Réveiller le cinéma à Madagascar

Entretien de Karine Blanchon avec Laza autour des Premières Rencontres du Film Court des 27 et 28 avril 2006 à Antananarivo

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Vous êtes un jeune réalisateur plutôt atypique dans le paysage cinématographique malgache. Votre second long métrage n’est pas encore sorti à Madagascar que vous vous lancez dans l’organisation d’un concours de courts métrages. Qu’est-ce qui vous motive ?
Tout simplement la passion que j’ai pour le septième art. J’aime le cinéma et j’avais envie de partager cette passion. J’ai lancé l’idée de ces Rencontres il y a quelques mois et, grâce au soutien du Centre Culturel Français Albert Camus, ce projet a vu le jour. On a fait un appel à candidature relayé dans les Alliances Françaises de toute l’île et on a reçu 37 réponses. On ne s’attendait pas à avoir un nombre aussi important de films !
En effet la production de courts métrages est pour ainsi dire inexistante à Madagascar. Pourquoi avoir justement choisi d’organiser un concours autour de ce genre cinématographique ?
En fait, on peut réaliser un film court même avec un tout petit budget et des moyens techniques réduits. C’est donc un concept qui s’adaptait parfaitement aux conditions dont on dispose ici. En plus, les grands cinéastes ont tous commencé par faire du court métrage. C’est un exercice très important pour un réalisateur mais c’est aussi une oeuvre à part entière qui nécessite une construction et une recherche artistique. L’idée c’est d’encourager les gens qui veulent faire du cinéma à tourner tous les jours, de façon régulière car c’est la seule façon de se perfectionner et d’apprivoiser le langage cinématographique, mais le court métrage est surtout la seule façon pour nous de symboliser ce premier pas vers un cinéma à Madagascar.
Sur quels critères avez-vous sélectionné les douze films en compétition ?
On s’est surtout attaché au travail de réalisation, à la façon dont les participants ont matérialisé leurs idées par le biais de l’image. Il y a eu des films très intéressants, comme un film d’animation en 3D ou un autre plus expérimental sur le viol par exemple. La grande majorité des courts métrages projetés lors de ces Rencontres ne sont pas gais. Je veux dire que les histoires qu’ils racontent sont assez pessimistes mais finalement ils reflètent les conditions de vie à Madagascar à l’heure actuelle. On a aussi fait la sélection en fonction de l’originalité et de l’esthétisme beaucoup plus que sur la technique. C’est sur ces mêmes critères que s’est basé le jury pour récompenser les films. Les deux premiers ont gagné un voyage pour le festival de Courts Métrages à la Réunion. Le troisième participera en tant qu’assistant à la réalisation dans un film d’un réalisateur confirmé à Tana. On a également décerné une mention spéciale à un court métrage fait par un réalisateur malgache dont ce n’était pas la première oeuvre. Une façon aussi de l’inciter à continuer dans cette voie-là. Mais tous les réalisateurs qui ont été sélectionnés pour ce concours auront la chance de participer à une semaine de formation cinématographique que l’on va organiser dans quelques semaines sous la forme d’ateliers. On va faire venir des cinéastes confirmés pour donner des conseils aux novices.
Ce concours a aussi été un prétexte pour que professionnels du cinéma et institutions se rencontrent et se parlent enfin…
Ça c’était plutôt la cerise sur le gâteau ! En marge des projections, on avait organisé deux débats, l’un autour du court métrage et l’autre sur la création cinématographique à Madagascar. Beaucoup de gens se sont déplacés pour participer à ces discussions. Il y avait des représentants du ministère de la Culture, des producteurs, des réalisateurs, des cinéphiles, des gens qui avaient vraiment envie de voir évoluer ce secteur. Il y a eu pas mal de propositions de faites mais maintenant il va falloir veiller à ce que tout cela ne soit pas des paroles en l’air. Mais le plus important pour moi lors de ces deux journées a été de permettre à des jeunes de s’exprimer par l’intermédiaire du cinéma et surtout qu’ils puissent voir leur film sur un grand écran. Actuellement, le CCAC (Centre Culturel Albert Camus) est le seul endroit dans tout Madagascar où l’on peut encore assister à une projection en 35mm. Même si les films proposés lors de concours étaient en vidéo, il est quand même très stimulant pour un réalisateur de voir son oeuvre diffusée ailleurs que sur une petite télévision. Je sais l’effet que ça fait de voir son film pour la première fois sur un grand écran et je voulais que ces jeunes réalisateurs ressentent aussi cette émotion. C’est important, je pense, pour un réalisateur d’avoir cette sensation de fierté.
Vous êtes célèbre pour vos propos virulents à l’égard des productions vidéo que vous qualifiez d’amateurisme. Continuez-vous d’affirmer qu’il n’y a pas de cinéma à Madagascar ?
Je suis un peu fâché contre les journalistes qui ne retiennent que cette phrase « il n’y a pas de cinéma à Madagascar ». Le problème est dans la définition de ce qu’on nomme cinéma. Actuellement, ce que l’on peut voir dans les salles de Tana ce sont des produits audiovisuels mais sûrement pas du cinéma. Cette confusion des termes est dangereuse car elle véhicule une mauvaise image des films malgaches autant ici qu’à l’étranger. C’est cela que j’essaie d’expliquer. Mais je pense qu’il y a beaucoup de choses qui se passent ici en matière de cinéma. Quand je vois la motivation de ces jeunes qui veulent faire des films de qualité, enfin je me sens moins seul, c’est très encourageant ! Je me considère un peu comme la nouvelle vague du cinéma malgache alors je voudrais entraîner tout le monde avec moi. Avec ces Rencontres, je me dis que le premier pas a été fait car, ne serait-ce que de permettre à un réalisateur de montrer son film à l’extérieur c’est déjà énorme étant donnée la situation du septième art ici. Donc, peut-être que l’on va enfin réaliser ce petit rêve de cinéma à Madagascar. En tout cas, je ferai tout pour qu’il se concrétise.
Que pensez-vous d’une nouvelle édition des Rencontres du Film Court en 2007 et de l’idée de l’élargir avec une sélection internationale ?
L’idée de faire un festival de Courts Métrages Africains à Madagascar a été avancée pendant ces deux jours. Mais cela suppose une organisation complètement différente et surtout je crois qu’il faut d’abord que le court métrage malgache fasse ses preuves et que le public local s’habitue à ce genre de films. Donc pour l’instant on reste sur le concept d’un concours national mais on y songe pour plus tard, pourquoi pas ? Le plus important pour moi c’est d’avoir pu créer cette espèce de réseau de réalisateurs ou de passionnés du cinéma car maintenant on va pouvoir concrétiser cette idée de tourner tous les jours, je pense que c’est le moment ou jamais de réveiller ce cinéma à Madagascar qui s’est endormi depuis trop longtemps.

///Article N° : 4414

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