en scène la recherche d’une mère qui n’en peut plus de solitude. La frontière avec le documentaire se brouille volontiers, au point de passer à l’essai : Boujad : A Nest in the Heat (Boujad : un nid dans la chaleur) d’Hakim Belabbes cultive la méditation en voix off sur des images autonomes de la ville natale qui usent finalement du ralenti pour rejoindre la voix, sur le besoin d’entendre celle du père, sa reconnaissance du fait que le départ a fait de l’émigré un homme.
Il faut ce rythme de l’écoute pour comprendre l’inquiétude et le déracinement. Une place au soleil de Rachid Boutounes et Salam de Souad El-Bouhati le font à merveille. Que reste-t-il d’une vie de travail dans l’immigration ? Ce sont des destins entiers que nous laisse percevoir l’extrême sensibilité de ces films. Des destins déconnectés d’un pays où les choses vont plus vite qu’à leur rythme, où des hommes interrogent le chaos de leur imaginaire comme Mohamed Zineddaine dans son long métrage Réveil (cf. critique), où des femmes prennent la parole comme dans le passionnant Je voudrais vous raconter de Dalila Ennadre.
Il faudrait encore évoquer tant d’autres films courts, mais dans la mosaïque d’une décennie, c’est bien un renouveau qui se dessine, une cinématographie qui, pour refléter et épouser ce qui anime ces hommes nomades, se cherche une poésie. Il n’y a pas d’école, seulement des tentatives, mais il y a du mouvement car partout les mots de l’image transcendent les voix.

www.cotecourt.org///Article N° : 5890

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